Si l’année 2020 est évidemment assez difficile à vivre, la rentrée littéraire de la science-fiction n’est pas caractérisée par des ouvrages déprimants, loin de là. Certains d’entre eux abordent effectivement la souffrance, la survie, les traumatismes et ce qui ne va pas dans le monde, mais toujours avec une forme d’espoir, de bienveillance, voire d’optimisme. En cette rentrée 2020, la littérature de SF est en fait plus que jamais une littérature de solutions, mais une littérature qui nous invite à chercher cette solution en nous avant toute chose.
Expiration
Expiration est notre grand coup de cœur de cette rentrée. Tant pour la plume limpide que l’inventivité brillante et la pertinence philosophique du propos, ce recueil de Ted Chiang est l’une des œuvres de science-fiction les plus importantes de 2020 (pour la traduction française). Il y a une sagesse profonde dans la science-fiction de Ted Chiang, et c’est sûrement cela qui donne tant de puissance aux nouvelles présentes dans Expiration. C’est le type d’ouvrages que l’on garde précieusement, pour les relire plusieurs fois dans une vie.
À partir de machines intelligentes, de portails spatiotemporels et d’innovations technologiques futuristes, l’auteur s’immisce dans les thèmes qui forgent notre humanité, sans être forcément les thèmes qui viennent le plus spontanément à l’esprit quand on pense à la nature humaine. Et il prend son temps, tant et si bien qu’on ne comprend parfois qu’à la fin le sens de la nouvelle. Ted Chiang a par ailleurs cette manie de laisser la réponse en suspend : c’est la lecture complète du récit qui offre une réponse, celle-ci n’apparaît jamais de but en blanc à la fin.
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L’arithmétique terrible de la misère
Voilà une science-fiction qui ne prend pas de pincettes pour appuyer là où ça fait mal. Oui, Catherine Dufour nous repousse dans nos retranchements, nous met parfois un miroir en pleine face, nous emmène sur des terrains qu’on aimerait éviter et rend explicites des problèmes que notre monde prend tant soin de cacher. Ce recueil a une forme de brutalité, mais cette dissection dégage pourtant bien une forme de poésie. C’est finalement addictif. Quel type de sorcellerie l’autrice fait-elle dont là ? La réponse est peut-être à trouver dans la bienveillance. Car la SF de Catherine Dufour est celle qui met les pieds dans le plat non pas pour nous déprimer, mais pour nous réveiller. Une démarche positive et nécessaire.
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Apprendre, si par bonheur
« Je suis une observatrice, pas une conquérante. Je n’ai aucune envie de forcer une planète à s’adapter à moi. Je préfère marcher d’un pas léger : m’adapter à elle. » Ces quelques mots du personnage d’Apprendre, si par bonheur représentent merveilleusement la démarche de l’ouvrage lui-même. Au pinacle de la SF optimiste du moment, il y a Becky Chambers. Nous avons déjà conseillé, à plusieurs reprises, sa trilogie des Voyageurs, qui démarre par L’Espace d’un an. Cette novella de 140 pages pourrait aussi être une belle porte d’entrée.
La romancière nous livre ici un futur où la complexité du monde, les différences, la multiplicité des êtres ne constituent pas un frein à une vie collective apaisée, ce sont au contraire les forces qui nous unissent. Chez Becky Chambers, la diversité relie les êtres vivants et les renforce. « Si je ne pose ma question qu’à ceux qui partagent mon point de vue fondamental, mes rêves, mon langage, cela ne sert à rien que la pose », dit le personnage.
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Quitter les monts d’Automne
Dans la lignée d’un auteur tel que Pierre Bordage, l’autrice française Émilie Querbalec livre un roman dont le sense of wonder allie la douceur de la spiritualité à une violence de circonstance. Une plume délicate pour décrire une souffrance tout ce qu’il y a de plus brutale. Dans le monde décrit par Émilie Querbalec, l’écriture est interdite, la transmission et la mémoire reposent sur l’oralité. En plus de construire un univers atypique, à la fois futuriste et ancestral, cette interdiction de l’écriture est une façon d’aborder autrement le récit collectif d’une civilisation. Le voyage initiatique de l’héroïne tend à montrer à quel point les traumatismes individuels sont le reflet caché, enfoui, de la société dans laquelle on vit.
Ce voyage interplanétaire plaira par ailleurs aux amoureux et aux amoureuses du Japon, puisque Quitter les monts d’Automne repose sur une science-fiction inspirée de l’esthétique et des codes japonais.
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Un gars et son chien à la fin du monde
« Ceux qui ont survécu sont encore des nôtres, ici, à la fin du monde. Peut-être que chacun se fait justice, mais si tu me voles mon chien, attends-toi pour le moins à ce que je te pourchasse. Si on néglige sa loyauté envers ceux qu’on aime, quel intérêt ? Autant perdre la mémoire. Autant ne plus être humain. »
Il y a eu une apocalypse molle, l’humanité s’est doucement éteinte. Gritz fait partie des derniers survivants. Il vit avec sa famille, loin de tout, sur une île. Un jour, quelqu’un débarque sur l’île, et lui vole son chien. Pour le récupérer, il prend un bateau et part pourchasser le voleur, sans réfléchir, sans s’équiper. Sa seule compagnie : son autre chien. Au départ du roman, un pur acte d’amour donc, irrationnel peut-être, mais profondément humain.
Un gars et son chien à la fin du monde est un road trip post-apocalyptique étonnamment rafraîchissant. Le héros, ayant trouvé la photo d’une personne issue du monde d’avant, décide d’écrire un journal. Tout au long du récit, il dit « tu », en racontant ses péripéties. Il s’adresse ainsi au lecteur/à la lectrice, car cette personne du monde d’avant, c’est tout simplement nous. Gritz nous parle de notre monde, en livrant son point de vue provenant d’un futur où notre monde s’est effondré. Ce n’est pas un roman sous tension ni rempli de surprises à chaque page, mais ce n’est pas plus mal, il est apaisant à lire, tantôt touchant, tantôt drôle.
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