La loi a changé : depuis le 25 août, le fait de révéler sur le net l’identité d’une personne et des informations personnelles, en sachant que cela va lui nuire, est puni pénalement.

C’est la conséquence juridique de l’assassinat de Samuel Paty, ce professeur d’histoire-géographie et instruction civique dans un collège à Conflans-Sainte-Honorine tué parce qu’il avait montré des caricatures de Mahomet dans un cours sur la liberté d’expression. Désormais, la pratique du « doxing » (parfois orthographié « doxxing ») est définie dans la loi, et réprimée.

Le travail d’enquête a montré que l’identité de l’instituteur avait été diffusée sur le net, en lien avec ce cours et l’attentat qui a suivi.

Le tribunal administratif de Montreuil, rapportait France Bleu en octobre 2020, avait émis un ordre de fermeture temporaire d’une mosquée, car celle-ci avait partagé sur sa page Facebook une vidéo d’un parent d’élève appelant à la mobilisation contre l’enseignant. En commentaire, un internaute avait en outre révélé l’identité et le collège où l’enseignant officiant, sans que ce message ne soit modéré.

Des publications virtuelles aux effets réels

Le « doxing » désigne « le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer.»

Cette pratique est désormais incriminée par le Code pénal (même s’il existait déjà des dispositions particulières s’en approchant), car la loi confortant le respect des principes de la République (anciennement appelée loi contre le séparatisme et qui contient quelques autres articles autour du numérique) vient de paraître au Journal officiel, le 24 août. Elle est donc en vigueur depuis le 25 août. L’article 36 de ce texte prévoit une nouvelle infraction, qui est matérialisée à travers l’article 223-1.1 du Code pénal.

Volkan Olmez

Le doxing peut entraîner des formes de violence, en incitant des individus à s’en prendre aux personnes ou aux biens. // Source : Volkan Olmez

De base, la nouvelle sanction prévoit pour la personne fautive jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende. Il s’agit-là des peines maximales. Cependant, celles-ci peuvent être alourdies du fait de circonstances aggravantes : les peines passent alors à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. Celles-ci se déclenchent lorsque les victimes ont été ciblées en raison de certaines caractéristiques.

Cela inclut la profession, par exemple si l’on s’en prend à un journaliste, à un fonctionnaire, un individu chargé d’une mission de service public (sapeur pompier, chauffeur de bus, contrôleur de la SNCF, etc.), au titulaire d’un mandat électif public (comme un maire ou un député) ou une personne dépositaire de l’autorité publique (juge, policier, gendarme, etc.).

L’état de la personne est aussi une caractéristique qui est prise en compte. Ainsi, un « doxing » sur un mineur, une femme enceinte ou sur une personne en raison de son âge, de sa maladie, de son infirmité, de sa déficience physique ou psychique constitue aussi une circonstance aggravante, du fait de la vulnérabilité particulière de la victime, quand celle-ci est apparente ou connue par l’auteur des faits.

Gare aux anciennes publications

Réagissant à la publication de cette loi, l’officier de gendarmerie Matthieu Audibert, qui est doctorant en droit privé et sciences criminelles, a apporté quelques éclairages juridiques dans un fil Twitter le 25 août, en constant que le texte prévoit bien l’élément constitutif de l’infraction, matérialisé par le « doxing » à proprement parler, ainsi qu’un élément moral et la prise en compte de l’intentionnalité de l’auteur.

De ces éléments, Matthieu Audibert souligne que cette incrimination reste encadrée : « lorsque l’auteur doxe un internaute ou un utilisateur de Twitter, il faut prouver que l’auteur a nécessairement conscience que cela expose la victime à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens ». Le fait de publier l’identité d’une personne ne constitue pas à lui seul une raison suffisante pour condamner quelqu’un.

Twitter

Avec cette disposition, des tweets mêmes anciens pourraient aussi être incriminés. // Source : EFF

L’officier de gendarmerie termine avec une question ouverte : ce type d’infraction entre-t-il dans la catégorie des infractions instantanées (comme un vol à l’étalage) ou dans celles des infractions continues (comme un recel). En apparence très juridique, la question a une incidence sur la prescription, c’est-à-dire sur le moment à partir duquel la justice ne peut plus être saisie.

« Si on considère que l’infraction est continue, cela signifie que tous les faits de doxing commis avant l’entrée en vigueur de la loi, mais encore en ligne pourront être poursuivis. Les faits n’étant plus commis par exemple au moment de la suppression du tweet », fait-il observer. En clair, tant qu’un tweet est en ligne, par exemple, il peut tomber sous le coup de la loi, y compris s’il a été écrit avant.

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