Vous n’avez pas pu manquer les publications sponsorisées qui apparaissent au milieu de celles de vos proches. Si la plupart font de la publicité pour des marques, d’autres mènent à des comptes proposant d’obscurs « services aux entreprises », qui ont pour but… de voler de l’argent.

« Durant le confinement actuel contre le covid-19 nous recherchons des personnes intéressées pour rendre service à une entreprise, avec une rémunération à la clé ! ». La pub s’affiche au milieu des story instagram classiques des personnes auxquelles vous êtes abonnées, et porte la mention « sponsorisé », en haut à gauche de la publication. En dessous du message s’affichent les logos des principales banques françaises : Société Générale, Banque Populaire, Crédit Agricole… et une dernière invitation « si vous êtes chez l’une de ses (sic) banques rendez-vous en privé. Rémunération minimum : 500 euros ».

Mickaël est tombé sur l’une de ces publicités Instagram début mai, et a tout de suite été intrigué. « Je travaille dans la banque, je suis sensible à ce genre de pratique », explique-t-il. Il décide de cliquer sur la publicité, et se retrouve sur le profil Instagram de « Sarah_Money75 », une « entrepreneuse » spécialiste du « business en ligne » et proposant un « service financier », réservé aux personnes majeures possédant un compte bancaire. Les guillemets sont de rigueur.

Mickaël engage la conversation. Le service que Sarah propose est simple : elle veut mettre de l’argent sur le compte bancaire de Mickaël, pour « éviter qu’elle ne soit prélevée par l’Etat » et réduire les taxes de l’entreprise pour laquelle elle travaille. Une fois un chèque encaissé, Mickaël n’aura qu’à retourner à Sarah la somme, en gardant une commission de 20 % de la somme. « Fiable », « légal » et « sans risque », assure Sarah. Pour preuve, elle envoie une longue liste de captures d’écran, montrant des clients heureux de voir leur compte bancaire rempli.

Cependant, « dès que cela semble trop beau pour être vrai, il faut se dire que c’est faux », conclu Mickaël. En effet, ce que les captures d’écran ne montrent pas, c’est que les chèques déposés par l’entreprise en question sont volés, ou sans provision. Les clients ont reçu la promesse de recevoir un virement de la part de la banque de l’entourloupeur, qui s’avère en réalité être un chèque. Ils l’encaissent, et virent en retour les 80 % de la somme aux personnes derrière le compte Instagram. Seulement, quelques jours plus tard, le chèque est annulé par la banque, et ils se retrouvent sans rien.

De nombreux comptes proposent des rémunérations contre des « services » // Source : Capture d'écran Instagram / Numerama

De nombreux comptes proposent des rémunérations contre des « services » // Source : Capture d’écran Instagram / Numerama

« Vous faire de l’argent en 24h, c’est facile ! »

Les arnaques sur Instagram ou les réseaux sociaux ne sont pas une nouveauté. Ce qui est inédit, c’est que les escrocs choisissent de les sponsoriser. Contacté par Numerama, Instagram nous assure pourtant que leur système de modération fait le maximum. « Dès que nous voyons passer des annonces frauduleuses, les équipes de modérateurs les suppriment. Nous avons aussi mis en place un système de signalement pour nos utilisateurs ». Le réseau social appartenant à Facebook tente de rassurer : « nous travaillons en collaboration avec les autorités afin de repérer et bloquer le plus rapidement possible ce genre de compte », et promet une vigilance accrue. Mais certaines passent parfois à travers les mailles du filet. Il reste de plus extrêmement simple de commencer une campagne de pub sur le réseau social. Quelques clics et 500 euros suffisent pour targeter des personnes pertinentes.

Les comptes à l’origine de ces entourloupes savent jouer sur le contexte économique très difficile pour les étudiants ou les travailleurs précaires. « plan_argent.75 », que Numerama a contacté, nous le confirme : « J’ai beaucoup de boulot ». Après avoir engagé la conversation avec lui, il nous demande très rapidement si nous sommes à découvert. « Avec le confinement sa (sic) aide pas ».

Sa photo de profil, une liasse de billets de 50 euros, est équivoque. Les autres comptes que Numerama a pu identifier jouent tous sur le même tableau : billets étalés, photos d’influenceurs avec des voitures ou des marques de luxe, promesse d’argent rapide… En tapant les mots clés « rémunérer », « rémunération » ou encore « plan argent », les comptes proposant leurs « services financiers » défilent par dizaines.

Ces comptes n'hésitent pas à exhiber les billets de banque // Source : Capture d'écran Instagram / Numerama

Ces comptes n'hésitent pas à exhiber les billets de banque

Source : Capture d'écran Instagram / Numerama

« Ils ciblent les personnes ayant le plus besoin d’argent, les jeunes, les personnes naïves, des gens au RSA qui ne peuvent pas finir leurs fins de mois… », se désole Mickaël. « Les banques ne peuvent ou ne veulent pas rembourser, et certains ne se relèvent pas ». Mickaël, qui a partagé son histoire sur Twitter, a reçu le témoignage d’un jeune tombé dans le panneau, qui a perdu 600 euros suite à une arnaque similaire, et dont la banque a réagi trop tard pour empêcher le virement.

Menaces

Les banques ne se rendent en effet pas immédiatement compte que les chèques sont frauduleux. « En France, les gens utilisent encore une quantité astronomique de chèques », explique Mickaël. « Dans mon agence, on en reçoit entre 200 et 500 par jour. C’est impossible de tout vérifier, du coup la banque va te faire confiance, et te virer directement la somme, avant de contrôler la provenance du chèque. Ça peut prendre jusqu’à 10 jours ouvrés ».

Les comptes en question savent qu’ils doivent agir rapidement et qu’ils n’ont que quelques jours avant que les chèques ne soient annulés. Afin d’être sûrs d’avoir leur argent, ils n’hésitent pas à mettre la pression sur les potentiels clients en les menaçant d’actions en justice. « Cette opération est complètement légale et sécurisée, mais comporte néanmoins un risque important », nous informe « marine_finance76 », que nous avons contactée. « Si vous essayez de garder toute la somme sans nous renvoyer notre partie, nous serons contraints de lancer des poursuites judiciaires contre vous car nous aurons votre identité, j’espère que cela n’arrivera pas, voyez-vous ? ».

« Nous n’hésiterons pas un instant à lancer des poursuites judiciaires contre vous », menace également « morgane_hbt75 ».

Des menaces d'actions en justice si les paiements n'arrivent pas // Source : Captures d'écran Instagram / Numerama

Des menaces d'actions en justice si les paiements n'arrivent pas

Source : Captures d'écran Instagram / Numerama

Location de voitures et conseils dans le bâtiment

Afin de rassurer leurs clients, les comptes n’hésitent pas à se faire passer pour de vraies entreprises. « morgane_hbt75 », dont la photo de profil est un logo « prestige car », nous assure travailler pour Loc Car, une agence de location de voitures installée à Coignières, dans les Yvelines, et nous envoie la page société.com les concernant afin de prouver leur existence, tout comme « marine_finance5». « marine_finance76 » nous fait parvenir la capture d’écran de la page société.com de Bati Conseils Services, une entreprise spécialisée dans la rénovation immobilière.

Les comptes mentent sur leur affiliation avec ces entreprises // Source : Captures d'écran Instagram / Numerama

Les comptes mentent sur leur affiliation avec ces entreprises

Source : Captures d'écran Instagram / Numerama

Les deux entreprises en question existent en effet bel et bien. Cependant, elles ne sont pas complices de l’activité des comptes Instagram. Contactée par Numerama, Bati Conseils Service nous explique recevoir des appels en lien avec l’escroquerie depuis 6 mois, à raison de 3 à 5 fois par semaine. « Nous avons reçu un appel du même genre un quart d’heure avant que vous appeliez », nous informe Cengiz, le gérant de l’entreprise. « Les gens nous appellent cependant parfois trop tard, une fois le virement effectué ». Cengiz a déposé une main courante au commissariat d’Évreux, où Bati Conseils Services est basée, mais les policiers ne peuvent pour l’instant rien faire : « il faut que la plainte vienne d’une victime ».

La situation est similaire pour Loc Car, qui a reçu un appel la semaine dernière. « C’était la première fois que ça nous arrivait. C’est un étudiant qui nous a appelés pour nous prévenir qu’un compte se faisait passer pour nous ».

Dans les mailles du filet côté Instagram et sans possibilité d’enquête côté police, cette entourloupe a de beaux jours devant elle.

Cet article a été mis à jour le 13 mai pour intégrer une nouvelle réponse d’Instagram. 

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