Les portiques de sécurité installés par Israël sur l’esplanade des mosquées ont été retirés depuis l’intervention du Roi de Jordanie auprès de Benjamin Nétanyahou. Toutefois, l’État hébreu compte trouver une alternative « technologique » pour surveiller l’entrée de la mosquée Al Aqsa, lieu saint de l’Islam. Certains parlent déjà de reconnaissance faciale.

En longeant les ruelles qui bordent le Mont du Temple — l’Esplanade des mosquées si l’on se place par delà le mur — on finit par s’approcher du cœur du quartier palestinien de Jérusalem. Un contrôle de police attend alors le passant qui veut passer d’un quartier à l’autre.

Puis, en s’enfonçant toujours un peu plus dans les ruelles couvertes de la vieille ville, on finit par déboucher sur la Porte des Lions qui, de l’intérieur de la ville, offre une imprenable vue sur le Mont des Oliviers. D’ici, on contemple les cimetières logés en hauteur, puis le versant chrétien de la ville aux trois religions. En contrebas, des quartiers de logements palestiniens qui s’enfoncent dans la vallée. Unique porte vers l’Est de la muraille de la ville, la porte est également l’une des rares à ouvrir sur les quartiers musulmans, à quelques encablures de l’imposante Al Aqsa.

Depuis 10 jours, la porte est le foyer des dernières tensions israélo-palestiniennes : à l’entrée de l’Esplanade des Mosquées, non loin de cette dernière, ont été installés des portiques de sécurité par les forces de l’ordre israéliennes. L’État hébreu, par la voix de son premier ministre, Benjamin Nétanyahou, a justifié ce durcissement des contrôles à l’entrée de ce lieu saint de l’islam et du judaïsme par un récent attentat.

La porte des Lions,  vue sur les cimetières juifs au-dessus du Gethsemane (Mont des Oliviers).
CC. Chris Yunker

La porte des Lions, vue sur les cimetières juifs au-dessus du Gethsemane (Mont des Oliviers).
CC. Chris Yunker

 

La crise des portiques accouche d’un malaise insoluble

La réaction n’a pas tardé, les portiques ont déclenché des manifestations fortes du côté de la Porte qui est devenue, jusqu’à la trêve déclarée cette semaine avec le retrait du dispositif de sécurité, le lieu de la protestation palestinienne. Jour et nuit, depuis dix jours, les forces religieuses palestiniennes y organisent des prières de rue qui réunissent des centaines de croyants.

Finalement, Nétanyahou a cédé alors que la ville s’embrasait. Le regain de tension dans la vieille ville aura provoqué en moins de 15 jours 9 décès (6 Palestiniens et 3 Israéliens). Ainsi qu’une attaque à Amman et une atmosphère électrisée en quelques jours, rappelant les pires heures des guerres de Gaza.

Prières de rue non loin de la Porte des Lions, photo témoin

Prières de rue non loin de la Porte des Lions, photo témoin

Vu de la Porte, l’impossible équilibre de Jérusalem semble de nouveau prêt à s’effondrer. Difficile de savoir ce qui a fait flancher l’État hébreu dans cette épisode, l’intervention auprès de M. Nétanyahou du Roi de Jordanie, Abdallah II, en charge de l’esplanade des mosquées semble avoir mis fin au chapitre. Mais le cabinet du premier ministre explique déjà que la décision a été prise « sur recommandation de tous les organes de sécurité » et que de nouvelles méthodes de sécurité seront imposées à l’entrée d’Al Aqsa.  Les Palestiniens, et notamment l’autorité palestinienne qui a coupé le contact avec Israël durant la crise, exigent un véritable statu quo sur l’accès à Al-Aqsa.

Mais l’État hébreu ne semble pas avoir pris la mesure du mouvement contestataire créée par ces fameux portiques : leur désinstallation n’a pas mis fin aux prières de rues qui continuent de dénoncer la main mise sur le lieu saint de l’islam. Les caméras de sécurité qui scrutent nuit et jour les alentours de la porte du Lion ainsi que l’entrée d’Al Aqsa sont, pour les croyants, aussi insultantes que ne l’étaient les portiques.

Quartier musulman de la vieille ville
Corentin Durand

Quartier musulman de la vieille ville
Corentin Durand

Najia (prénom modifié), dentiste palestinienne, parle volontiers des prières de rue. Elle qui y participe discrètement a peur des représailles qui pourraient la toucher le matin, lorsqu’elle traverse la ville fracturée, pour rejoindre son travail. Après que nous ayons accepté de changer son nom, elle se livre plus en confiance : « L’objectif des manifestants est la suppression de toutes formes de forces de l’ordre autour du temple sacré. Dans notre vision, la liberté de croyant et du culte doit être sans barrières à l’entrée. Bien sûr que les portiques étaient des barrières ! »

« Dans la situation actuelle, les croyants refuseront d’entrer dans le complexe saint, les caméras qui ont remplacé les portiques n’ont rien changé. J’entends autour de moi des femmes dire que les caméras voient à travers nos vêtements, volant notre vie privée et notre pudeur de croyant. » Najia nous envoie des photos des manifestations. Elle s’y rendra ce soir. Elle est scandalisée par le dernier volte-face israélien : les hommes de moins de cinquante ans n’ont plus le droit d’entrer dans la mosquée le vendredi. Hier, cent personnes étaient blessées dans les manifestations.

Des caméras orwelliennes

Ici, les caméras israéliennes revêtent le symbole très orwellien du regard permanent, scrutateur et autoritaire. Les rumeurs d’un dispositif total, qui pourrait s’inviter partout dans les carrefours de la vieille ville, coloniser les allées tortueuses et couvertes de Jérusalem et lui dérober cette espèce de mystique qu’elle loge au sein de son dédale. Certains évoquent une reconnaissance faciale centralisée, israélienne, qui pourrait faire des contrôles d’identité à la volée. L’occupation de la ville deviendrait alors aussi technologique que politique.

Le ministre israélien de la Sécurité, Gilad Erdan, et le premier ministre Benjamin Netanyahu

Le ministre israélien de la Sécurité, Gilad Erdan, et le premier ministre Benjamin Netanyahu

Lieu où se concentre l’essentiel de la tension israélo-palestinienne, la mosquée reste un combat aussi symbolique que déterminant pour les Palestiniens, pour lesquels le monument est d’une importance capitale dans l’islam et plus généralement, pour l’identité palestinienne, dans une ville qui tend à effacer certaines marques du passé.

Najia voudrait que l’on parle à nos lecteurs de sentiment de dépossession, elle qui estime que les médias ne parlent pas des revendications palestiniennes : « J’aimerais que plus de personnes, notamment en Israël, réalisent que nos manifestations ne sont pas seulement à propos de la liberté de prier et de vivre sa foi à Jérusalem, mais aussi contre l’occupation israélienne et les installations illégales des colons sur le sol palestinien. » Elle habite dans la vallée, près de Ras Al-Amud, où Mohammad Sharaf vivait, avant d’être tué à 17 ans au début du conflit des portiques. La colère est sensible, confuse et mêle des rancœurs aussi vieilles qu’insolubles.

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Côté israélien, une passerelle sert à conduire les touristes à Al Aqsa, elle est fréquemment fermée par l’État juif. Comme sur cette photo prise cette hiver.

Le cabinet du premier ministre a par ailleurs fait savoir qu’il procédera à un investissement de 100 millions de shekels (24 millions d’euros) pour développer durant les six prochains mois un dispositif « reposant sur des technologies avancées » selon les termes de l’exécutif. Selon M. Khan, reporter pour Al Jazeera, il s’agirait d’une technologie de reconnaissance faciale, assistée par des caméras thermiques qui viendraient remplacer les portiques détecteurs de métaux. L’évocation de ces solutions n’a naturellement rien de rassurant pour les Palestiniens qui refusent encore de retourner dans la mosquée et préfère prier à l’extérieur, en signe de contestation.

La solution alternative israélienne pourrait s’appliquer à l’ensemble de la vieille ville selon Piotr Smolar, correspondant du Monde. Une manière pour l’État hébreu de généraliser la surveillance et de désamorcer d’éventuelles contestation localisées dans les quartiers musulmans.

En somme, le départ des portiques, s’il offre une victoire symbolique aux Palestiniens pour l’instant, est loin d’être la fin de partie et le retour au calme semble précaire sous l’œil des super-caméras de Nétanyahou.


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