Une proposition de loi débattue la semaine prochaine à l’Assemblée Nationale prévoit d’obliger les agriculteurs à payer des droits lorsqu’ils voudront utiliser les semences qu’ils auront eux-mêmes produites, dès lors qu’il s’agit de variétés protégées par un droit exclusif. Une situation qui rappelle par certains aspects le droit à la copie privée.

Champs de blé

Mise à jour – Selon Le Monde, 21 semences seraient concernées par la proposition de loi, adoptée par les députés. Il s’agirait essentiellement de céréales, même si la liste définitive n’est pas encore arrêtée. D’autres semences pourraient être concernées, notamment celles de légumes.

Sujet du 25 novembre – Lorsque l’on parle de propriété intellectuelle, les droits d’auteur, les brevets et les marques commerciales viennent immédiatement en tête. Il est pourtant un autre domaine trop souvent ignoré, qui fera la semaine prochaine l’objet de l’examen par les députés d’une proposition de loi déjà adoptée en première lecture au Sénat : les obtentions végétales.

Le code de la propriété intellectuelle prévoit en effet aux articles L623-1 et suivants la possibilité pour celui qui invente une nouvelle variété d’obtenir un « certificat d’obtention végétale » (COV). Celui-ci a pour effet de conférer à son titulaire, pendant 25 ou 30 ans selon le type de végétal concerné, un droit exclusif à produire et commercialiser la plante, ainsi que tout élément qui en permet la reproduction ou la multiplication. L’article L623-25 précise que « toute atteinte portée aux droits du titulaire d’un certificat d’obtention végétale constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur« .

Le texte présenté au Parlement provoque la colère des agriculteurs, qui y voient la volonté de les rendre dépendants de l’industrie des semences. En effet, il ajoute que lorsque des récoltes ont été faites sans l’autorisation du titulaire du COV, le droit exclusif s’étend « au produit de la récolte » et aux « produits fabriqués directement à partir d’un produit de récolte de la variété protégée« . Il interdit donc d’utiliser une partie de la récolte pour ressemer l’année suivante, ou d’échanger des semences entre fermes, et menace de rendre invendable toute production qui n’est pas en règle.

Un droit aux semences de ferme, contre rémunération

A l’instar de ce que l’on connaît bien dans le domaine du droit d’auteur, la proposition de loi vise à instaurer une forme de « droit à la copie privée » des semences de ferme, en échange d’une rémunération. L’article 14 du texte dispose en effet que pour certaines espèces (mais pas toutes !), « les agriculteurs ont le droit d’utiliser sur leur propre exploitation, sans l’autorisation de l’obtenteur, à des fins de reproduction ou de multiplication, le produit de la récolte qu’ils ont obtenu par la mise en culture d’une variété protégée« . Mais dans ce cas, « l’agriculteur doit une indemnité aux titulaires des certificats d’obtention végétale dont il utilise les variétés« . Le système existe déjà pour les récoltes de blé tendre, et serait ainsi généralisé à l’ensemble des 21 espèces concernées par la loi.

Selon Bastamag, qui publie un article très intéressant sur le sujet, « les principaux détenteurs de ces  » certificats d’obtention végétale  » ne sont autres que les grandes multinationales semencières : Bayer, Limagrain, Monsanto, Pioneer, Vilmorin ou Syngenta« . Tous sont réunis au sein d’une même « Union française des semenciers« , suspectée « de vouloir tripler la redevance » payée actuellement pour le blé. Une situation qui rappelle les ayants droit réunis au sein de la commission pour copie privée, accusés de toujours vouloir étendre davantage la redevance, dont le montant perçu a doublé en moins de dix ans. La comparaison ne s’arrête d’ailleurs pas là, puisque si le projet de loi copie privée débattu cette semaine est soutenu par les Socialistes au nom des 25 % de perceptions reversés aux « actions culturelles », la proposition de loi agricole est motivée par les 15 % de redevance reversés au fonds de soutien à l’obtention végétale, censé encourager la recherche.

Une légalisation de la reproduction dans l’espace hors-marchand

Il est néanmoins intéressant de voir que des dispositions prévues dans le domaine des obtentions végétales seraient perçues comme un réel progrès dans le domaine du numérique. Par exemple, l’article 4 de la proposition de loi dispose que le droit exclusif des titulaires de COV ne s’étend pas « aux actes accomplis à titre privé à des fins non professionnelles ou non commerciales« , ce qui revient à légaliser la reproduction et le partage des semences par les particuliers lorsqu’ils sont réalisés sans but lucratif. Une proposition que le Parti Socialiste devrait formuler dans son programme, concernant les échanges de fichiers sur Internet qui seraient légalisés dès lors qu’ils sont réalisés hors de l’espace marchand.

Par ailleurs, pour éviter les monopoles, l’article 10 prévoit la possibilité d’obtenir en justice une licence obligatoire si elle est jugée d’intérêt public notamment au regard d’un manque d’approvisionnement du marché agricole. Or en matière de musique en ligne et de VOD, les plateformes se plaignent régulièrement de ne pas pouvoir accéder aux catalogues, faute d’autorisation de la part des ayants droit, qui tendent à abuser de leur position dominante pour imposer des conditions trop onéreuses. Ne faudrait-il pas, là aussi, qu’elles puissent obtenir ces licences en justice, au nom de l’intérêt public culturel ?

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