Dans la dernière ligne droite, lors de leur seconde lecture du texte, les sénateurs ont adopté l’article 4 du projet de loi Loppsi qui impose un blocage des sites dont la liste sera établie sans contrôle judiciaire par l’autorité administrative.

Les sénateurs ont adopté mardi soir l’article 4 du projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (Loppsi), identique à celui qu’avaient voté les députés en seconde lecture. Il crée à l’égard des fournisseurs d’accès à Internet une obligation de blocage des sites dont la liste sera dressée secrètement et sans contrôle par l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC).

Le dispositif adopté prévoit en effet que « lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l’article 227-23 du code pénal le justifient, l’autorité administrative notifie aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai« .

Il n’est pas prévu une obligation de moyens à l’égard des opérateurs, mais bien une obligation de résultat. Ils « doivent empêcher l’accès sans délai » aux sites listés, quels que soient les moyens employés. L’article 4 précise qu’un « décret fixe les modalités d’application de l’alinéa précédent« , mais il est peu probable qu’il détermine les moyens techniques à mettre en œuvre. Le décret devra fixer notamment les modalités « selon lesquelles sont compensés, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs« . Un coût que les opérateurs avaient estimé jusqu’à 140 millions d’euros, dans le cas où le filtrage par inspection profonde des packets (DPI) serait nécessaire.

Après un an de navette parlementaire et de modifications, le filtrage prévu avec la loi Loppsi revient donc à son point de départ :

  • En 2008, le texte qu’avait présenté l’ancienne ministre de l’intérieur Michèle Alliot-Marie prévoyait une obligation de blocage des sites sans contrôle judiciaire, « compte tenu de l’intérêt général attaché à la lutte contre la diffusion de contenus (pédopornographiques) » ;
  • En première lecture à l’Assemblée Nationale, en février 2010, les députés avaient fortement encadré le dispositif, en exigeant un accord préalable de l’autorité judiciaire avant tout blocage ;
  • En septembre 2010, lors de sa première lecture du texte, le Sénat avait balayé les précautions prises par les députés, en expulsant le juge de la procédure. Les sénateurs décidaient alors que le juge ne serait consulté qu’à la demande de l’administration, dans le cas où elle aurait elle-même un doute sur le caractère pédopornographique « manifeste » ou non du contenu à bloquer ;
  • En décembre 2010, le juge est totalement expulsé par les députés lors de la deuxième lecture du texte à l’Assemblée Nationale Il ne peut plus intervenir qu’en cas de contestation d’une demande de blocage par un FAI, ou en cas de recours a posteriori par un site bloqué.
  • En janvier 2011, le Sénat confirme cette exclusion du juge, et décide que des sites pourront être bloqués sur la seule demande de l’administration française. Comme l’avait prévu le texte initial.

En ne prévoyant pas d’encadrement judiciaire, le gouvernement fait risquer au projet de loi Loppsi la censure du Conseil constitutionnel, voire une sanction de la Commission Européenne. Dans sa décision du 10 juin 2009 à l’encontre de la loi Hadopi 1, le Conseil avait émis une réserve à la légalité constitutionnelle du filtrage : que la « juridiction saisie » ne prononce « que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause« . Par ailleurs la Commission européenne a encore rappelé récemment que « les mesures de nature à restreindre (la liberté de communication) » doivent obligatoirement « être soumis à des garanties procédurales appropriées en conformité avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et avec les principes généraux du droit communautaire, y compris la protection judiciaire effective et le droit à un procès équitable« .

S’il réussit malgré tout à faire valider son texte par les sages, le gouvernement aura ouvert une brèche qu’il envisage déjà d’exploiter pour étendre le filtrage à d’autres domaines, moins fédérateurs que la lutte contre la pédopornographie. C’est d’ailleurs entre autres parce qu’elles se savent instrumentalisées à des fins de censure, que des associations contre la pédocriminalité se sont opposées au projet de loi Loppsi.

Mais le pire est peut-être dans ce qui n’est jamais avoué, ou même débattu : le filtrage de la pédopornographie risque d’augmenter la pédocriminalité.

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