« Mindfulness City », ou, en français, « ville de la pleine conscience ». C’est ainsi que s’appelle le vaste projet annoncé en décembre 2023 par le roi du Bhoutan, Jigme Khesar Namgyel Wangchuck, repéré par Le Monde le 9 janvier 2024. Pour la plupart des gens, le nom du petit État asiatique n’évoque pas grand-chose, mis à part l’indice de bonheur national brut mis en place en 1972 par le précédent souverain. Mais avec son projet, le Bhoutan rêve d’internationalisation.
Malgré son approche unique du bonheur, le royaume est en effet confronté à de nombreux défis, notamment économiques, entre un taux de chômage grandissant et le départ de plus en plus de jeunes du pays. Mindfulness City a pour but de remédier à ces problèmes, en devant l’étendard commercial du pays et s’imposant comme ville du futur — tout en continuant de suivre le précepte de bonheur national, à rebours du modèle mis en avant par d’autres projets.
C’est quoi, le projet Mindfulness City ?
Le projet a été annoncé le 17 décembre 2023 par le roi bhoutanais, lors d’un discours prononcé pour la fête nationale. Le but affiché est de créer un hub économique d’une surface de 1000 km² dans le sud du pays, à Gelephu, une ville frontalière avec l’Inde. Le plan prévoit de construire un aéroport international (qui serait le 2e du pays), une ligne de train avec l’Inde, un barrage hydroélectrique, une université, des écoles, des centres informatiques, des centres de santé, des temples bouddhistes, et des espaces dédiés à l’agriculture.
La ville doit également accueillir des industries « zéro-émission », afin de devenir la « première zone économique neutre en carbone » et respecter les engagements du pays en termes de protection environnementale.
Pour mener à bien le projet, le pays a mandaté Big, un cabinet d’architecture danois. Contacté par Numerama, Big nous a fait parvenir plusieurs projections 3D de ce à quoi Mindfulness City doit ressembler, une fois finalisée. Plus qu’une seule énorme ville, la zone doit au contraire accueillir plusieurs petites communautés, reliées entre elles par des rivières et des ponts. Le tout doit être construit avec des matériaux locaux, qui doivent permettre aux sols de continuer à absorber l’eau pendant la saison de la mousson.
Par rapport aux autres grands projets de constructions et d’urbanismes annoncés ces dernières années, Mindfulness City s’annonce radicalement différente, surtout par rapport à The Line — la titanesque ville actuellement en construction en Arabie saoudite qui risque de devenir complètement dystopique. Ici, pas d’annonce grandiloquente ou d’architecture démesurée, mais une approche plus pragmatique.
Il faut dire que le projet ne répond pas à un besoin de changer l’image du pays, ou de devenir une nouvelle destination touristique phare : Mindfulness City a été lancée pour répondre à des problématiques beaucoup plus simples. Comme l’a expliqué le roi dans son discours, « nous sommes un petit pays enclavé, coincé entre de grands et puissants voisins, vivant à une époque de changements mondiaux rapides et imprévisibles. Si nos efforts sont insuffisants, notre avenir sera en péril ».
L’économie du pays connait en effet des difficultés : « la pandémie de Covid-19, l’endettement des projets hydroélectriques et les réductions drastiques des revenus du tourisme ont provoqué un ralentissement économique », note The Hindu. Le taux de chômage dans le pays atteint les 20 %, et touche surtout les jeunes. Ces derniers ont commencé à émigrer en masse vers l’Inde et d’autres pays voisins, à la recherche de travail.
Une vision bouddhiste du futur
Selon le journal indien, ce sont ainsi 60 000 Bhoutanais qui sont partis du pays depuis la fin du covid, et pour un pays de moins d’un million d’habitants, une telle fuite des cerveaux est un danger. « Si nous ne trouvons pas la bonne solution, notre population risque de diminuer au point qu’il y aura plus de magasins que de clients, plus de restaurants que de convives et plus de maisons que de locataires », a d’ailleurs déclaré le roi dans son discours.
Reste malgré tout que le projet représente un risque important. Alors que le pays s’est longtemps tenu coupé du monde (la télévision n’a été autorisée qu’en 1999), et que des mesures ont été mises en place pour réduire le tourisme (une taxe de 200 dollars par jours est imposée aux visiteurs) pour préserver sa culture et son identité, un tel revirement soulève des questions.
Officiellement, un « processus de sélection efficace » sera mis en place pour « s’assurer que les entreprises et les personnes qui viennent à Gelephu sont sensibles à la culture bhoutanaise » et à ses valeurs, a déclaré le roi. L’architecture de la ville a même été inspirée par « l’héritage spirituel bouddhiste et le caractère unique de l’identité bhoutanaise ».
Reste aussi la question du coût. Alors que l’Arabie saoudite, grâce à l’argent du pétrole, a pu lancer un chantier dantesque à plus de 300 milliards de dollars pour construire The Line, le Bhoutan, lui, a des moyens beaucoup plus limités. L’économie du pays, qui ne pèse de 3 milliards de dollars, limite forcément les plans — interrogé sur le prix de Mindfulness City, Big n’avait pas encore répondu au moment de la publication de cet article. On ne sait pas non plus quand la ville pourrait sortir de terre, ni quand les travaux doivent commencer.
Dans les faits, il est difficile de dire si la ville pourra, vraiment, voir le jour, ou s’il s’agit d’un effet d’annonce. Le roi a, en tout cas, dit qu’il porterait personnellement ce projet. Malgré ces questions, l’initiative du Bhoutan attire l’attention, et plusieurs médias ont consacré des articles au pays — une chose rare, et peut-être un premier succès.
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