Dans une lettre commune adressée hier au secrétaire d’Etat britannique Peter Mandelson, quatre sociétés majeures du web (eBay, Facebook, Google et Yahoo) ont fait part de leurs inquiétudes quant à certaines dispositions de la loi sur l’économie numérique. En effet, d’importantes prérogatives seraient attribuées à l’exécutif, lui permettant de modifier sans aucun contrôle le cadre de la propriété intellectuelle.

La loi sur l’économie numérique (Digital Economy Bill) défendue par le secrétaire d’Etat Peter Mandelson continue de faire polémique outre-Manche. Ce texte, qui s’appuie sur le rapport Digital Britain présenté en juin dernier, doit fixer les grandes lignes du développement numérique du Royaume-Uni pour 2012. Or, non content de mettre en place une riposte graduée « à la française », ce texte pourrait bien attribuer de nouveaux pouvoirs à l’exécutif en matière de copyright.

Qu’il semble loin le temps où Gordon Brown, très en verve, élevait l’accès à Internet au même rang que l’eau et le gaz, promettant à chacun un accès haut-débit d’au moins 2 Mbps d’ici trois ans. Il y a deux semaines, nous nous faisions l’écho de fuites probablement orchestrées par le gouvernement pour mieux faire passer la riposte graduée. Ces rumeurs faisaient état d’une modification substantielle des textes, afin de confier de nouvelles prérogatives à l’exécutif.

Comme nous l’écrivions alors, ce nouveau projet de loi autoriserait le secrétaire d’Etat à effectuer n’importe quelle modification aux droits de propriété intellectuelle (droits d’auteur, marques, brevets…) par simple voie réglementaire, sans passer par le contrôle nécessaire de l’appareil législatif. Dès lors, passant en outre le parlement britannique, le gouvernement pourrait à loisir créer de nouvelles sanctions contre les internautes adeptes du peer-to-peer (peines de prison, amendes) ou déployer la riposte graduée sans aucun débat.

Théoriquement, ces nouvelles dispositions pourraient même concéder de nouvelles attributions aux ayants droit. Les bibliothèques, les entreprises, les écoles et même les fournisseurs d’accès à Internet seraient éventuellement dans l’obligation de fournir des informations personnelles sur leurs utilisateurs ou de bloquer certaines protocoles ou sites webÉvidemment, nous avions estimé que ces ajouts étaient vraiment trop gros pour être acceptés. Cependant, dans le doute, les principaux acteurs du web au Royaume-Uni ont préféré prendre les devants, « au cas où ».

Ainsi, plusieurs géants du net ont signé une lettre commune (.pdf) adressée à Peter Mandelson, afin de lui faire part de leur « graves inquiétudes » sur certaines dispositions de cette fameuse loi sur l’économie numérique. Parmi les signataires, nous retrouvons Aladstair McGowan, le directeur des relations publiques d’eBay, Emma Ashcroft, responsable de Yahoo en Angleterre et en Irlande, Richard Allan, de Facebook, et Sarah Hunter, de Google.

Les quatre entreprises s’opposent à certains passages qui pourraient, selon eux, donner au gouvernement des « pouvoirs considérables et sans précédents » pour modifier la législation actuellement en vigueur et encadrant le droit d’auteur. « Nous vous demandons de supprimer instamment l’article 17 de la loi » demandent-ils ainsi au gouvernement britannique. En effet, ces amendements « pourraient être utilisés, par exemple, pour introduire de nouvelles mesures techniques ou généraliser la surveillance des données, même quand aucune activité illégale n’a eu lieu » s’inquiètent-ils.

Cela aurait également comme effet pervers de « décourager l’innovation« , en « imposant des coûts superflus« , ont estimé les quatre signataires. Conscients que « de nouveaux modèles économiques doivent émerger pour soutenir les contenus« , ils notent cependant que ces dispositions « risqueraient d’accroitre encore plus le risque d’incertitude » sur les entrepreneurs. Or, ceux-ci sont déjà « fortement dépendants d’une approche cohérente et stable » de l’application du droit d’auteur.

Réagissant à cette initiative, un porte-parole du département ministériel du BIS (Business, Innovation and Skills) a déclaré à la BBC que « la loi doit suivre le rythme de l’évolution technologique, afin que le gouvernement puisse intervenir si de nouvelles façons d’enfreindre gravement le droit d’auteur se développent« . Personne « ne va se réveiller un matin dans un monde où le gouvernement aurait récupéré d’importants pouvoirs dans le domaine du numérique » a-t-il ajouté. « Il y a des contraintes importantes sur la façon dont le pouvoir peut être utilisé« .

Dès lors, puisque la pratique du pouvoir répond à une certaine exigence démocratique, le porte-parole du BIS a rappelé que l’article 17 était le prolongement nécessaire des plans gouvernementaux visant à réduire significativement le piratage organisé sur Internet. Pour l’heure, la loi doit passer différentes étapes avant d’être entérinée, nous rappelle la BBC. Dès qu’elle deviendra une loi à part entière, elle devrait alors donner de nouveaux pouvoirs à l’Ofcom, le régulateur des communications au Royaume-Uni.


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