Je suis devenue journaliste en 2013. Déjà à l’époque, j’étais spécialisée dans l’industrie du numérique et les phénomènes en ligne. J’écrivais donc beaucoup sur des hommes : Mark Zuckerberg, Tim Cook, Jeff Bezos, etc. Il y avait aussi des femmes, mais qui intervenaient avec un peu moins de régularité dans les actualités que je devais traiter. Et puis, en 2014, est sorti « Kim Kardashian : Hollywood. » Ce jeu pour smartphone, créé par l’entreprise Glu Mobile, en collaboration avec la star et entrepreneuse, proposait aux internautes d’incarner une célébrité en devenir. Il a rencontré un succès phénoménal, et figure même dans la liste du média Polygon des cent meilleurs jeux vidéo publiés durant la dernière décennie.
Ça aurait pu être une coïncidence, mais Kim Kardashian est ensuite devenue une récurrence dans ma veille tech. C’est toujours le cas aujourd’hui ! En début de semaine, par exemple, on a appris qu’elle avait passé un accord avec la SEC (le gendarme boursier américain) et accepté de payer une amende d’1,26 million de dollars pour avoir fait la promotion d’une cryptomonnaie sur Instagram sans informer ses abonnés et abonnées qu’elle avait été rémunérée pour ce partage. Je pourrais aussi vous parler de son opposition très publique à la nouvelle version d’Instagram ; de son étrange passion (partagée par de nombreux dirigeants d’entreprises) pour les vieux téléphones BlackBerry ; de son partenariat avec la marque d’écouteurs Beats ; du fonds d’investissement qu’elle a récemment lancé, dédié au financement d’entreprises dans les médias, le numérique et l’e-commerce ; de toutes les dérives de l’industrie de l’influence dont elle est devenue le symbole (retouches photo à outrance, partenariats cachés, etc).
Kim K est le parfait produit de l’internet moderne
Kim Kardashian n’est évidemment pas la seule célébrité à s’intéresser aux nouvelles technologies. On peut citer le cas d’Ashton Kutcher, acteur et investisseur à succès ; ou celui du chanteur will.i.am, qui a lancé de nombreux objets connectés, avec beaucoup moins de succès. Mais Kim Kardashian ne se contente pas de financer dans l’ombre, ou de coller son visage sur quelques produits tech au gré de partenariats plus ou moins douteux (même si c’est clairement ce qui s’est passé pour ses crypto-mésaventures). Elle est surtout le produit parfait de l’internet d’aujourd’hui. Elle est l’influenceuse ultime, celle dont toute la vie a déjà été transformée en contenu. Son visage est le « patient zéro de l’Instagram Face » (c’est pas moi qui le dit, c’est le New Yorker), qui inspire les filtres à selfie qui viennent ensuite s’imposer à notre propre figure. Elle prouve aussi, par sa présence et ses privilèges en ligne, toute l’hypocrisie de la modération des plateformes. La semaine dernière, le site pornographique Pornhub et d’autres entreprises de l’industrie du X ont écrit une lettre ouverte à Meta et Instagram, dénonçant la suppression de leurs contenus respectant pourtant les règles du réseau social, tandis que Kim Kardashian peut s’afficher dénudée sans censure particulière.
Kim Kardashian ne contrôle évidemment pas le web de la même manière que peut le faire Mark Zuckerberg. Peut-être que cela sera le cas un jour, si ses investissements dans des startups portent leurs fruits. Je le répète souvent ici : les nouvelles technologies n’appartiennent pas seulement aux personnes qui font les nouvelles technologies. Quand je dis cela, c’est pour motiver les gens comme vous et moi, qui n’ont pas forcément de compétences techniques, et qui utilisent quand même le web et ses outils dans notre vie quotidienne. Mais voilà ce que Kim Kardashian m’a appris, depuis le tout premier article que j’ai écrit sur elle : internet appartient encore plus aux personnes riches. Plus que quiconque, elle incarne le web, dans ce qu’il a d’intéressant, de flippant, et d’injuste. Car parler du numérique, c’est parler de pouvoir, et parler de pouvoir, c’est parler d’argent. C’est donc, quelque part, parler de Kim Kardashian
La revue de presse de la semaine
Agrégée
J’ai appris que la première ex æquo de l’agrégation d’informatique française pour l’année 2022 était une femme ! Elle s’appelle Solène Mirliaz, elle a seulement 26 ans et elle vient de Rennes. RFI signe son portrait et l’interroge sur sa passion de la bidouille, sa thèse en cours de rédaction, ainsi que sa vision sur le manque de diversité dans l’informatique. C’est à lire par là.
L’algo qui cache la forêt
Les algorithmes des grandes plateformes nous font peur, souvent à raison. Mais ils sont aussi une excuse commode pour les géants du numérique, qui invisibilisent des décisions bien humaines derrière les lignes des codes. C’est le sujet de cet édito salutaire de l’informaticien et blogueur Stéphane Bortzmeyer, que je vous recommande de lire par ici.
Just married
Dans l’État américain de l’Utah, il est possible depuis le début de la pandémie de se marier en ligne. Ce système est accessible aux citoyennes et citoyens américains, mais aussi en dehors des États-Unis. Une aubaine dont profitent certains couples homosexuels en Chine, où l’union entre deux personnes de même sexe est interdit. C’est à lire (en anglais) sur Rest of World.
Potins lesbiens
Cet été, un peu par hasard, Kaelee Overfield est devenue la reine des potins sur TikTok. Sa spécialité : dénicher des ragots concernant des couples lesbiens et queers. La créatrice américaine assure vouloir créer des contenus divertissants pour la communauté LGBTQ, dans un univers médiatique qui cache trop souvent des amoureuses derrière « des bonnes copines ». Mais elle est aussi critiquée pour ses vidéos spéculant sur la sexualité de telle ou telle célébrité. Son portrait est à lire (en anglais) sur le New York Times.
Quelque chose à lire/regarder/écouter/jouer
Quand je veux initier des personnes aux mangas, je choisis généralement des œuvres très loin des clichés qu’on attribue aux bandes dessinées japonaises. Pas de filles en sous-vêtements dès les premières pages, pas de violence, pas de héros à l’apparence banale et secrètement très puissant. Et puis il y a Dandadan, qui confirme cette liste de poncifs dès son premier chapitre. Pourtant, c’est l’un de mes mangas préférés du moment. On y suit les aventures de deux lycéen·nes : Momo Ayase, une fille populaire qui croit aux fantômes, et Ken Takakura, son camarade de classe obsédé par les aliens. Ils se moquent mutuellement des croyances de l’autre, jusqu’à une rencontre malheureuse qui va lier leur destin. Le monde est bien peuplé d’extra-terrestres et de créatures surnaturelles. Momo et Ken doivent désormais les combattre à deux.
La principale qualité de Dandadan est qu’il ne se prend pas au sérieux. Les clichés du manga d’action sont exagérés jusqu’à l’absurde (le héros se retrouve nu à peu près autant que l’héroïne, et l’un des arcs narratifs est dédié à la disparition mystérieuse de l’une de ses testicules), les gags et les bastons s’enchaînent à un rythme frénétique. Quand l’histoire fait une pause, c’est pour se concentrer sur la relation adorable entre les deux protagonistes, avant de reprendre de plus belle. Dandadan n’est pas une œuvre délicate, ni terriblement intelligente. Mais elle est parfaite pour rire un bon coup, et déconnecter son cerveau pour quelques heures.
Dandadan (tome 1 et 2, série en cours), de Yukinobu Tatsu, éditions Kaze [également disponible gratuitement, en anglais, sur l’application MANGA Plus]
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