Le rapport contre la contrefaçon commerciale remis ce lundi par Mireille Imbert-Quaretta propose de remplacer l'action judiciaire par l'action privée des intermédiaires financiers et des hébergeurs, appuyée ou provoquée par les services de l'Etat.

Mise à jour : voir aussi nos analyses détaillées sur le blocage des sites et sur l'injonction de retrait prolongé.

Après plusieurs mois de retard et un remaniement du cabinet de la ministre de la culture, la présidente de la commission de protection des droits de l'Hadopi, Mireille Imbert-Quaretta, remet enfin ce lundi 12 mai à Aurélie Filippetti ses propositions pour "la prévention et la lutte contre la contrefaçon commerciale en ligne". Son rapport constitue le volet opérationnel des propositions théoriques faites par MIQ il y a plus d'un an, dans un rapport de février 2013 qui proposait notamment de s'en remettre au chantage pour combattre le piratage par streaming et téléchargement direct.

Selon l'AFP qui a pris connaissance du rapport, le texte remis ce lundi propose quatre mesures principales pour étendre la lutte contre le piratage, dans des domaines qui ne sont pas touchés par la riposte graduée qui ne peut viser techniquement et juridiquement que les seuls outils P2P (BitTorrent, eMule…). Toutes cherchent à contourner l'action judiciaire et ses principes de respect des droits de la défense.

Il s'agirait tout d'abord de viser à "assécher les ressources financières" des sites pirates, en faisant signer des chartes aux régies publicitaires et aux services de paiement en ligne qui leur permettent de recevoir des subsides. Cette stratégie n'a rien de neuf et nous avions mis en garde dès 2011 sur le fait qu'elle pourrait aboutir à conforter des monnaies alternatives comme BitCoin. Comme l'a rappelé en début d'année le Syndicat des régies Internet (SRI), la très grande majorité des régies publicitaires françaises bannissent déjà les sites pirates, tout comme les prestataires de paiement.

Ensuite, Mireille Imbert-Quaretta propose de mêler "autorégulation" et "droit souple" (ou soft law), c'est-à-dire de ne pas figer de règles pénales clairement définies dans la loi, mais d'inciter par des règles non contraignantes à faire appliquer une sorte "d'esprit de la loi", de façon volontaire. Rien dans ce qu'en dit l'AFP ne laisse penser que le rapport MIQ de 2014 va aussi loin que le rapport MIQ de 2013, qui proposait d'instituer une riposte graduée contre les intermédiaires techniques pour sanctionner ceux qui ne s'autoréguleraient pas suffisamment. Ce sera un point majeur à vérifier lors du publication du rapport, puisqu'il déterminera le niveau souhaité de contournement de la justice. S'il y a menaces, il y aura l'incitation pour les hébergeurs et éditeurs de plateforme à censurer plus que de raison pour éviter les sanctions.

Une liste noire de sites à boycotter, un filtrage ordonné par l'Etat

Or à cet égard, le rapport confirme également la volonté de créer, comme en Grande-Bretagne, une liste noire de sites pirates. Etablie non pas par la justice, mais par l'administration (sans aucun doute avec le concours des ayants droit), la liste noire dira urbi et orbi quels sont les sites qui "portent massivement atteinte aux droits d'auteur". Officiellement il s'agit d'informer le public qui "s'interroge parfois sur la licéité d'un site en particulier". Officieusement, il s'agit surtout d'éviter que les intermédiaires qui travaillent avec ces sites puissent dire qu'ils ignoraient leur caractère prétendument illicite. En 2006, cet argument de l'ignorance avait permis à des régies publicitaires de gagner contre le réalisateur des Choristes qui les poursuivait.

Mais cette liste pose un problème démocratique dès lors qu'elle n'est pas rédigée par la justice qui seule peut décider du caractère légal ou non d'un site internet, mais par l'Etat. Quels seront ses processus d'élaboration et l'objectivité de ses critères ? L'on peut d'ores-et-déjà douter qu'un site comme YouTube, qui regorge de "films complets", figure dans la liste. 

Enfin, le rapport MIQ préconise une "injonction de retrait prolongé" faite là aussi, non pas par la justice, mais par l'administration. L'idée serait de prendre le relais des ayants droit qui demandent des retraits de contenus piratés en appliquant la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN), mais qui n'arrivent pas à faire que ces contenus ne réapparaissent pas. Mireille Imbert-Quaretta propose que sur injonction de l'Etat, les plateformes aient l'obligation de passer d'un "notice and take down" (supprimer le contenu après notification) à un "notice and stay down" (obligation de bloquer la mise en ligne d'un contenu similaire).


Vous voulez tout savoir sur la mobilité de demain, des voitures électriques aux VAE ? Abonnez-vous dès maintenant à notre newsletter Watt Else !