Faute d'avoir le courage d'entreprendre une vraie réforme du droit d'auteur, qu'elle juge pourtant nécessaire, la Commission Européenne conclut ce mercredi son initiative "Des licences pour l'Europe", qui confie aux acteurs privés et à leur liberté contractuelle le soin d'assouplir l'application du droit d'auteur.

La vice-présidente de la Commission Européenne Neelie Kroes l'avait affirmé dès 2010 et l'avait ensuite répété à plusieurs reprises. Dans son état actuel, le droit d'auteur pose des obstacles au développement des pratiques culturelles numériques et à la disponibilité des oeuvres, ce qui nécessite une réforme ambitieuse pour libérer certains droits et faire que des pratiques aujourd'hui illégales puissent se faire dans la légalité, et que des entreprises puissent prospérer.

Mais plutôt que de proposer cette réforme ambitieuse, la Commission Européenne a joué la carte du "droit mou" en annonçant en février 2013 l'ouverture d'un grand chantier de négociations public-privé baptisé "Des licences pour l'Europe", dont la dernière séance plénière est organisée ce mercredi 13 novembre. Plutôt que de changer la loi, ce qui serait durable et s'imposerait à tous, l'initiative vise à assouplir son application par une série d'engagements de pratiques contractuelles, pris par ceux qui acceptent de jouer le jeu par peur de ce que la loi pourrait leur imposer de pire.

Quatre groupes de travail avaient ainsi été constitués, sur :

  1. L'accès transfrontaliers aux oeuvres ;
  2. Les contenus générés par l'utilisateur (UGC) ;
  3. Les institutions de patrimoine audiovisuel ;
  4. Le data-mining et text-mining.

Ainsi dans le groupe 2, plutôt que d'assouplir le régime juridique des emprunts et citations pour les remix et autres montages, "Des licences pour l'Europe" promeut la "concession de de «micro?licences multiterritoriales en un clic» par les maisons de disques et les sociétés de gestion collective des droits d'auteur, pour une utilisation à petite échelle d'œuvres musicales en ligne". "Les personnes qui le souhaitent pourront ainsi beaucoup plus facilement faire usage de telles œuvres avec la sécurité juridique requise, que ce soit sur leurs propres sites web ou lorsqu'ils mettront des vidéos sur d’autres sites", annonce fièrement la Commission Européenne.

Nous ne connaissons pas encore la liste précise des engagements et de leurs signataires (mise à jour : ils sont ici). Selon la CE, les promesses des acteurs privés concerneront également "une déclaration commune du secteur audiovisuel s'engageant à poursuivre les travaux (sic) pour offrir progressivement une portabilité transfrontière des services audiovisuels", pour limiter les effets du filtrage géographique au sein de l'Union Européenne. Par ailleurs, "un accord entre les producteurs de films, les auteurs et les institutions chargées de protéger le patrimoine cinématographique sur les principes et procédures de numérisation et de diffusion des films appartenant à ce patrimoine" sera signé.

Fier de cette méthode qui fait démissionner le législateur devant le pouvoir de régulation par le contrat, le commissaire Michel Barnier s'est félicité d'avoir pu "déboucher sur des solutions concrètes pour répondre aux défis qui se posent sur le marché unique numérique". 

"Nous devons faire preuve de pragmatisme pour progresser dans le domaine du droit d’auteur", a quant à elle déclaré Neelie Kroes, qui assure, sans avoir l'air d'y croire, que "si l'industrie parvient à concrétiser ces engagements, nous franchirons un pas supplémentaire vers la concession de licences de contenus véritablement adaptées à l’ère numérique". Elle prévient cependant, encore, toujours, qu'il faudra "maintenant nous intéresser au rôle que la législation actualisée pourrait jouer dans l'accomplissement de nouveaux progrès".

En réaction, plusieurs organisations de défense des droits des internautes, comme EDRI ou la coalition Copyright For Creativity, ont appelé à ouvrir d'urgence ce chantier d'une révision législative du droit d'auteur.


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