Si le vote du Sénat est confirmé en l’état, les livres numériques seront assujettis l’an prochain à un taux réduit de TVA à 5,5 %, comme les livres papier. Une mesure adoptée contre l’avis de la Commission des finances et du gouvernement, qui y voient une incitation à entrer en guerre avec les Etats membres de l’Union européenne sur la fiscalité des transactions électroniques. Le Luxembourg est particulièrement pointé du doigt.

Lundi, lors de l’examen du projet de loi de finances 2011 au Sénat, un long débat d’une rare qualité s’est noué sur la question de l’alignement du livre numérique sur le régime fiscal des livres papier, assujettis à un taux de TVA réduit à 5,5 %. Contre l’avis du gouvernement et de la commission des finances, les sénateurs ont voté l’application de la TVA réduite aux livres numériques distribués par Internet. Dans une formulation beaucoup plus large que les seuls livres « homothétiques » visés dans une proposition de loi spécifique, le texte voté au Sénat applique la TVA à 5,5 % à tous les livres publiés « sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement« .

Cette couverture très large n’a pas manqué d’être critiquée. « Le livre numérique est une notion assez floue« , a ainsi remarqué le rapporteur de la commission des finances Philippe Marini (UMP). « Après tout, en termes de nouvelles technologies, un livre est une suite de pages ; autrement dit, c’est un fichier. Dès lors, à partir de quand qualifie-t-on un fichier électronique de livre ?« .

C’est le sénateur Yann Gaillard, auteur l’an dernier d’un rapport sur « la politique du livre face au défi du numérique« , qui lui a apporté la réponse la plus réaliste et progressiste. « Aujourd’hui, même si sa définition est complexe, le livre numérique existe en tant que tel. Son développement marque une nouvelle étape dans l’histoire du livre, après le volumen et le codex. (…) Nous assistons non pas à une révolution mais à une évolution globale du livre« , a-t-il fait remarquer. Dès lors, vouloir réserver la TVA réduite aux livres « façon 20ème siècle » uniquement numérisés serait une hérésie culturelle, puisque ça serait pénaliser financièrement les nouvelles créations. « Sans prétendre qu’il ne faut pas remettre l’ouvrage sur le métier et réfléchir encore, je ne pense pas que nous puissions être défavorables à une évolution qui s’impose à nous. Certes, nous qui appartenons à ces générations qui ne sont plus de la première jeunesse, nous le regrettons. Mais qu’y faire ?« .

Le Luxembourg en ligne de mire

Méfiant, M. Marini ne veut pas que la baisse de la TVA sur les e-books soit insensible pour les consommateurs, comme ce fut le cas pour la TVA sur la restauration. « Les libraires en ligne implantés en France baisseraient-ils vraiment les prix toutes taxes comprises ou bénéficieraient-ils d’un effet d’aubaine ?« , a-t-il demandé. Il a rappelé aux éditeurs de livres qui réclament la réduction fiscale qu’ils ont eux aussi, en premier lieu, un gros effort à faire pour aider au décollage du livre numérique.

« Si les éditeurs continuent de commercialiser le livre numérique à un prix quasiment identique à celui du livre papier, le marché a peu de chance de se développer rapidement« , a-t-il critiqué, rappelant qu’aux USA « le livre numérique est à peu près deux fois moins cher que le livre papier« . Et outre-Atlantique, le marché s’envole.

Mais – ce qui est logique s’agissant d’une loi de finances, le débat a surtout porté sur la stratégie fiscale du gouvernement, dans un contexte global. La Commission des finances et le ministre du Budget François Baroin ont fustigé en choeur le Luxembourg, accusé de pratiquer un dumping fiscal qui encourage une surenchère à la baisse dans les transactions électroniques.

« Le Luxembourg, en proposant une TVA dont le taux correspond au seuil minimal fixé par la directive européenne, accueille toutes les grandes sociétés américaines spécialisées dans les prestations immatérielles« , s’est indigné le président de la Commission des finances, Jean Arthuis. « Sur le livre numérique, le Luxembourg a, semble-t-il, conclu un arrangement au terme duquel une partie du prix est soumise à la TVA à 15 % et une autre partie correspond aux droits d’auteur, lesquels, dans ce pays, sont assujettis à un taux de TVA d’environ 3 %. Autrement dit, ce cocktail permet au Luxembourg de pratiquer sur le livre numérique un taux de TVA particulièrement bas« , a-t-il précisé.

Expliquant que le gouvernement a récemment interpellé la Commission européenne à propos de cet « écho nous parvenant de manière récurrente« , le ministre François Baroin a accusé le Luxembourg de pratiquer « une concurrence déloyale mise en place de façon sourde et non assumée« .

Pour M. Arthuis, « c’est plus qu’une question de principe« . « On ne peut pas continuer ainsi ! On risque de mettre en péril l’Europe en tolérant des pratiques qui sont manifestement des manquements à l’éthique élémentaire entre les États« , a-t-il fustigé.

En vain, enfin, M. Baroin a tenté de dissuader les sénateurs en prévenant que la mesure avait de fortes chances d’être jugée contraire au droit communautaire. « Si ce dispositif était adopté, la Commission européenne ne manquerait pas de le considérer comme euro-incompatible et de sanctionner non seulement l’État français, mais aussi nos entreprises« , a expliqué le ministre du Budget, en prenant exemple sur une niche fiscale accordée aux professionnels du textile, annulée par Bruxelles. Les entreprises qui en avaient bénéficié avaient dû rembourser le trop-perçu.

Le sort de la TVA réduite sur les livres numériques sera fixé en Commission mixte paritaire, lorsque députés et sénateurs devront s’accorder sur un texte commun à soumettre au vote des deux chambres.


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