Omniprésente dès qu’il s’agit de justifier la riposte graduée et l’action de l’Hadopi, la comparaison avec les radars automatiques mis en place pour la sécurité routière est idiote. Mal sentie sur le fond, elle devrait aussi et surtout plaider sur le plan technique et juridique contre la collecte des adresses IP par la société TMG mandatée par les ayants droit sans le moindre contrôle extérieur.

On ne compte plus le nombre de fois où la comparaison de la riposte graduée avec les radars routiers a été faite tout au long des débats sur la loi Hadopi, et dans son service après-vente. Elle sert tantôt à légitimer le principe-même de la lutte contre le piratage, en voulant convaincre que le comportement des internautes pirates changera comme celui des automobilistes a changé avec les campagnes de sécurité routière. Tantôt à légitimer sa conception technique et juridique, en comparant les PV traités par l’Hadopi à ceux dressés d’après les photos des radars automatiques qui bordent les routes de France. Dans les deux cas, la comparaison est mauvaise.

Tout d’abord sur la prise de conscience des internautes de l’importance de protéger la propriété intellectuelle, comme les conducteurs ont pris conscience hier de l’importance d’obéir aux limitations de vitesse, il y a une erreur fondamentale de jugement. Les automobilistes n’ont pas ralenti uniquement pour éviter les amendes et pertes de points, ou même pour éviter de faire des morts sur la route, mais aussi parce qu’ils ont pris conscience que leur propre intégrité corporelle était en jeu. La peur du gendarme est apparue, même avec difficulté, légitime. Avec le partage des œuvres, même si certains soutiennent que le piratage tue, il n’y a pas de conscience d’un danger corporel, ni pour les autres ni pour soi. Le seul danger reconnu est éventuellement économique, mais pas culturel. La culture a précédé le droit d’auteur, et lui succèdera. Il y a à différents niveaux de conscience l’idée que l’économie doit se mettre au service de la culture et non l’inverse, et que c’est donc à l’économie d’évoluer pour s’adapter aux pratiques culturelles de partage des œuvres. La tendance de fond qui va vers la libéralisation du partage n’est pas prête de s’arrêter, parce qu’elle n’a rien d’illégitime qui met en danger l’intégrité des hommes.

Ensuite sur le plan technique et juridique, la comparaison est elle aussi à courte vue, comme l’a démontré encore aujourd’hui la publication du rapport de la CNIL sur l’autorisation de collecte des adresses IP. Là encore, c’est un problème de légitimité.

Un contrôle automatisé n’est accepté par la société civile et a fortiori par les tribunaux que si la fiabilité du procédé employé est reconnue, et vérifiée. Dans le cas des radars sur la route, tous doivent être homologués et subir un contrôle chaque année. En France, c’est par exemple la société SGS Qualitest Industrie qui contrôle les radars automatisés fabriqués par Sagem. Cinq organismes sont ainsi habilités par arrêté à procéder au contrôle, en l’absence duquel le PV peut être valablement contesté. Toute une série d’indications précises formulées sur le PV (point kilométrique, sens de contrôle, vitesse mesurée, type de véhicule, etc.) offrent par ailleurs le moyen pour le justiciable d’apporter des preuves contraires s’il se sait innocent.

Or avec l’Hadopi, il n’y a pas de contrôle. Comme l’indique la CNIL elle-même, qui de manière incompréhensible n’a pas jugé cet élément bloquant, « la Hadopi se limitera à accepter ou refuser les constats transmis (par les ayants droit), sans possibilité de les vérifier« , alors que « les seules procédures d’audit prévues sur le système de TMG sont des audits internes trimestriels« . Le contrôle n’est pas lui-même contrôlé, comme c’est exigé pour les radars routiers.

Par ailleurs même si le PV transmis par l’Hadopi à l’abonné est précis, avec l’adresse IP, le type d’œuvre partagée, le réseau P2P utilisé, etc., bien en peine sera l’abonné d’apporter la moindre preuve contraire. On peut prouver que l’on n’a pu avoir grillé un feu rouge à Marseille alors que l’on a été vu en réunion le même jour par 20 salariés à Caen, ou que le véhicule en infraction est une camionnette rouge alors que l’on a un coupé gris. Mais comment l’abonné qui reçoit son PV de l’Hadopi peut-il démontrer qu’il n’a pas téléchargé le dernier Johnny Hallyday sur eMule ? La preuve contraire est matériellement impossible à apporter, sauf très rares exceptions. Cette spécificité fait que le contrôle, exigé pour les radars routiers, devrait être plus sévère encore pour TMG et les ayants droit.

Et pourtant, il est tout simplement inexistant.

Ce qui est tout simplement scandaleux.


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