De nombreux internautes ont reçu cette semaine un courrier d’un cabinet d’avocats parisien les sommant de payer la somme de 316 euros pour échapper à une plainte pénale en contrefaçon. Ils sont accusés d’avoir téléchargé illégalement un film érotique, que beaucoup prétendent pourtant (de bonne foi) n’avoir jamais téléchargé.

L’affaire Techland fait son retour. Plusieurs internautes nous ont ont informé sur nos forums de la réception d’un courrier envoyé en lettre simple par un cabinet d’avocats, mandaté par le producteur de films érotiques allemand Videorama GmbH. La lettre, réclame la paiement de 316 euros pour le téléchargement supposé de l’un de ses films, sous 8 jours. Le cabinet a obtenu l’identité des abonnés après ordonnance du tribunal de grande instance de Paris de 20 janvier 2009, après une première demande contestée par les FAI le 15 septembre 2008.

Pour étayer ses accusations, le courrier s’appuie sur un relevé d’infractions effectué par la société suisse Copy Right Solutions, qui utilise un logiciel de relevé d’adresses IP baptisé BlackWidow. Comme dans l’affaire Techland avec la société Logistep SA, c’est encore une société suisse qui a ainsi été mandatée pour surveiller les téléchargements des internautes français. Contactée mardi, la CNIL n’a pas encore encore pu nous indiquer si le relevé d’infractions était licite.

La société Copy Right Solutions, également contactée, n’a pas répondu à nos demandes d’informations, notamment sur le fonctionnement de son logiciel et la solidité de ses relevés d’infractions.

Plusieurs destinataires de la la lettre assurent pourtant n’avoir jamais téléchargé le film érotique qu’ils sont accusés d’avoir piraté. Sur eMule, il n’est pas rare de rechercher et de télécharger un fichier que l’on croit être par exemple un film grand public, et de télécharger en fait un film pornographique renommé par les utilisateurs. Christine Albanel l’a dit elle-même, en assurant à l’Assemblée Nationale que 45 % des copies de Bienvenue chez les Ch’tis qui circulaient sur eDonkey/eMule étaient en fait des films pornographiques.

Dans le procotole du logiciel de P2P, un fichier unique (identifié par sa signature hash) peut avoir plusieurs noms. Ca n’est qu’après avoir téléchargé le fichier que l’utilisateur se rend compte qu’il a en fait téléchargé et partagé un film X, et qu’il l’efface. Mais entre temps, il a pu être pris dans les mailles du filet dressé par BlackWidow, qui croit capter des amateurs de belles poitrines alors qu’il collecte en fait les adresses IP d’amateurs de Dany Boon. Le problème s’est encore vu récemment en Grande-Bretagne, ce qui a contraint Atari à mettre fin à ces méthodes d’investigation et de dédommagement.

De son côté, le cabinet d’avocats nous assure avoir pris toutes les précautions nécessaires pour garantir la légalité de sa procédure. « Le nécessaire a été fait auprès de la CNIL« , nous indique ainsi Sylvestre Tandeau de Marsac, l’avocat mandaté par Videorama. Mais aucune déclaration de collecte d’adresses IP n’a été réalisée. « Nous avons interrogé la CNIL sur la façon dont il fallait procéder et nous nous y sommes conformés« , assure l’avocat.

« Pas fiable à 150 % »

Interrogé sur la solidité des preuves, Me de Marsac estime que l’adresse IP horodatée et le nom du fichier partagés sont des éléments suffisants. Mais il reconnaît que le système n’est peut-être « pas fiable à 150 %« , parce qu’il « peut y avoir des erreurs de la part du FAI« , qui se tromperait dans le nom de l’abonné. Le procédé de BlackWidow, lui, est présumé fiable à 300 %.

L’avocat nous précise toutefois que les internaute qui contestent la demande peuvent adresser leurs observations, et se faire représenter. Sylvestre Tandeau de Marsac assure cependant que « statistiquement, il est exceptionnel qu’il y ait eu une erreur« . Il affirme qu’une grande majorité des internautes contactés ont déjà payé les 316 euros demandés. Mais il se refuse à en communiquer le nombre.

On notera enfin que la lettre envoyée aux internautes prend soin de se conformer aux exigences formulées par le Conseil de l’Ordre, qui avait sanctionné l’avocate Elizabeth Martin qui s’était la première livrée à ce genre de pratiques. La société Logistep, qui avait alors effectué les relevés d’infractions, est dans l’attente d’un jugement imminent en Suisse. Le Préposé à la protection des données, l’équivalent suisse de la CNIL, avait estimé que le relevé d’infractions était illicite.

Faut-il payer ?

C’est la question que tous les destinataires se posent. Dois-je payer ? Il n’y a pas de réponse certaine à cette question. D’abord, le fait que la lettre ait été envoyée sans recommandé est sans effet, rien n’oblige l’avocat à proposer une conciliation amiable avant de porter l’affaire au tribunal. Si vous avez effectivement téléchargé le film, le plus sage est sans doute de payer, même si les risques que l’affaire soit portée au pénal sont minimes (mais pas nulles, ne serait-ce que pour l’exemple).

Si en revanche vous vous estimez victime d’une erreur, les chances de remporter la victoire devant un tribunal sont très importantes. Une adresse IP, même horodatée, n’est pas une preuve suffisante, et il demeure une incertitude importante sur la légalité d’un relevé d’infractions réalisé en France depuis la Suisse. Il faudra aussi que Videorama puisse prouver que le fichier a bien été effectivement partagé, ce qui n’est souvent pas vérifié. Et il sera toujours possible de plaider l’erreur en expliquant que le logiciel se base sur un hash, alors que vous pensiez télécharger autre chose, légalement.

De manière plus générale, la procédure relève plus du business model facilité par l’automatisation des relevés d’infractions (faire peur à un maximum d’internautes pour récolter un maximum de chèques de 316 euros) que de l’intention de défendre jusqu’au bout les intérêts de Videorama, sur plusieurs années de procédure civile et pénale. Si elles ne sont pas nulles, les chances de voir le cabinet poursuivre la procédure en cas d’absence de réponse nous paraissent très faibles.

Affaire à suivre…


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