Quand j’ai décidé de devenir détective privé, j’étais sur le point d’obtenir mon diplôme… d’assistant social. Je voulais exercer un métier utile, mais je commençais à me rendre compte que j’étais limité. Alors dans ma troisième année de cursus, j’aidais des personnes en difficultés financières qui venaient chercher un chèque pour régler leur facture d’électricité ou de gaz. Et qui revenaient le mois suivant chercher un autre chèque. Leur situation ne s’améliorait pas et je ne pouvais rien y faire, faute de solution adaptée. J’avais l’impression de n’être qu’un guichet. Un soir, en rentrant chez moi, j’ai eu le déclic : je ne serais pas heureux dans cette profession. Il fallait changer mon fusil d’épaule.
J’ai pris une feuille A4 et un stylo, et j’ai entrepris de me souvenir de ce que je voulais faire enfant, avant tout formatage sociétal. Cinq métiers sont ressortis, dont celui de détective privé. C’est lui qui m’a le plus parlé, mais existait-il seulement vraiment ?
Une recherche en ligne m’a appris que oui et proposé des noms d’écoles formant à la profession d’agent de recherche privée, son nom officiel. Le soir-même, j’ai refait mon CV et ma lettre de motivation pour postuler à la licence professionnelle de l’université de Nîmes. La rentrée suivante, j’y apprenais mon métier.
Une âme de chasseur
Fort de mes connaissances en droit, matière principale du cursus, je n’ai pas eu de mal à suivre les cours — portant essentiellement sur le cadre légal et les méthodes de recueil des preuves visant à défendre des droits et intérêts des particuliers comme des professionnels. On nous a exposé les multiples raisons pour lesquelles les détectives privés peuvent être sollicités, des suspicions d’adultères aux fraudes à l’assurance. Et je me suis pris de passion pour le métier.
En stage, j’ai ensuite découvert que j’avais ce qu’il fallait pour réussir mes enquêtes. Aller n’importe où, se planquer, que ce soit dans un arbre, dans une cage d’escalier ou derrière un kiosque, pour écouter ou pour partir au bon moment. Attendre dix heures d’affilée puis prendre ma cible en filature, me désilhouetter (modifier mon apparence pour ne pas être repéré), m’adapter aux imprévus et capturer les preuves nécessaires à mon client ; j’ai découvert que j’étais un véritable chasseur. Sur le terrain, à traquer ma cible, j’étais comme un poisson dans l’eau.
Dès que j’ai été diplômé, j’ai ouvert mon auto-entreprise et je suis allé frapper à la porte des grands cabinets de détectives de Lyon. J’y ai fait mes preuves, je me suis constitué une clientèle et une réputation. Deux ans plus tard, mon agence BERI Détectives était une SARL, puis je confondais la société UXAM et la déclinais en licence de marque. Pour nos licenciés, je suis devenu le référent terrain, le formateur qui partage ce qu’il a lui-même développé.

Autant dire que lorsque le covid est arrivé et que l’activité sur le terrain a été considérablement réduite, je n’étais pas celui supposé s’en sortir le mieux. Le côté chasseur toujours dominant, je me suis mis à faire des recherches en ligne pour comprendre un peu mieux les enjeux de la crise sanitaire. De fil en aiguille, j’ai dévié sur l’OSINT, m’interrogeant sur l’ampleur de ce qui pouvait se trouver en source ouverte sur Internet. J’ai découvert une autre façon d’enquêter sans être limité par les restrictions sanitaires ; j’ai commencé à me former en autodidacte.
La révélation de l’OSINT
Quelques mois plus tard, lors d’un séminaire professionnel, j’ai assisté à une conférence sur l’OSINT donnée par le consultant Frédéric Lenfant. J’ai eu l’impression d’être l’un des seuls, sur la centaine de détectives privés présents, qui comprenait vraiment ce qu’il nous disait et, surtout, qui mesurait l’intérêt des outils qu’il partageait avec nous. Il faut dire que les sources ouvertes ne faisaient pas partie des formations, très généralistes, à notre métier ; à moins de s’y intéresser sérieusement en autodidacte, les détectives privés se concentrent sur le terrain.
Ravi, je suis reparti avec dix références de sites et logiciels qui allaient me faire gagner un temps monstre dans mes investigations OSINT, comme un organisateur de sites de recherches permettant de les rassembler au même endroit, ou un logiciel classant automatiquement les informations trouvées par catégories.
Au fur et à mesure des recherches, je me suis composé un solide arsenal d’outils — quasiment tous gratuits — afin de faire des investigations dans des domaines précis, des entreprises aux vols d’avions, des associations aux cartes couvrant tout le territoire. Un agglomérat de sites dans lesquels je pouvais puiser en fonction des besoins de chaque mission. J’avais découvert un autre terrain et une autre façon de chasser, mais il s’agissait bien de démêler des informations et de traquer une cible.


Une mission en particulier m’a montré tout le potentiel de ces recherches en sources ouvertes pour ma profession. Ma cliente voulait lever un mystère après deux Noël consécutifs hantés par une rumeur selon laquelle elle aurait un frère ou une sœur caché. Après avoir creusé auprès des membres de sa famille, on lui avait donné le prénom et le nom de celui qui serait son frère biologique et qui aurait été placé en foyer après sa naissance. Faute de lien subsistant avec lui, ma cliente n’arrivait pas à le trouver.
Réunir un frère et une sœur… sans bouger de chez soi
J’ai fait chauffer mon clavier, déroulé des pelotes successives : les foyers de l’époque dans la zone ne donnaient rien, mais Copains d’avant m’a sorti un homme avec une date de naissance cohérente. J’ai obtenu une ville en sondant la situation électorale associée à cette identité, et j’ai fini par trouver l’homme sur le site de généalogie Geneanet. Il ne répondait pas plus sur cette messagerie que sur celle de Copains d’avant, des plateformes qu’on ne consulte pas tous les jours. Finalement, à force de creuser, j’ai trouvé un profil LinkedIn dont la photo me semblait montrer le même homme, quoiqu’un peu plus âgé, que sur Copains d’avant.
À ce stade, j’étais peu optimiste sur la régularité de ses connexions sur les réseaux sociaux. J’ai donc examiné ses expériences professionnelles. Surprise : il était passé par une entreprise dont je connaissais le PDG. Celui-ci m’a fourni les coordonnées de l’homme, que j’ai réussi à joindre par téléphone. J’ai alors pu lui exposer la recherche de ma cliente et vérifier son identité ; c’était bien lui.
Il n’est pas complètement tombé de sa chaise puisqu’il savait qu’il avait une sœur mais, ignorant tout d’elle, il n’avait pu partir à sa recherche. Ils ont ensuite pu se retrouver, et ont aujourd’hui une véritable relation de frère et sœur. Sans que je n’ai à me déplacer, en travaillant uniquement sur mon ordinateur et en passant des coups de téléphone !
C’était ma première enquête 100 % OSINT, celle qui m’a fait mesurer le potentiel des recherches en sources ouvertes. Et celle avec laquelle j’ai constaté que ça me plaisait autant que le terrain, alors que je ne pensais justement être fait que pour lui. C’est une autre forme de satisfaction que de réussir à mener une mission à bien sans se déplacer — et c’est tout aussi jubilatoire.
Quand l’OSINT sauve une enquête
Sans le savoir, je faisais déjà de l’OSINT avant de m’y former : avant de me déplacer, je repérais les lieux sur Google Maps. Une fois rompu aux sources ouvertes, j’ai pris l’habitude de commencer chaque enquête avec une recherche en ligne. Cela m’a parfois évité des déplacements. Il y a eu, par exemple, cette divorcée qui soupçonnait son ex-mari d’inventer des travaux réalisés sur l’appartement leur restant en commun pour lui soutirer de l’argent.
Elle ne pouvait pas se rendre sur place afin de vérifier si les ouvrants qu’il évoquait avaient été posés. J’ai examiné les clichés que les clients des commerces autour de l’immeuble avaient posté sur Google Maps, les publications faites sur les réseaux sociaux dans la zone, puis les photos prises par des avions sur le site Géoportail. J’ai pu constater que des velux avaient bien été installés à la période avancée par l’ex-mari.
J’ai aussi pu résoudre des enquêtes qu’il m’aurait été impossible de mener à bien sans l’OSINT. C’est en particulier le cas des recherches de personnes, qui sont parfois bien plus difficiles à dénicher que le frère biologique qui avait des comptes sur différentes plateformes.
Cette cliente-là voulait faire une surprise à son compagnon pour ses 40 ans : lui ramener le fils perdu de vue depuis des années et qui lui manquait désespérément. Son fils étant majeur, il n’y avait pas d’autre moyen de le retrouver — aussi parce qu’en France, un adulte a le droit de disparaître tout comme de ne pas être en contact avec sa famille. L’objectif était que je le retrouve et lui communique la volonté de son père de le revoir avec le numéro et l’adresse de celui-ci. Le jeune homme pourrait ensuite décider de le contacter ou non.
Alors que je pensais qu’un jeune adulte d’aujourd’hui avait forcément des présences multiples sur Internet, je me suis vite rendu compte que celui-ci était un fantôme. Mais je disposais aussi du nom de sa mère, qui l’avait élevé, et je l’ai retrouvée sur Facebook. Elle postait des photos de ses promenades avec son chien, des photos avec des paysages identifiables qui m’ont permis de définir une zone grossière dans laquelle son domicile devait se trouver.
En remontant davantage ses publications sur Facebook, j’ai trouvé un cliché du chien chez elle. Au fond, une fenêtre qui laissait voir un petit immeuble. Malgré le flou, je distinguais une fenêtre peu commune et une forme d’enseigne elle aussi originale. Direction Google Earth et Google Maps pour me « balader » dans la zone identifiée à la recherche de cet immeuble singulier. Une fois que je l’ai trouvé, je n’avais plus qu’à évaluer l’angle de la photo du chien pour trouver l’immeuble (et même l’étage !) où vivait la mère du fils recherché. Il ne me restait qu’à me rendre sur place pour vérifier les noms sur la boîte aux lettres.
J’ai alors découvert que le fils vivait avec sa mère ; j’allais donc pouvoir le contacter directement, en frappant à sa porte ou en lui laissant une lettre. Cette histoire ne s’est cependant pas bien terminée pour ma cliente, puisque le fils a refusé de reprendre contact avec son père. Elle aura au moins pu tenter le coup — et ce n’est pas rien.
De l’importance du terrain en complément
Cette enquête illustre davantage le quotidien qui est le mien depuis que j’enquête avec les sources ouvertes : la plupart du temps, je dois confirmer mes trouvailles sur le terrain. Mais quelle que soit la mission dont on me charge, l’OSINT me permet d’apporter une solution beaucoup plus globale à mes clients, notamment en accumulant davantage de preuves que si je m’étais « uniquement » déplacé. Cela me permet de fournir des rapports — utilisables en justice — qui ne laissent absolument aucun doute planer.
C’est le cas d’un arrêt maladie que j’ai dû vérifier, parce qu’il était jugé suspect par l’employeur du salarié absent depuis plusieurs semaines. Celui-ci avait expliqué être incapable de marcher et donc de faire son travail, mais son histoire comportait des incohérences. Comme avec chaque client, j’ai d’abord demandé au chef de l’entreprise tout ce qu’il savait de ma cible, puis j’ai commencé mon enquête par une recherche en ligne.
Son employeur ayant mentionné qu’il était passionné de foot, j’ai regardé les clubs les plus proches du domicile du salarié. Sur Footeo, site d’actualités des associations de foot, j’ai trouvé les horaires et le lieu d’entraînement du club d’à côté pour sa catégorie d’âge. Sur la Wayback Machine, sorte de mémoire d’Internet, j’ai établi que l’homme était inscrit dans ce club lors de la saison précédente. Sur le site de la Fédération Française de Football, qui répertorie les matchs de tous les clubs, j’ai trouvé la composition des matchs auxquels ma cible aurait pu participer. Je me suis rendu compte qu’il n’avait jamais arrêté de jouer, même juste après sa supposée blessure.
Enfin, si son Facebook à lui était vide, son club documentait chaque victoire de son équipe. J’ai déniché des photos de dix matchs différents sur lesquelles mon homme apparaissait, sautant pour célébrer un but ou courant allègrement sur la pelouse. J’ai aussi trouvé la date et le lieu du prochain match : je n’avais plus qu’à m’y rendre pour capturer des preuves formelles, incontestables, de ce que j’avais déjà constaté en ligne. Elles étaient nécessaires pour que mon client obtienne gain de cause de façon certaine, mais mes recherches Internet ont fait gagner un temps conséquent en surveillances : il est très précieux de pouvoir se contenter de se rendre à un rendez-vous en sachant qu’il n’y aura qu’à capturer les preuves nécessaires à son client.

Une société de surveillance ?
Les recherches OSINT montrent à quel point nos vies sont finalement très peu secrètes ; cela surprend jusqu’aux employés de mairie à qui j’apprends que j’ai le droit de demander à consulter les avis d’imposition ou les actes de naissance (dans une version sans filiation) de personnes m’étant étrangères. Car les sources ouvertes dépassent Internet, elles vont jusqu’aux bases immobilières que l’on peut trouver au cadastre.
Mais quand on m’interroge sur la moralité de ces possibilités, je redirige vers la dimension qui me semble véritablement questionnable : la surveillance de masse dont nous pouvons toutes et tous faire l’objet, que ce soit via nos recherches en ligne ou dans la rue avec la vidéosurveillance de plus en plus généralisée. C’est cette évolution sociétale qui m’inquiète, et non les enquêtes possibles via mon métier. Car le travail des détectives privés a ses limites : la profession est encadrée. Nous n’enquêtons que dans un cadre moral, légal et légitime, les trois conditions nécessaires pour accepter une mission, et nous la menons sur un temps limité. Les moyens déployés doivent être adaptés à chaque enquête — pas question de suivre une épouse soupçonnée d’être infidèle pendant deux ans, par exemple.
Nous n’en sommes d’ailleurs pas au point de pouvoir absolument tout trouver sur n’importe qui. Je dois sous-traiter certaines recherches à un confrère spécialisé, qui dispose de logiciels coûteux et a une expertise supérieure à la mienne, et il arrive — même si cela reste très rare — que nous ne puissions pas faire aboutir une enquête. Même avec l’OSINT, le métier de détective privé reste difficile : les horaires, la nécessité de se faire sa clientèle, l’imprévisibilité du terrain sur lequel il faut généralement se rendre donnent une vie épuisante et instable.
Quand je raconte mon parcours, j’entends parfois que mon quotidien n’a aucun rapport avec le métier d’assistant social auquel je me préparais initialement. Mais je ne suis pas passé d’ange à démon en me reconvertissant ! Dans les deux professions, on commence par s’entretenir avec des personnes qui nous confient une problématique. Nous cherchons ensuite à leur apporter une aide adaptée. La différence avec le métier de détective privé, c’est que dans 95 % des cas, j’ai apporté une solution à la personne à la fin de l’enquête. Et je ne l’ai pas aidée « juste » pour le mois en cours.
Ma marge d’intervention et d’action est bien plus large, d’autant qu’étant indépendant, il m’arrive de m’investir davantage que ce qui a été convenu avec le client. Certaines histoires, certaines personnes touchent particulièrement, alors je vais un peu plus loin. J’ai besoin, quelle que soit la situation, d’avoir fait avancer les choses à la fin de mon intervention. Et voir une cliente comme celle qui a rencontré son frère biologique heureuse lorsque je lui rapporte mes trouvailles m’a apporté le sens que je voulais trouver dans mon quotidien.
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