Telegram n’est pas « une sorte de paradis anarchique » pour Pavel Durov. Le fondateur, d’origine russe, du réseau social s’est justifié la semaine dernière sur sa propre plateforme après son arrestation. « Nous supprimons chaque jour des millions de messages et de canaux nuisibles », a-t-il affirmé dans un long message.
Le parquet de Paris n’est pas du même avis. Dans son communiqué (PDF), le procureur a pointé deux motifs justifiant d’agir maintenant : d’une part, la présence de Telegram « dans de multiples dossiers portant sur différentes infractions (pédocriminalité, trafics, haine en ligne) », et, d’autre part, « la quasi-totale absence de réponse de Telegram aux réquisitions judiciaires ». Et on ne peut ignorer le fait que Telegram soit souvent le choix préféré des criminels pour communiquer.
Si tous les réseaux sociaux rencontrent des soucis de modération et de détournements par des organisations criminelles, aucun n’a acquis une telle popularité auprès des malfrats et surtout des cybercriminels.
Une application personnalisée par les hackers du quotidien
Telegram s’appuie sur un réseau de serveurs décentralisés. L’entreprise peut bien évidemment fouiller dans les échanges, faute de chiffrement de bout en bout par défaut, mais les données ne sont pas stockées dans un ou plusieurs data centers centraux comme le ferait Meta ou TikTok par exemple.
Cette architecture dispersée, combinée à une interface fermée – pas besoin de quitter l’appli pour un autre service – et un chiffrement optionnel en fait une application privilégiée par les populations dans de nombreux pays autoritaires (Russie, Iran), ainsi que les criminels en tout genre.
« On reste cloisonné sur l’infrastructure pour trouver ses informations. Même lorsque l’on se rend sur le darknet, on emprunte des nœuds qui peuvent être surveillés. Cela ne veut pas dire que Telegram est entièrement opaque, mais l’appli évite déjà de disséminer des données » nous explique Matthieu Dierick, expert pour la société de cybersécurité F5.
L’autre avantage, détourné, est la personnalisation de l’application. Le propriétaire d’un canal peut ajouter de nombreuses fonctionnalités, dont l’intégration de bot pour offrir des modules automatisés aux abonnés de la chaîne. « Résultat, on trouve des bots pour tout sur Telegram aujourd’hui. On peut faire tomber le site d’une mairie en payant un service, On peut lancer une campagne de phishing sur commande, On peut trouver des fuites des données », nous liste Amaury Garçon, analyste de la menace chez Sekoia.io.
Des vidéos de crimes de guerre mis en avant sur des chaînes
Pour les cybercriminels du quotidien, Telegram est devenu un outil quasi immanquable. Les hacktivistes font la promotion de botnets, des réseaux d’ordinateurs infectés, qui servent à lancer des attaques, directement sur l’application. Telegram offre un point de contact entre les logiciels malveillants et les utilisateurs qui peuvent donner des consignes sans sortir de l’application. « Cette fonctionnalité et cette personnalisation d’interface ne se trouve nulle part », constate Amaury Garçon.
Dans une précédente enquête, Numerama a découvert un canal pour créer des deepfakes à caractère pornographique à la chaîne. La vente de drogue est également massivement présente sur la plateforme, les narcotrafiquants s’en servent particulièrement pour faire la promotion de leur business. « La modération est quasi inexistante sur Telegram. Les autres réseaux sociaux ont certes des soucis, mais il n’y a pas un tel laisser-aller dans le contenu », pointe du doigt Matthieu Dierick.
Invasion du Haut-Karabagh, invasion de l’Ukraine par la Russie, guerre entre Israël et le Hamas, c’est sur Telegram désormais que l’on trouve les images plus violentes de chaque camp armé. Certains canaux russes font même la promotion des tortures et autres crimes de guerre des soldats russes, notamment ceux de la milice Wagner, connue pour sa cruauté avec les prisonniers et les civils.
Rappelons par ailleurs que Telegram n’a pas répondu aux autorités françaises après la publication d’une vidéo de viol d’un bébé commis en France, selon les infos du Parisien. « J’espère que les derniers évènements feront de Telegram un réseau social plus sûr et plus solide » conclut Pavel Durov, dans son long plaidoyer. Le message arrive peut-être un peu tard pour attendrir les juges.
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