« On sent poindre un vent d’abdication : la télévision serait finie. Il serait trop tard. Il n’y aurait plus qu’à laisser les GAFA (sic) et Netflix conquérir tout l’espace », écrivait Delphine Ernotte le 14 novembre dans une tribune pour Le Monde.
À ce triste constat pour le service public, corroboré par de nombreux analystes depuis l’émergence des nouvelles consommations des contenus, la présidente de France Télé voudrait répondre par du volontarisme. Depuis la refonte de France TV, le service qui a remplacé Pluzz.fr, le groupe public promet d’avancer vers une plateforme de vidéos par abonnement à-la-Netflix pour les programmes du groupe.
« Ce n’est pas une partie de plaisir »
Attendue cet octobre, la plateforme a pris du retard. Le défi serait techniquement très compliqué pour l’entreprise, qui avait déjà dû externaliser la refonte de ses services Internet et rencontrerait maintenant des difficultés à obtenir l’expérience utilisateur voulue.
Certaines hésitations résidant sur la plateforme France TV, qui a d’abord été livrée avec la technologie Flash d’Adobe bien que celle-ci soit obsolète ou a reculé sur l’identification obligatoire au service, iraient dans le sens d’un décalage entre les ambitions affichées et les compétences. Dans Les Echos, un observateur tranche : « L’entreprise est loin d’avoir les ingénieurs de Netflix, or, dans la SVoD la technologie est capitale ». Selon nos informations, c’est l’entreprise européenne Arkena, résultant de la fusion des filiales de TDF Media Services, qui devrait s’atteler à la lourde tâche.
Pour Numerama, Gilles Pezet, responsable du Pôle Économie des Médias Numériques de NPA Conseil ajoute : « Ce ne sera pas une partie de plaisir, ce sera compliqué et techniquement un défi, mais il serait dommage de manquer cette opportunité ». Pour cet analyste de la télévision, les planètes sont alignées depuis maintenant plusieurs années pour qu’une telle offre s’impose : « Ils arriveront tard sur un marché déjà très occupé, mais en France, la dynamique du marché de la SVoD est portée par Netflix qui propose, sur l’ensemble de son catalogue, moins de 10 % de contenus locaux ».
Alors que CanalPlay perdrait des abonnés après avoir vu son offre être intégré de manière exclusive à un nouvel abonnement Canal+, les fictions françaises et leur public chercheraient leur plateforme.
« Éclaircir certaines équations »
Le Sénat, dans un rapport à paraître, conseillerait à France Télé de choisir une position tarifaire inférieure à celle de Netflix : selon Les Échos, le prix de 6,99 € serait à l’étude. Mais là encore, le flou demeure : certains évoquent un modèle pluriel qui pourrait comprendre un service gratuit et un abonnement. La patronne du groupe a ainsi cité l’exemple de l’Américain Hulu dans sa réponse au gouvernement après la publication d’un document interne du Ministère de la Culture par Le Monde. Ces hésitations conduisent à renforcer les doutes sur la démarche du groupe qui doit rendre sa copie dès l’année prochaine.
En outre, toujours du côté des finances, M. Pezet évoque les deux millions d’euros de budget que France Télé aurait réservé à son service : « Alors que les contenus coûtent de plus en plus cher, il faudra éclaircir certaines équations ». Notamment parce que l’entreprise ne compte pas créer une extension premium de son service de rattrapage, mais bien une plateforme aux contenus attractifs et, peut-être, originaux. Des programmes exclusifs qui pourraient naître grâce à des partenariats avec le privé, et des acteurs européens selon Mme Ernotte.
La pression des pouvoirs publics s’accentue en parallèle. Le président de la République a fait d’un Netflix européen une promesse alors qu’à Bruxelles, le projet revient depuis des années sur la table. France Télé s’estime prêt à s’engager dans cette direction, sans que la position de son futur service ne soit lié à cette décision : serait-ce alors un essai ou une offre de plus pour coller à l’agenda politique ?
Chez NPA, M. Pezet soulève certaines barrières réglementaires qui commencent à être discutées pour ouvrir le champ vers un géant européen, « qui pourrait très bien venir du privé, il faut regarder aussi ce que peuvent faire les groupes privés comme Vivendi ».
L’exemple allemand
En attendant, alors que de nombreuses questions restent en suspens, les exemples européens de SVoD localisés ne manquent pas : en Scandinavie, Viaplay du network privé MTG cherche sa voie, quand en Allemagne Maxdome de ProSieben fête ses premiers contenus exclusifs.
Avec un million d’abonnés, la plateforme allemande n’a pas trouvé sa rentabilité et retarde sans cesse cette échéance. Mais le groupe télé historique tient bon et s’estime toujours prêt à tutoyer les gros de la SVoD avec un catalogue comprenant la prolixe production allemande de ces dernières années, là où Netflix et Amazon ne comptent que quelques programmes locaux… jusque-là. Amazon dévoilait il y a peu You Are Wanted, une série dramatique allemande, et Netflix va dévoiler Dark le 1er décembre. Comptez sur les géants de la tech américains pour s’insérer sur des marchés prometteurs inexploités.
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