La Conférence de Munich avait lieu le dimanche 19 février en Bavière. Les grands du monde y viennent s’alerter et prendre la mesure de leurs armements respectifs en vue d’assurer un monde plus sûr. Entre tensions géopolitiques et cyberguerre de l’ombre, le tableau était funeste en ce début d’année électorale.

La Bavière est encore plongée dans la brume ce lundi matin quand les derniers diplomates quittent Munich après une Conférence sur la sécurité placée sous le signe de la suspicion. Véritable rendez-vous des puissants, ce Davos de la sécurité est habituellement l’occasion de vendre des armes et de dealer les prochaines pacifications d’un monde instable. Mais cette année, la suspicion grandissante entre Washington et Bruxelles jouait les troubles-fêtes.

Et entre les lignes, qui se sont refroidies des deux côtés, un trio de sujets prioritaires dans la tête des diplomates européens : la Russie, la Syrie, la Cyberguerre. Un véritable triptyque qui se présente au monde comme les trois actes d’une même pièce, trois menaces liées par la même nouvelle ligne qui se dessine sur l’horizon du monde : l’essor d’une bi-polarisatisation belliqueuse des relations internationales.

Secretary of Defense Jim Mattis attends the Munich Security Conference in Munich, Germany, Feb. 17, 2017. (DOD photo by U.S. Air Force Tech. Sgt. Brigitte N. Brantley)

Le secrétaire à la défense Jim Mattis à la Munich Security Conference (MSC), Munich, 2017. (DOD photo by U.S. Air Force Tech. Sgt. Brigitte N. Brantley)

Washington hésitant, l’Europe à l’offensive

En cinquante-trois années de réunion à Munich, on pourrait croire les grandes-puissances rodées à cet exercice délicat de prise de pouls des déterminations militaires et sécuritaires des nations. Et pourtant, ce dimanche, même la première puissance mondiale semblait chancelante. Face aux appels insistants des européens, notamment au travers de la voix de l’Allemagne de Merkel, Washington a fait preuve d’un flou presque artistique sur ses positions.

Maison Blanche Washington USA

D’un côté, la perplexité régnait lorsque Mike Pence, Vice-Président des États-Unis, assurait l’OTAN de son soutien « inébranlable ». De l’autre, la crise engagée par M. Trump avec l’Union Européenne a été ostensiblement évitée par un Pence peu bavard et qui ne fit aucune mention de Bruxelles. Sur la question syrienne, le silence gênant de la Maison Blanche fit également grand bruit : après un mois passé face au Capitole, l’administration Trump est toujours aussi obscure sur cette question qu’à son entrée en fonction.

Pour de nombreux diplomates et analystes, ce manque de clarté viendrait de deux facteurs qui empoisonnent la vie de Washington depuis la passation. Premièrement, la versatilité du Président rend ses conseillers et ses proches hagards, et l’administration en tant qu’entreprise humaine prend un temps certain à se mettre en dynamique de marche. Et deuxièmement, le sujet russe est tant nié par l’administration que la suspicion des partenaires des américains n’en est qu’exacerbé. À tenter d’éloigner la question russe et de l’éviter pour se protéger d’autres cas comme la démission de M. Flynn, l’administration ne peut pas rassurer… ni les russes, ni ses partenaires européens.

Mike Pence, Credit : MSC

Mike Pence, Credit : MSC

Or derrière chacun des sujets qui ont animé Munich ce dimanche, la silhouette de la Russie se dessinait. En Syrie, la fédération joue désormais les arbitres en lieu et place de la scène internationale. En Europe de l’Est, ses provocations sont encore ignorées… mais pour combien de temps ? Et enfin, alors que cette année Munich s’imaginait diversifier ses sujets pour inviter les grands experts de la cybersécurité, c’est encore à la Russie que les Occidentaux pensaient.

La présence du très volubile Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères de la fédération de Russie, n’a en rien apaisé cette crispation sourde. Lui qui était là pour affirmer l’émergence d’un « ordre mondial postoccidental » n’a fait qu’inquiéter davantage une assemblée déjà sur le qui-vive depuis les élections américaines.

La cyberguerre est une guerre comme une autre

Car si les grands de la sécurité informatique, au même titre que l’industrie des armes, sont des habitués de Munich, cette année, tous avaient le vent en poupe. On croisait dans les couloirs les noms connus de l’anti-virus, mais également de la tech et de l’électroménager, tous réunis pour servir aux chefs d’états une expertise, alarmiste, sur la menace informatique pesant sur la stabilité mondiale. Car à l’instar de la course à l’armement qui prend une nouvelle ampleur au moment où les discussions feutrées de diplomates se corsent, la course à un armement pour lutter contre une cybergguerre dont les premières victimes sont déjà tombées ne fait que commencer.

En guise d’amuse-bouche sinistre, les diplomates et chefs d’état ont eu droit durant leur journée passée à Munich à une simulation de cyberincident dont la cible était non pas une infrastructure critique, mais tout simplement une démocratie. Attablés quelques heures plus tôt autour de cette même question, les langues se sont déliées entre européens et sénateurs américains.

En guise d’amuse-bouche sinistre, les chefs d’Etat ont eu droit à une simulation de cyberincident

Alors que la France a récemment utilisé sa voix la plus institutionnelle pour prévenir toute attaque informatique à l’encontre du bon déroulé de la présidentielle et que l’Allemagne ne cache plus ses accusations en direction du Kremlin, les américains déroutés par le laxisme de Trump à l’égard de la Russie ont également soufflé sur les braises.

« Nous ne faisons pas assez pour enquêter sur les tentatives engagées par la Russie pour influencer l’élection américaine. La Russie a peu payé pour cela », a estimé le sénateur américain démocrate Christopher Murphy, en référence au statu quo de la Maison Blanche depuis le départ d’Obama. La républicaine Lindsey Graham est allée plus loin encore en lançant, cynique, à ses partenaires : « Chers Allemands, vous êtes les prochains. Français, ils sont en train de s’en prendre à vous ». Ils ? les Russes évidemment.

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Le Kremlin a été accusé de tous les maux par les européens : la présidente de l’Estonie a rappelé son souhait de voir une coopération du vieux continent pour lutter contre les fake news et l’ingérence informatique. Angela Merkel, toujours à l’aise sur le sujet, n’a pas tardé à répondre à la cheffe d’état, laconique : « Nous savons que la Russie est très activement engagée et que, pour elle, la cyberguerre est un moyen légitime de sa politique, qu’elle est sur son agenda  ».

Peu déstabilisé, le ministre Lavrov a préféré ignorer les accusations à l’encontre du Kremlin pour pointer du doigt les États-Unis et la CIA visés depuis le 16 février par WikiLeaks. Le site décidément très apprécié sur les rives de la Volga aurait révélé un espionnage de l’élection présidentielle française de 2012. Or pour le ministre, il s’agit d’une preuve que l’Europe doit accuser son allié américain plutôt que la Russie. Avant d’ajouter, à la manière de Poutine : « Quand on nous accuse, personne n’est en mesure d’expliquer les faits. »

Derrière cette bataille de postures, la réalité de la cyber-uerre se fait de plus en plus certaine. Signe d’une prise de conscience généralisée, l’OTAN a profité du sommet pour diffuser son nouveau « Manuel de la guerre de l’information russe » destiné aux administrations alliées qui devront, dès aujourd’hui, lutter contre une guerre bloc contre bloc qui rappelle forcément la Guerre Froide.

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Ce document rédigé par Keir Giles met en évidence différents scénarios que la Russie pourrait mettre en place pour heurter les démocraties. Le britannique y explique ainsi, sans détour, que le Kremlin est désormais en mesure de cibler chaque citoyen : « Il semble que la Russie développe un nouveau type de campagne, en testant et en accumulant des moyens en matière de ciblage des personnes récepteurs , d’une façon massive mais sur une base individuelle. L’OTAN devrait se préparer à la diffusion de faux messages sur une échelle de masse, adressés nominativement à des individus, messages qui apparaîtront comme venant de sources de confiance, connues personnellement par ces individus. » (l’intégralité du document, non traduit, est disponible ici)

L’analyse de M. Giles est corroborée par différentes attaques déjà menées par la Russie comme le rappelle Nathalie Guibert. En décembre 2015, des attaques contre les infrastructures électriques ukrainiennes permettaient à la Russie de tester ses premières campagnes téléphoniques de masse. Durant cette attaque, les faux appels passés par les forces russes déconseillaient aux ukrainiens de contacter leur fournisseur d’électricité : l’objectif de l’expérience était bien sûr de mesurer l’impact que pouvait avoir ce type de frappes sur la population. Si au plus fort de la crise ukrainienne, le Kremlin pouvait déstabiliser la population et organiser la panique, la guerre comme on la connaît prendrait un nouveau sens.

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Il n’y avait finalement que le désormais cinquantenaire Eugène Kapersky pour se réjouir de cet état du monde. Aussi radieux qu’un vendeur d’armes à l’aube d’un conflit, ce pionnier russe de la sécurité informatique ne cachait pas son enthousiasme pour l’avenir de cette guerre souterraine. Jusqu’à glisser, réjouit : « Il est plus facile pour les Russes d’attaquer, car ils sont plus professionnels ; les hackeurs et les cybercriminels russes sont les pires. Mais, les ingénieurs russes du software sont eux, les meilleurs. »

Le message est clair pour les Occidentaux : terrifiés par la Russie ? Achetez russe.


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