En 2014, Jean-Jacques Urvoas voulait rassurer en jugeant impossible que la France instaure un « régime d’exception » façon Patriot Act à la française, en raison de la Constitution et des engagements internationaux de la France. Deux obstacles facilement contournés avec l’état d’urgence.

Nommé au ministère de la Justice en remplacement de Christiane Taubira, le nouveau garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas est plus exposé que jamais. Celui qui a été l’architecte de la loi Renseignement devra démontrer à ceux qui redoutent ses penchants pour les lois sécuritaires et sa proximité avec les services de police qu’il sait aussi être le garant du respect des droits et des libertés, comme sa fonction l’oblige.

Il faudra alors que Jean-Jacques Urvoas se remémore que la lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier dans la restriction des droits. Lui-même l’écrivait dans une tribune publiée par Le Monde en janvier 2014, lorsqu’il s’attaquait à ceux qui redoutaient les pouvoirs de surveillance accrus permis par la loi de programmation militaire (LPM) :

En premier lieu, il semble pour le moins aventureux de tirer prétexte des cibles concernées par ce dispositif pour invoquer une « surveillance généralisée », à moins de considérer qu’une majorité de nos concitoyens œuvre à la destruction de notre système démocratique. Rappelons-le, seuls les terroristes, les espions ou les factieux seraient légitiment en mesure de se plaindre d’une potentielle atteinte à leurs libertés individuelles ! Et à ceux qui pointent du doigt la dérive opérée par la NSA sur la base des mêmes motifs, nous rappellerons que la France n’a jamais institué un régime d’exception (à l’instar du Patriot Act) et qu’elle n’en aurait d’ailleurs pas les moyens constitutionnels ou juridiques – en raison notamment des obligations découlant de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que notre pays a signée et ratifiée.

Moins de deux ans plus tard, les attentats de janvier et de novembre 2015 étant passés par là, ce qui semblait inconcevable pour Jean-Jacques Urvoas s’est bel et bien produit. La France a mis en place l’état d’urgence qui est bien un « régime d’exception », et c’est même M. Urvoas lui-même qui a été le rapporteur de la réforme législative. Elle permet notamment de perquisitionner de jour comme de nuit chez un individu sans autorisation judiciaire, et d’utiliser ses téléphones ou ordinateurs pour accéder à toutes ses données stockées sur le Cloud, et les copier.

La France déroge aux droits de l’homme

Le même état d’urgence a été exploité pour neutraliser des mouvements d’opposition à la COP21, à partir de notes blanches des services de renseignement qui ne surveillent pas que « les terroristes, les espions ou les factieux ».

Mais surtout, la France s’est bien découvert « les moyens constitutionnels ou juridiques » de le faire. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) n’a pas été un problème puisque la France a notifié à la Cour son intention de déroger aux droits de l’homme, comme l’autorise le traité sous certaines circonstances. Ce faisant, elle n’a plus à respecter totalement ses engagements, notamment en terme de protection de la vie privée.

Par ailleurs l’obstacle constitutionnel n’en a pas été un non plus. Déjà parce que le Premier ministre Manuel Valls a demandé que le Conseil constitutionnel ne soit pas saisi, ensuite parce que les obstacles posés par la Constitution font en ce moment-même l’objet d’une réforme de cette Constitution.

Voilà pourquoi l’attitude de la France inquiète les experts en droits de l’homme de l’ONU. Reste à Jean-Jacques Urvoas d’apporter des gages, ce qui n’est pas gagné s’il reprend en l’état le projet de loi de réforme pénale déjà préparé par la Chancellerie, qui ne fera qu’aggraver la situation.


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