Incroyable et pourtant vrai. La ministre de la Culture Christine Albanel a rencontré Free vendredi pour conditionner l’obtention d’une licence 3G à la collaboration de l’opérateur dans la lutte contre le piratage, en pointant du doigt un service pourtant légal et légitime. L’industrie culturelle, bien sûr, applaudit en choeur la ministre…

On pensait avoir à peu près tout vu avec l’ancien ministre de la Culture Renaud Donnedieu de Vabres. La nouvelle hôte de la rue de Valois, pourtant, fait encore pire que son prédécesseur dans l’obédiance aux grands lobbys français de l’industrie culturelle. « Ensemble tout devient possible », avait prévenu pendant sa campagne Nicolas Sarkozy. On ne l’avait pas pris assez au sérieux.

Voyez-vous donc. Vendredi, Christine Albanel a convoqué le PDG d’Iliad (maison mère de Free) dans son ministère pour lui manifester « sa réticence face aux nouvelles caractéristiques du service de partage de dossiers volumineux de Free, +dl.free.fr+ qui permet de transporter des fichiers beaucoup plus volumineux« . Quelques jours seulement après que la Société Civile des Producteurs de Phonogrammes en France (SPPF), lobby des maisons de disques « indépendantes », se soit émue publiquement de voir ainsi le fournisseur d’accès rendre service à ses clients (voir à ce sujet notre article du 3 octobre 2007). Ce service, rappelons-le, permet aux internautes de stocker et partager entre amis des fichiers volumineux, sans que Free n’intervienne dans le contrôle des fichiers échangés. Demande-t-on à la Poste d’ouvrir chaque colis qu’elle transporte et de poster des chiens renifleurs à chaque centre de tri ?

Christine Albanel ne connait pas l’Histoire…

Assimiler ce service qui s’inscrit dans la progression naturelle de la technique de communication à un simple service de piratage au détriment de l’industrie culturelle est aussi inconscient et maladroit qu’un décret américain de 1922, qui avait interdit aux radios de diffuser de la musique à l’antenne. A l’époque, le ministre du commerce des Etats-Unis avait lui-aussi écouté les industriels du disque, qui voyaient dans la radio l’outil diabolique qui les empêcherait de vendre des disques… Albanel est pire encore. Elle demande « la restriction effective » voire « la suppression pure et simple du service », et oublie que derrière sa mission de protège-paillettes se trouve aussi sa mission de ministre de la Communication, qui se doit de favoriser le développement des nouvelles techniques de communication en France.

Pire, confusion totale des genres, alors que l’ARCEP a refusé la candidature de Free à la quatrième licence 3G pour des motifs financiers, la ministre a indiqué que « l’engagement tangible de Free dans la lutte contre le piratage est un prérequis essentiel à l’examen de leur dossier d’attribution d’une 4e licence de téléphonie 3G ». Il s’agit là d’un chantage gouvernemental à une société privée, qui ne s’appuie pourtant sur aucun texte de loi. Pour le moment, mais la mission de Denis Olivennes devrait suggérer d’y remédier, l’ARCEP ne dispose pas du droit de regarder la politique anti-piratage des opérateurs comme critère d’attribution et de régulation des fréquences.

Evidemment, on ne s’étonnera pas que les lobbys de l’industrie du disque et du cinéma se soient immédiatement réjouis de ce que la ministre ait suivie leurs recommandations à la lettre. La Sacem a déclaré apporté son « soutien » à la position de Christine Albanel, tout comme la Société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs (ARP) et la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD). Tous mitraillent Free, qui n’a pas réagi officiellement à cette fronde et au chantage dont il fait l’objet.

Renaud Donnedieu de Vabres était nul et incompétent, mais il avait au moins la qualité d’être maladroit et lâche et d’être ainsi relativement inoffensif. Christine Albanel, qui a transformé le Château de Versailles en parc d’attraction au détriment de la préservation du patrimoine, est visiblement toute aussi nulle et incompétente, mais assume clairement d’être la caniche des lobbys culturels. Bienvenue à Sarkoland.


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