Dans "Main Basse sur la Culture" (éditions La Découverte), l'ancien patron de la FNAC raconte que c'est en faisant une blague à son fils qu'il a été convaincu de l'utilité de proposer l'instauration d'une riposte graduée en France.

Ce mois-ci paraît aux éditions La Découverte le livre "Main basse sur la culture", signé par Michaël Moreau et Raphaël Poirier. Le livre se propose de révéler "les coulisses de la culture en France", en mettant à jour ses réseaux d'influence et d'argent à travers les interviews d'une centaine de producteurs, grands patrons, cinéastes, responsables politiques ou artistes. Parmi eux figure Denis Olivennes, l'ancien patron de la FNAC qui avait négocié en 2007 les fameux accords Olivennes entre les ayants droits et l'Etat, pour présider à l'adoption de ce qui allait devenir la loi Hadopi.

Les accords prévoyaient la création d'une autorité administrative "dotée des moyens humains et techniques nécessaires à l'avertissement et à la sanction" du partage de fichiers piratés sur les réseaux P2P, et prévoyait qu'elle puisse prendre des "sanctions à l'encontre du titulaire de l'abonnement, allant de l'interruption de l'accès à Internet à la résiliation du contrat Internet". En 2010, Olivennes avait affirmé avoir agi "pour son pays" lorsque Nicolas Sarkozy lui a demandé de mettre sur pieds ces accords, pour enterrer le "jeunisme" de la licence globale dénoncée par l'ancien président de la République.

Mais dans "Main Basse sur la Culture", dont les bonnes feuilles sont relayées par le Journal du Net, l'actuel patron directeur d'Europe 1 raconte un nouveau versant de l'histoire :

Je revenais des États-Unis, où j'avais rencontré des câblo-opérateurs qui avaient mis en place un système de riposte graduée. Le pourcentage très faible de récidive m'avait impressionné. En rentrant, découvrant que mes fils pirataient, j'ai envoyé une fausse lettre à l'un d'eux avec un exergue donnant l'impression d'être officielle, du genre En vertu de l'article L. 122-12 de la loi du 18 juillet 1943, patati patata, vous êtes exposé à une sanction de tant d'euros… En plus, comme je savais ce qu'il avait téléchargé, la lettre se poursuivait avec une description minutieuse des films piratés, avec la date et l'heure précises. J'ai mis la lettre à son nom dans la boîte. Quand il l'a ouverte il est devenu tout blanc et il a dit : P…, c'est fini, j'arrête ! J'ai vérifié in situ que le dispositif fonctionnait… (…)

Hadopi, c'est exactement le même procédé.

Résultat : nous sommes sept ans plus tard et la blague familiale de la riposte graduée étendue à des millions de Français a tellement bien fonctionné qu'il faut désormais tenter de colmater les brèches bien plus graves que la loi Hadopi a contribué à creuser. Le piratage n'a pas tellement reculé (le P2P ayant baissé au profit du streaming et du DDL qui ont explosé), mais il est désormais fait avec un intérêt commercial décuplé. Il profite souvent à des acteurs installés à l'étranger. Alors que cela fait bien plus de sept ans que l'on répète à hue et à dia que la solution réside exclusivement dans une meilleure offre légale, ce que la sortie de Netflix en France n'a fait que mettre en évidence, sept ans plus tard.

Mais peut-être que si, au lieu d'envoyer une lettre menaçante à son fils qui n'était sans doute pas le porte-monnaie vide, Denis Olivennes lui avait demandé ce qu'il trouvait d'attractif dans les offres illégales, l'histoire aurait-elle pu s'écrire autrement. Mais elle aurait alors obligé la FNAC à penser sa propre offre légale plutôt que de compter sur le bâton des pouvoirs publics.

(illustration : CC @Fondapol)


Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.