Alors que les voitures automatisées de Google ont suscité un vif intérêt, les constructeurs automobiles se montrent très discrets sur le sujet. Ils y travaillent pourtant, à une vitesse beaucoup plus importante que l’on ne pouvait l’imaginer. Renault envisage de mettre au point des voitures à « conduite déléguée » dès les années 2015 à 2018. Mais au moins dans un premier temps, le pilotage automatique ne sera mis en oeuvre que dans certaines situations spécifiques.

C’est un vieux rêve de la science-fiction en passe de devenir réalité. À l’heure où les automobiles embarquent toujours plus d’électronique et de connectivité aux réseaux de télécommunication, des recherches démarrées il y a de nombreuses années sont sur le point de donner vie à la voiture de demain. Sa caractéristique ? Être capable de se déplacer seule, sans l’intervention d’un conducteur.

Dans ce domaine, les États-Unis ont un pas d’avance, et particulier grâce à Google et ses fameuses « Google Cars ». En effet, cela fait déjà deux ans que la firme de Mountain View a dévoilé son projet d’auto sans pilote. Et les tests effectués jusqu’à présent s’avèrent très concluants. Aucun incident n’est à déplorer, en dehors d’un banal accrochage où c’est un automobiliste qui avait le contrôle.

En matière législative, les choses bougent aussi outre-Atlantique, en particulier en Californie et au Nevada. Les pouvoirs publics de cet État ont ainsi autorisé début mai la première immatriculation pour un véhicule autonome. Autrement dit, le Nevada considère que la Google Car – qui n’est autre qu’une Toyota Prius bourrée de radars, de capteurs et de caméras – est bonne pour le service.

Mais si les USA sont des pionniers dans ce domaine, qu’en est-il en France ? Les constructeurs nationaux voient-ils dans ces recherches un débouché commercial ? Google conduit-il des travaux similaires dans l’Hexagone ? Si non, quelles sont les expérimentations actuellement en cours ? Et quels sont les principaux obstacles techniques et réglementaires rencontrés ?

Numerama a mené l’enquête en interrogeant les principaux acteurs concernés.

Des recherches qui remontent à la fin des années 1990

Si Google fait aujourd’hui du bruit dans les médias avec sa voiture automatisée, les projets-pilotes visant à faire circuler des véhicules sans conducteur n’est pas nouvelle, loin s’en faut. Dès les années 1990, des expérimentations et des démonstrations se sont déroulées en France. Dernièrement, c’est la ville de La Rochelle qui s’est illustrée, avec la mise en place dès 2008 d’un système de transport baptisé « Cybercars » (.pdf).

Par ailleurs, les publications scientifiques ont suivi au rythme des avancées dans ce domaine, à l’image du rapport « la route automatisée : un scénario périurbain » publié en 2001 par le laboratoire sur les interactions véhicules infrastructure conducteurs (LIVIC), rattaché à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR).

À titre d’exemple, le LIVIC travaille sur un projet d’Automatisation Bassive Vitesse (ABV) et est l’un des trois partenaires du projet de voiturier automatique (MIL). Par ailleurs, le laboratoire a également participé au projet européen Have-It qui consiste à développer un système de copilote qui coopère avec le conducteur. Mais il existe aussi des projets nationaux comme SCOREF et CODRIVE (.pdf).

Il existe donc en France un travail approfondi en matière d’automatisation de la conduite. Celle-ci se concrétise déjà partiellement, à travers des initiatives comme Cybercars. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant au regard du rôle joué par l’automobile dans la société. Mais qu’en est-il de l’automatisation complète du véhicule, à l’image de la Google Car ?

Pas de Google Car en France…

Interrogé à ce sujet par Numerama, Google nous a expliqué qu’aucun projet similaire n’est en vigueur dans l’Hexagone. La Google Car est en effet un projet très expérimental qui n’a pas de véritable vocation commerciale. Officiellement du moins. Aussi, aucun test n’est mené par la firme américaine en dehors des États-Unis et, par conséquent, la législation américaine est la seule qui importe aujourd’hui.

Il n’en demeure pas moins que cette position pourrait être amenée à évoluer. On sait par exemple que Google projette d’utiliser ces autos dans le cadre de Street View, son service de cartographie urbaine, bien que la firme reste très discrète sur les éventuels tests de logiciels et produits Google au sein des Google Cars. Pour l’instant, en tout cas, ces voitures ne sont pas totalement vides : deux personnes s’y trouvent à chaque essai.

… mais La France n’est pas en reste

Si Google ne conduit aucun test de ce type en France, d’autres acteurs travaillent malgré tout sur la voiture automatisée. Le constructeur français Renault a ainsi reconnu suivre de très près le projet de Google, tout en faisant ses propres recherches parallèles. L’industriel juge que la « délégation de conduite » est en effet la suite logique de la progression de l’électronique embarquée dans les voitures.

C’est d’ailleurs une tendance lourde pour le secteur automobile, en témoigne le lancement du projet VeDeCoM dans les Yvelines qui regroupe des entreprises comme PSA Peugeot Citroën, Renault ou Valeo, mais aussi des PME, des écoles, des centres de formation ou encore des laboratoires et des centres de recherche, comme l’INRIA ou l’iRSEEM.

Dans l’immédiat, le passage à l’automatisation de la conduite n’est pas encore envisageable. Mais les briques technologiques sont déjà là. Le challenge, nous explique le directeur du laboratoire LIVIC, Jacques Ehrlich, « c’est d’atteindre un niveau de fiabilité comparable à l’aérien ou au ferroviaire mais au coût de l’automobile« . Donc très abordable. Et pour cela, il faudra accumuler beaucoup d’heures de conduite.

Accumuler les kilomètres et l’expérience

C’est aussi ce que nous a expliqué Rémi Bastien, en charge de la recherche et de l’innovation chez Renault. Si un homme est capable de réagir et de s’adapter à une situation nouvelle et jamais rencontrée auparavant, c’est une autre paire de manche pour la machine. Celle-ci a une capacité d’apprentissage plus limitée et, dans le fond, ne fait que réciter une leçon, qu’importe la complexité de son programme.

Dans la mesure où la machine n’a pas encore la capacité de réagir à quelque chose qui n’est pas prévu par le programme, il est essentiel que ses concepteurs la fassent travailler énormément afin de réduire le nombre de situations imprévues. Dans le cas des voitures automatisées, il s’agit de les faire rouler pour accumuler de l’expérience à intégrer dans le programme final.

Dans le domaine de l’aérien, le pilotage est aujourd’hui fortement automatisé. Mais pour arriver à ce stade, il avait fallu un temps considérable avant que la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) et les instances internationales acceptent une telle transition. On peut le comprendre, vu l’enjeu. Aussi, les quelques 200 000 kilomètres parcourus par les Google Cars ne sont qu’une première étape.

Les autoroutes et les parkings, des zones idéales

Cependant, la voiture automatisée pourrait arriver plus vite qu’on ne le croit, avec une utilisation partielle de la technologie selon les situations. Certaines zones de circulation présentent en effet des caractéristiques intéressantes pour déployer rapidement la délégation de conduite. C’est le cas des parkings, où la vitesse de circulation est minimale, mais aussi des autoroutes, où le tracé des voies a été pensé de manière à assurer une sécurité optimale et une conduite simplifiée.

Dans le futur proche, le conducteur pourrait laisser sa voiture à l’entrée d’un parking tandis que celle-ci va automatiquement se garer. La technologie est prête, et le risque très limité puisque le freinage est quasiment immédiat en cas d’obstacle ou d’imprévu.

Du côté des autoroutes, il y a également de grandes possibilités selon Renault. Le trafic est en effet assez simple à intégrer dans le logiciel de conduite, mais encore faut-il que les conditions soient excellentes et toutes réunies : un trafic léger voire inexistant, une météo favorable, une conduite de jour.

Selon Rémi Bastien, ces deux cas de figure se concrétiseront en moins de dix ans (entre 2015 et 2018).

L’IFSTTAR évoque aussi une troisième hypothèse où la conduite automatisée pourrait arriver très vite. « L’application qui semble la plus prometteuse à moyen terme est l’automatisation à basse vitesse dans des situations de congestion« . C’est-à-dire les embouteillages. « C’est dans ce contexte que la conduite est particulièrement pénible et que les conducteurs sont prêts à déléguer la tâche de conduite à un automate« .

Le défi des zones urbaines et périurbaines

Les trois situations citées précédemment se situent à des extrêmes du spectre de la conduite automatisée. Mais qu’en est-il de la circulation dans les villes ? Là, les choses se corsent. Les zones urbaines et périurbaines représentent le gros défi à résoudre pour les constructeurs qui se lancent dans l’automatisation de la conduite.

En effet, la difficulté réside dans la prise en compte de tout ce qui se passe dans l’environnement immédiat. Et celui-ci peut être le théâtre de nombreux imprévus. En plus de gérer la circulation et le code de la route, le système va devoir prendre garde aux piétons (souvent peu respectueux de la signalisation) et de tout changement soudain (un policier faisant la circulation, une ambulance se frayant un passage…).

Vu la complexité annoncée, l’automatisation pour les zones urbaines et périurbaines ne semble pas être en mesure de voir le jour avant une dizaine d’années. Mais, précise Rémi Bastien, dans la mesure où il s’agit d’une innovation en rupture, le calendrier est susceptible de s’accélérer, grâce au jeu de la concurrence. Si un industriel se lance, cela créera une dynamique : les autres suivront sans nul doute.

« Le passage du stade de la démonstration au stade de l’exploitation représente encore des efforts de recherche et de développement mais ce passage fait partie des évolutions envisageables à moyen terme. La commercialisation de ces véhicules sera différente de celle que nous connaissons aujourd’hui puisqu’ils ne seront pas utilisables en dehors des zones organisées pour les accueillir« , tempère d’ores-et-déjà le ministère des transports.

Une solution hybride : une voiture automatisée et pilotable

Si le développement de l’intelligence artificielle et l’arrivée massive de l’électronique dans les voitures permettent d’envisager l’automatisation des véhicules dans moins de dix ans, on voit que certaines situations ne seront pas résolues avant un certain temps. D’où l’idée de concevoir des véhicules hybrides, offrant à la fois un pilotage automatique et manuel.

« On peut imaginer des véhicules automatiques qui seraient conçus pour pouvoir rouler aussi avec un conducteur en dehors des zones de circulation automatique, mais la coexistence sur la même infrastructure de véhicules automatiques et de véhicules classiques avec un conducteur semble encore très « futuriste »« , explique le ministère des transports.

Reste à savoir comment la transition du pilotage automatique vers le manuel se fait. Et inversement. Une désactivation automatique induit un risque si le pilote n’est pas en situation de reprendre immédiatement le volant. Par ailleurs, si l’erreur humaine est un facteur que les sociétés modernes savent prendre en compte, une défaillance technique est inacceptable.

Le système doit se montrer impeccable. Il faut donc concevoir un système ayant une parfaite connaissance de l’environnement qui l’entoure et savoir prioriser ses actions et répondre d’abord à l’urgence, comme un enfant traversant la rue sans regarder. Les constructeurs automobiles eux-même sont convaincus de l’absolue nécessité de ces mesures de sauvegarde, car la question de leur responsabilité juridique se pose en cas d’accident causé lors d’un pilotage automatique.

La législation actuelle et future

L’arrivée des voitures sans pilote va dès lors nécessiter une évolution de la législation, tant au niveau national qu’international. Et si les lignes commencent à bouger aux États-Unis, le Vieux Continent n’est pas en reste. Des réflexions sont en effet déjà menées, car la voiture sans pilote implique un transfert de responsabilité.

Le conducteur devient simple passager avec ce type d’automobile tandis que le constructeur se retrouve exposé en tant que fournisseur du système de conduite automatisée. Actuellement, la Convention de Vienne sur la circulation routière expose dans son article 8 que « tout véhicule en mouvement […] doit avoir un conducteur » et « tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule« .

« La France est très active dans les travaux en cours à Genève pour faire évoluer cette convention« , nous a expliqué Jacques Ehrlich, car « l’automatisation est l’avenir de l’automobile dans certains contextes« .

Les infrastructures

Reste la question des voies et des équipements routiers. Les voitures automatisées nécessiteront-elles un investissement lourd ? Pas obligatoirement. « L’équipement des zones où il serait possible d’accueillir des véhicules automatiques sera certainement moins coûteux que ne le serait la construction d’un réseau de transport nouveau sur la même zone« , estime le ministère des transports.

Et les réseaux de communication sans fil joueront un rôle prépondérant, de voiture à voiture ou de voiture à infrastructure. Ces derniers « ouvrent de nombreuses perspectives pour les aides à la conduite : c’est ce qu’on appelle les systèmes coopératifs. Les applications sont très nombreuses et peuvent se classer en trois catégories : fonctions de mobilité, de confort et de sécurité« , souligne Jacques Ehrlich.

  • mobilité : gestion du trafic, optimisation du choix des itinéraires, gestion du transport multimodal, réduction des congestions, gestion optimale des systèmes d’autopartage, « smartgrid » pour les véhicules électriques…
  • confort : information routière, points d’intérêts, co-voiturage, services communautaires, événements divers…
  • sécurité : alerte sur obstacles, véhicules à contre-sens, accident, limitations de vitesse dynamique etc…

Et la maintenance ? Celle-ci aura « un coût non négligeable« , prévient le ministère, citant l’expérience acquise avec les escalators et les ascenseurs. Dès lors, il est probable que ces systèmes attirent avant tout les acteurs publics. Des acheteurs privés pourraient aussi y trouver un intérêt, mais ce marché « sera certainement spécifique« .


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