Tête de liste du Mouvement Démocrate en Ile-de-France pour les élections régionales, Alain Dolium a souhaité publier sur Numerama une (très) longue tribune sur sa vision du numérique. Nous la publions, non pas comme un soutien au candidat, mais pour la réflexion très poussée qu’Alain Dolium y exprime sur les liens entre la société et la technologie à travers notamment Hadopi, la Loppsi, ou la vidéosurveillance :

Après le Verdun d’HADOPI, l’Arcole de l’amendement 138, le pacte Condor d’ACTA et le Pearl Harbor de LOPPSI2 … il est peut être temps de penser à une paix entre hommes de bonne volonté. Autant de batailles désastreuses, autant de textes qui doivent nous interpeller sur notre rapport à la technologie et la défense d’anciens équilibres lors du passage au numérique.

Omnipotente ou soumise ?

Nombre de politiques ont pour conviction profonde que la technologie peut tout. Son omniprésence serait la solution à tous les maux de la société, la voie du progrès par définition. Moins les raisons ou les mécanismes leur sont connus, plus la conviction est forte. L’Angleterre et ses 2.5 millions de caméras de surveillance nous sont présentés comme un eldorado de la modernité maîtrisée. Le politique n’ayant pas le droit de prescrire des tranquillisants par camions, il se rabat sur les cameras de vidéosurveillance, par centaines de millions d’euros. Il n’y a que sur les collines d’Hollywood que la technologie est l’arme absolue de l’état au service de la justice.

L’absolu binaire est du domaine des ordinateurs tant qu’ils ne sont pas utilisés par des humains. A partir du moment ou un humain effleure le clavier c’est la déchéance : il ne devient qu’un outil à son service.

Arme ou outil ?

La technologie est souvent vécue comme une menace pour l’ordre politique. Certes elle est souvent mieux maîtrisée par les opposants en quête d’un nouveau territoire d’expression que par les détenteurs du pouvoir. Internet est infiniment moins bien contrôlé par le pouvoir qu’une télévision en perte d’audience, il est donc la cible de toutes les représailles. Le calculateur serait une arme puissante, et la bande passante ses munitions ?

La technologie est avant tout un outil, qui avec le temps servira toute la population avec équité. Outre que la tentative de muselage est aussi désespérée que vaine, elle handicape les utilisations futures de cet outil au service de tous, du développement économique, du savoir. L’ordinateur ne fait (au mieux) que respecter les ordres que nous lui donnons. Tenter de recréer le minitel ne nous aidera pas à affronter les défis futurs. Ou en serions nous si un chef de tribu avait détruit la première à feu sous prétexte qu’il n’en était pas l’inventeur et maître absolu ?

Vouloir brider la technologie en représailles témoigne d’une vision paranoïaque qui handicape notre avenir commun. La technologie est neutre et au service des humains, ses créateurs et utilisateurs.

Ingénierie sociale

J’adore la technologie, j’en ai fait mon métier. Mais savoir tirer le meilleur parti de la technologie revient parfois savoir utiliser son cerveau à la place. Les bons hackers le savent : l’ingénierie sociale n’a de limite que l’imagination. Les bons policiers aussi, heureusement.

Dans le cadre de la lutte contre les pédophiles, très rarement hackers eux mêmes, les policiers s’inscrivent sur des sites d’échanges sous une fausse identité. Jour après jour ils tentent de comprendre le réseau social, d’y avancer en gagnant la confiance de leurs cibles. La technologie n’est qu’un outil pour les pédophiles, il en est de même pour les policiers. De sa création à son utilisation, la technologie est dépendante d’un cerveau humain.

A chaque fois que nous allons utiliser une technologie, ou légiférer sur son utilisation, posons nous la question : Remplaçons nous des humains ? Ne rendraient ils pas un meilleur service pour le même investissement ? Leur discernement peut il avantageusement être remplacé par l’arbitraire chaotique d’un ordinateur ? Nous focaliser sur l’outil n’est il pas une façon de ne pas sincèrement s’attaquer à son utilisateur ?

Des amalgames riches d’enseignements

Ces débats législatifs sur la technologie, même s’ils restent le plus souvent au niveau de la caricature (ou peut être justement grâce à cela) nous donnent de précieux enseignements sur certaines relations, elles très humaines. Le passage au numérique est l’occasion pour certains de s’approprier un pouvoir qu’ils n’avaient pu conquérir dans le monde de chair et de papier. Lorsque la technologie n’est pas directement ciblée elle est otage d’un jeu de pouvoir.

Sous couverts de blitzkriegs sauvages, l’essentiel se fait discret. Ainsi bien peu ont noté que dans la loi HADOPI, pourtant largement débattue, avait été insérée au dernier moment la référence à un nouveau code de déontologie du journalisme ? Pourquoi vouloir redéfinir ce code presque centenaire ? Notre presse dépasse-t-elle toutes les limites de la décence pour qu’il soit nécessaire d’inscrire dans la loi un nouveau code ? Elle souffre parfois d’un manque de liberté éditoriale, mais de déontologie je ne pense pas.

Pour être précis ce code ne concerne que les journalistes internet, et n’a pour contrepartie qu’un statut fiscal. Mais en ces temps de famine dans les rédactions ce statut est absolument vital et il est très probable que les éditions internet des journaux remplacent le papier à échéance. Ce futur code sera donc LE code de la profession.

Le domaine des technologies est mouvant, en expansion constante alors que les lois restent. Légiférer sur les technologies revient à un voyage dans le futur, imaginer l’effet d’une loi à 20 ans vous informe donc sur la réelle intention du rédacteur. Dans le cas d’HADOPI, il aurait voulu brider la liberté d’expression qu’il ne s’y saurait pas pris autrement.

Les lois du marché sont aussi réévaluées. Là ou un fabriquant de télévision n’a aucun pouvoir sur les chaînes qui sont visionnées par son client, des fournisseurs internet veulent pouvoir limiter l’accès à certaines chaînes pour mieux valoriser les leurs. La main mise sur des médias d’information par des intérêts industriels doit s’établir avant que la régulation ne se réveille et n’impose les mêmes règles d’indépendance pour le papier et internet.

Là ou une entreprise publique a un monopole d’état des jeux d’argent physiques, les jeux d’argent virtuels sont donnés en monopole à quelques entreprises privées. Le jeu d’argent en tout lieu, à tout moment et en toute discrétion, est ce vraiment cela notre eldorado numérique ? Pourquoi feindre de croire que la dépendance aux jeux d’argents est virtuelle sous prétexte que le jeu l’est ?

Le droit d’expression est sans doute le domaine ou la disparité est la plus criante. Notre pays se caractérise par une liberté d’expression sur tous les sujets a priori, sauf certains comme la négation de crime contre l’humanité. Un juste équilibre qui fait consensus.

Dans le monde physique, une condamnation pour ce très grave motif, y compris répété, conduit à quelques milliers d’euros d’amende et vous laisse libre de vous exprimer sur tous supports, au risque de réitérer.

Dans le monde numérique, une infraction pour un motif commercial d’ampleur très modeste vous conduit à des pénalités du même ordre pécuniaire mais surtout une interdiction de fait de communiquer. Dans un monde ou le numérique remplace le papier, la coupure de l’accès internet et l’interdiction de se réabonner reviendra à empêcher d’acheter ou utiliser papiers, stylos, téléphones jusqu’à des périodes d’un an ! Liberté bafouée, égalité dans l’arbitraire.

Les concepts qui régissent des aspects fondamentaux de notre société, délicats équilibres trouvés au fil des siècles, n’ont aucune raison de changer parce que le papier est peu à peu remplacé par l’écran. Les humains qui utilisent l’un comme l’autre n’ont eux pas changé. La sagesse doit prévaloir et la machine à légiférer prendre du recul. Le conseil constitutionnel ne peut pas tout empêcher.

Loi emblématique

Ce qui nous emmène à LOPPSI2, seconde loi sur la sécurité intérieure, dont certains aspects concernent internet. Aspect sous estimée, c’est la loi emblématique du rapport homme-technologie en ce début de siècle. Elle le fait dans le cadre le plus délicat qui soit : la pédopornographie. L’argument massue pour justifier la peine de mort : le meutre atroce d’un proche ! Pour le filtrage : la pédopornographie ! De zéro à point Godwin en un mot.

Le passage qui n’est pas accepté concerne le filtrage d’internet a priori. Une autorité administrative décidera qu’une liste de sites mérite d’être bloquée au niveau du territoire par une mesure technique et les fournisseurs d’accès auront obligation de l’appliquer. Le tout secrètement, et sans procédure judiciaire (des amendements adoptés limitent ces risques …).

Passons sur le fait que cette mesure est ridiculement facile à contourner pour le pédophile moyen, le débat n’est pas d’ordre technique.

Le premier problème réside dans ce qui va être filtré. Les sites pédopornographiques pour commencer (après tout la censure bloque les parutions physiques équivalentes), il est ensuite prévu de l’étendre à d’autres domaines comme les jeux en ligne ou les sites de partage de musique illégaux. C’est justement parce que je suis fondamentalement contre la pédopornographie, en tant que citoyen, en tant que père, que c’est le bon sujet pour parler de filtrage, sur le fond et uniquement de filtrage. Mais c’est aussi parce que la lutte contre la pédopornographie fait consensus et fédère toutes les énergies que c’est un sujet dangereux.

La dérive la plus criante, celle qui justifie la méfiance de tous les républicains, nous est donnée par nos voisins Allemands. Dans ce très démocratique pays est hébergé le site internet « WikiLeaks ». Wikileaks est un lieu d’échange sécurisé entre journalistes et informateurs anonymes en possession d’informations confidentielles. Il a notamment reçu un « Amnesty International Award » en 2009 pour sa contribution à la liberté de la presse dans le monde. Ce site ayant publié des informations confidentielles sur le système de filtrage Australien équivalent à LOPPSI2, la police a perquisitionné les bureaux de son créateur pour confisquer les ordinateurs et arrêter le site. L’ironie réside dans le motif invoqué : la lutte contre la pédopornographie, alors même que ce site n’en contenait pas mais informait sur ce sujet. Les exemples de dérives de ce type sont nombreux, la lutte contre la pédopornographie est un terreau fertile pour les dérives d’ordre politiques. Quel cynisme pour un domaine qui mérite un réel engagement !

Pour tout citoyen qui a sincèrement à coeur de lutter contre les pédophiles, le mécanisme propose par la loi est pour le moins déroutant. Sur le fond, pourquoi vouloir filtrer ? Revenons à l’ingénierie sociale. Après avoir mis 5mn à comprendre comment techniquement contourner ce filtre, les pédophiles qui consultent ces sites vont se tourner vers des solutions beaucoup plus sécurisées. Sécurisées pour eux, donc bloquantes pour les forces de l’ordre. Ce mécanisme a très bien été expliqué par les services d’intelligence Anglais lors d’une protestation officielle contre le principe même de blocage internet de masse.

La lutte contre la pédopornographie est aussi utile que juste, mais elle est avant tout un moyen de traquer et identifier des pédophiles, la réelle cible. Les lois qui encadrent cette lutte en France sont puissantes et très efficaces, un modèle de loi dont le concept s’applique aussi bien au monde physique que virtuel, tout en respectant la procédure judiciaire.

Lorsque la lutte contre les symptômes bloque la lutte contre la maladie, en dépit des faits, en l’absence de toute prospective, il devient raisonnable de qualifier la loi de pure posture contre productive.

Contre productive elle ne l’est pas seulement dans son mécanisme, mais dans ce qu’elle révèle des priorités d’investissement et de la volonté politique (ou du manque de). Pourquoi donc cette loi très technologique : Est il plus efficace de dépenser 50Me pour ce filtre d’apparence contre des contenus ou considérablement agrandir les unités d’enquêtes spécialisés dans la traque des humains qui les créent et consultent ? Compte tenu de leur trop faibles moyens, allouer 50Me à ces équipes serait une réelle révolution dans la lutte contre la pédophilie en France et en Europe.

Une législation se focalisant sur une technologie oublie bien souvent que cette dernière sera utilisée par des humains. L’oublier vous expose à une rapide obsolescence, parfois même à être contre productif, et trop souvent à une perte de liberté inutile pour l’ensemble des citoyens.

Pax Numerica

Face à ces incompréhensions à répétition sur le rapport entre homme et technologie est apparue une règle de bon sens, pax numerica de ce nouvel horizon : la neutralité du net. Du net car internet est le sujet technologique de ce début de siècle, dans 20 ans nous parlerons sans doute de neutralité des robots. il s’agit en fait d’un rapport à la technologie au sens large et pas seulement d’internet.

Cette règle de bon sens, issue d’un consensus, se base sur le principe suivant : le réseau n’est qu’un outil au service de la communication des humains. Comme l’expression est permise a priori dans toutes les démocraties, le réseau ne doit pas être a priori bridé sous quelque forme que ce soit : tout point doit pouvoir contacter tout autre sous la forme technique qui lui siait. Si un acte répréhensible est commis, l’auteur doit en répondre devant la justice comme il le ferait pour un écrit public sur papier.

Il ne s’agit surtout pas un dogme déifiant un réseau idéalisé, au dessus des lois des hommes. Bien au contraire ce principe replace réseau et humain à leurs places respectives : un simple outil d’un coté, un acteur responsable de ses actes de l’autre, responsable devant la justice des hommes.

La technologie est une composante importante de notre avenir. Support de la liberté d’expression comme de notre mémoire, facteur d’émancipation des contraintes physiques … et tout ce qu’il reste à découvrir. La neutralité de la technologie doit être comprise, respectée et cesser d’être un champ de bataille idéologique ou politique. Humanisme et pragmatisme sont donc pertinents aussi lorsqu’il s’agit de technologie, ils guident en tout cas ma réflexion.

Quelle technologie pour notre région ?

J’ai volontairement pris des exemples hors contexte régional pour expliquer ma vision du rapport homme-technologie, qui est aussi celle de notre Mouvement, mais un Conseiller Régional a souvent l’occasion de se prononcer sur des aspects technologiques : Quel déploiement de la fibre ? Vidéosurveillance généralisée ou vidéoprotection concentrée ? Quelle éthique pour le pass Navigo ? Des scanners sont ils utiles ou souhaitables dans les lycées ? Qu’il vote directement ou qu’il participe au débat, le conseiller régional peut agir sur ces questions. J’espère que ces quelques exemples vous démontrent combien la région agit sur votre quotidien et mérite 5mn de votre temps lors de 2 dimanches de mars pour donner votre avis.

Sur ces points c’est le rapport à la technologie et les connaissances de l’écosystème qui est testé. Avoir une vision raisonnée et éthique de l’utilisation de la technologie est nécessaire, mais il ne s’agit la que de réponses à des questions posées par le fil des évènements. Je précise que la présence de l’élu est nécessaire, le travail de commission n’étant pas réalisé à coups de 140 caractères. Le conseiller régional virtuel n’existe pas.

Pour attirer les muses …

Certains conseillers sont par contre censés aller beaucoup plus loin : avoir une idée précise, inspirée et réaliste du développement du secteur technologique. Un bon politique agit pour beaucoup indirectement, sur la durée : il doit donc avoir les idées claires et la ferme volonté de les mettre en pratique pour que ses actes portent leurs fruits.

Je ne me présente pas pour dire comment combien il faut de baies par mâ² dans le datacenter cloud de demain, ou comment la téléphonie va vous aider à promouvoir l’agriculture locale (même si j’ai des idées informées sur ces questions). Notre région ne peut se reposer que sur ses atouts purement factuels : richesse culturelle, excellence académique, électricité stable, position centrale sur le réseau et bientôt un déploiement de fibre pour tous. Notre région a besoin d’un souffle, d’une stratégie pour libérer enfin son potentiel. L’outil n’est rien sans usage inventif et réfléchi. Le développement des technologies est intimement lie à la richesse culturelle et intellectuelle de ses créateurs et utilisateurs.

La Silicon Valley n’est pas née dans un désert humain, ni sans âme, et encore moins sans une forte vision politique. Pour avoir échangé avec bien des entrepreneurs, ingénieurs, chercheurs autant en Ile-de-France qu’à travers le monde, les atouts factuels ne sont qu’un des facteurs dans leurs choix universitaires, leurs choix d’implantation, leur choix de vie. Défendre LOPPSI2 ou développer durablement la technologie il faut choisir, cesser l’ambiguïté, les deux sont foncièrement incompatibles.

Ce qui a freiné l’expansion de grands champions des nouvelles technologies français ces dernières années, ce n’est pas leur manque d’idées, ni de serveurs, c’est l’instabilité politique. Ce qui a freiné le déploiement de la fibre c’est l’instabilité réglementaire. En France un entrepreneur ou un grand chercheur doit passer autant de temps sur son projet qu’en compagnie de politiques pour avoir une chance de pouvoir travailler correctement, sans même parler de recevoir leur aide. En un sens la politique de l’album photo est pire que de la corruption : le temps pris sur l’innovation n’a pas de prix. L’inventivité ne s’achète pas, elle se stimule, elle se respecte. Les flashs font fuir les muses !

Un acte fort

Au delà des mesures pratiques, logistiques, réglementaires et fiscales que nous proposons et que je sais d’expérience très efficaces pour stimuler le secteur des nouvelles technologies et la recherche, notre développement a besoin d’actes forts et symboliques. Un acte qui résume par lui seul notre vision de la technologie, de ses usages et notre éthique politique. Un acte modeste financièrement, l’argent devant prioritairement être attribué à l’innovation.

Elu au Conseil Régional je proposerai que la région invite et aide Wikileaks (en grande difficulté) à s’implanter en Ile-de-France. Le signal sera fort pour tout l’écosystème, bien au delà de la région, bien au delà de l’Europe. Nous aurons alors ce qui se rapproche sans doute le plus d’une bibliothèque d’Alexandrie du XXIe siècle, si ce n’est dans la taille au moins dans l’esprit. Ce sera le symbole de la prise en main de notre avenir technologique.

Alain Dolium,
tête de liste du Mouvement Démocrate pour l’élection régionale en Ile-de-France des 14 et 21 mars 2010

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