Si vous avez plus de 25 ans, vous n’avez probablement jamais entendu parler de Yubo. Cette application qui ressemble à une sorte de « Tinder » de l’amitié est en effet destinée aux adolescents et (très) jeunes adultes. Ils seraient plus de 25 millions dans le monde à l’utiliser. J’ai voulu la tester, et je me suis pris un sacré coup de vieux.
Une appli française à 25 millions d’utilisateurs
Yubo a été fondée par trois Français : Sacha Lazimi, Jérémie Aouate, et Arthur Patora. La startup est née en 2015 et depuis, elle prospère. Elle compte aujourd’hui 25 millions d’utilisatrices et utilisateurs d’après un communiqué transmis à Numerama, et son équipe vient de boucler une levée de fonds de 11,2 millions d’euros pour accélérer son développement à l’international. En 4 ans, les utilisateurs se seraient fait 2 milliards d’amis, auraient échangé 10 milliards de messages et réalisé plus de 30 millions de vidéos en direct. La majorité d’entre eux, précise Sacha Lazimi à Numerama, aurait entre 13 et 19 ans.
Yubo est une application qui contient de multiples fonctionnalités. Une partie est dédiée aux « swipes ». C’est un peu le même principe que sur l’application de rencontres Tinder : on voit une série de profils qui défilent, avec un prénom, un âge, une ou plusieurs photos, et parfois une petite description. Si le profil nous semble intéressant, on peut le liker. Sinon, on passe. Si la personne nous like et nous aussi, c’est un match : on peut alors échanger par messages privés.
Il y a aussi une section dédiée aux « lives ». Il s’agit de vidéos que l’on enregistre en direct avec son smartphone. Plusieurs personnes peuvent se filmer et parler en même temps. On peut aussi en être simple spectateur et échanger à l’écrit, via un chat. La particularité, c’est que ces lives sont publics : on peut rejoindre ceux de parfaits inconnus, en France comme à l’autre bout du monde. Beaucoup s’en servent aussi pour discuter avec leurs amis, précise Sacha Lazimi. Il raconte que certains utilisent l’application pour faire leurs devoirs ensemble, parler des blocus de leurs lycées ou comme à chat pour jouer à Fortnite.
Une organisation par tranche d’âges
Pour s’inscrire sur Yubo, c’est très simple. Il suffit d’une photo de profil, d’un pseudonyme, un âge, et un numéro de téléphone pour valider son profil.
Le critère le plus important est celui de l’âge. Si vous avez 26 ans ou plus, vous pouvez oublier l’application. Un membre de l’équipe de Numerama a tenté de s’inscrire avec son véritable âge, 29 ans, et il ne trouvait personne à qui parler — l’application est littéralement vide. Avec mon profil de femme de 25 ans, j’ai trouvé un peu plus de profils à swiper et vidéos live, même si le cofondateur de l’application m’a indiqué qu’en ayant 16 ou 17 ans, je me serais bien plus amusée.
L’application m’interdit en effet de discuter avec des personnes mineures, car je suis majeure. Elle fonctionne par tranches d’âges : les 13-17 ans d’un côté, les plus de 18 ans de l’autre. Il existe aussi une tranche d’âge intermédiaire, les 17-19 ans, qui correspond à l’âge des lycéens. « On les autorise à regarder les vidéos lives des uns et des autres, mais pas à s’envoyer de messages privés », précise Sacha Lazimi au sujet de cette dernière catégorie.
Cette limite, comme sur toutes les autres applications de ce type, est facile à contourner : il suffirait de mentir sur son âge. Des médias avaient ainsi évoqué le risque de pédophilie.
Pour tenter d’éviter ceci, Yubo propose un service de certification. On peut prouver son identité, en téléchargeant une pièce d’identité sur une application partenaire, nommée Yoti. Cette dernière assure que toutes les données sont chiffrées — la clé permettant de les déchiffrer étant contenue sur le téléphone de l’utilisateur concerné –, qu’elle ne peut pas y accéder en clair, et que les informations ne sont revendues à aucun tiers. Je n’ai personnellement croisé aucun profil certifié.
Sacha Lazimi nous a aussi indiqué que la plateforme, contrairement à beaucoup de ses concurrents, effectuait une modération proactive : chaque profil serait vérifié par des modérateurs, pour vérifier que la photo est conforme aux règles d’utilisation, et que l’âge de la personne qui y figure est conforme à l’âge déclaré. Il existe des modérateurs dans chaque pays où l’application est disponible, mais Yubo ne souhaite pas communiquer sur leur nombre. Ils ne doivent pas seulement composer avec cette problématique de l’âge : l’appli a également été accusée de favoriser malgré elle le harcèlement de certains jeunes.
L’épreuve des swipes
J’ai personnellement commencé mon petit tour de l’application par les « swipes ». Il y avait un peu de tout : des hommes en costume et posture pseudo-virile, des selfies salle de bains, quelques bouches en cul de poule façon 2002 ou des poses façon poète déchu.
Plusieurs femmes mentionnaient n’être là « que pour l’amitié ». Seul un utilisateur faisait une référence plus ou moins explicite au sexe, grâce à une combinaison habile d’emojis doigts.
Au bout d’une quinzaine de swipes, je suis en revanche tombée sur un profil qui contenait une vignette Snapchat, qui permet de retrouver un profil en la scannant. Il promettait de la « jaune du rocma ». Comprendre : de la drogue venue du Maroc. J’aurais aimé lui en demander un peu plus, mais il n’a malheureusement jamais répondu à mon swipe positif. Ce type de profil, qui ne contenait par ailleurs aucune photo réelle (ce qui est obligatoire en théorie, même si notre boomer a mis son lapin et n’a pas été inquiété), est bien entendu interdit sur la plateforme. Mais il faudrait qu’il ait été signalé pour qu’il soit rapidement modéré. Sacha Lazimi nous indique en effet que leurs algorithmes ne sont pas encore entraînés à repérer certains mots, comme « la jaune » dans les profils. Il nous assure que cela sera rapidement mis à jour.
Peu après avoir découvert cet étonnant profil, j’ai eu mon premier match avec Alexis, 24 ans. Sur son profil, il se définit comme un fan de musique, qui aime les gens « avec un GROS GRAIN de FOLIE ». Par souci d’honnêteté, j’ai tout de suite précisé être journaliste. Il m’a expliqué qu’il travaillait dans le secteur informatique, et qu’il était arrivé sur l’application un peu par hasard, pour voir pourquoi elle marchait si bien. Il la fréquente depuis environ un mois maintenant.
« J’ai trouvé des gens avec qui papoter de musique, notamment un ado américain qui a un handicap physique et qui apprend malgré ce handicap à jouer de la guitare, m’a-t-il raconté. Il y a un peu de tout, niveau profils. »
Quand je lui ai demandé si on ne cherchait vraiment que l’amitié sur Yubo, il n’a pas hésité bien longtemps. Pour lui, on vient aussi sur l’application pour draguer un peu. Il définit d’ailleurs Yubo comme un « Tinder, mais moins agressif », où les gens prendraient plus le temps d’apprendre à se connaître.
Les lives, cet univers fascinant
Pour en savoir plus — et parce que personne ne voulait me matcher même si j’ai mis un joli chat en photo de profil –, j’ai décidé d’explorer la partie dédiée aux vidéos en direct. Le premier live visité rassemblait 17 personnes, principalement des Américains. Trois hommes avaient activé leur caméra. Deux sirotaient tranquillement une tasse de thé ou café, le 3e se disputait visiblement avec une femme, dont je n’entendais que la voix. Je suis restée 2 minutes, à écouter cette dispute qui ne semblait n’avoir ni queue ni tête, captivée comme devant un épisode de télé-réalité.
J’ai ensuite cliqué sur le live de Leo001214, où 4 personnes étaient présentes. Surprise : Leo se filmait en fait en train de faire une sieste. D’après Sacha Lazimi, ce serait assez courant. Personne ne parlait, alors je suis là aussi partie, au bout de quelques secondes.
J’ai ensuite ciblé les lives français, jusqu’à tomber sur la vidéo face-caméra de Marie. C’était une sorte de foire aux questions, dans laquelle des gens qui ne la connaissaient visiblement pas plus que moi lui demandaient des détails sur sa vie. J’ai appris que Marie était mère d’un petit garçon de 5 ans, qu’il pleuvait autant chez elle qu’à Paris, et qu’elle était déprimée. « J’ai hâte que mon copain rentre du boulot là, que je puisse le faire chier. » J’ai répondu « moi aussi », pour voir. Après, je n’ai pas su trop quoi dire, alors j’ai observé les tentatives de drague ratées d’un certain Jordan, dont la streameuse se fichait royalement. Elle est partie se faire un café dans sa cuisine en traînant des pieds, et j’ai décidé de rejoindre un autre live.
Cette fois, c’était une bande de copains qui se retrouvait pour parler de tout et de rien, comme on le faisait jadis sur MSN. Ils glandaient dans leur lit, parlaient à peine. L’un d’entre eux a hurlé tout à coup : « Putain le chat il vient de péter ça pue sa mort ». J’ai quitté le live. J’ai tenté celui d’Amélie, dont la caméra était tournée vers son plafond immaculé. Je l’entendais seulement chanter « Love de toi », elle ne répondait pas aux messages. J’ai fini par quitter aussi ce live, pour retourner vers le meilleur de tous ces contenus : le direct de Leo, qui dormait encore. Yubo m’a proposé de booster son live gratuitement, pour lui attirer plus de spectateurs. Je n’y ai bien sûr pas manqué. Des gens sont venus, ont demandé par écrit ce qu’on fichait là, à regarder un inconnu dormir. Je n’ai pas su quoi répondre, alors j’ai fini par fermer l’application.
J’ai réalisé que je me sentais tout à coup très vieille.
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