Toute la rédaction de Numerama vous souhaite une excellente année 2018. On espère toujours que ces formules seront performatives et qu’elles permettront de rendre, effectivement, votre année meilleure.
2016 et 2017 n’ont pourtant pas été tendres avec le monde et un prologue wagnérien moderne pourrait commencer ainsi : la planète est à bout, le réchauffement climatique ne décélère pas, des réfugiés fuient la guerre et la destruction et nous les accueillons sans un début de décence, l’homme à la tête de la première puissance mondiale n’a cessé d’être le personnage dangereux, imprévisible, misogyne et raciste que le peuple américain a élu, les inégalités de richesse entre les plus riches et le reste du monde se sont creusées et l’automatisation de l’industrie et des services, toujours plus poussée, nous amène petit à petit vers une nouvelle crise de l’emploi.
Quand on dresse ce bilan volontairement pessimiste du monde et qu’on prend un peu de recul et de hauteur, vient très rapidement la question de notre responsabilité, en tant que femmes et hommes, en tant que journalistes, en tant que rédaction enfin. Est-on tellement à côté de la plaque, tellement impuissants, que l’information ne sert plus à informer et donc à enrichir les esprits pour bâtir un monde meilleur, plus juste, plus équilibré, plus raisonnable ? Fait-on un travail journalistique suffisant pour montrer toutes les facettes d’un sujet ? Est-ce que la ligne éditoriale que nous avons choisie, qui entend démêler les fils de l’innovation, de la technologie et de la culture contemporaine n’est pas une partie du problème ?
En ces temps de bonnes résolutions, ces questions toujours dans nos têtes quand nous écrivons se font plus insistantes. Nous profitons de cette rentrée pour leur donner des réponses et nous les partageons avec vous, car elles influenceront notre ligne éditoriale et nos choix.
Grandir
Nous souhaitons que 2018 soit l’occasion de grandir. L’élection du président Macron en mai et l’ouverture de la Station F plus tard dans l’année ont donné de la voix et du pouvoir aux startups et aux entrepreneurs quand, dans la Silicon Valley et un peu partout ailleurs, on s’aperçoit que le modèle qu’ils portent depuis les années 1970 s’érode petit à petit.
Peut-être que regrouper des ingénieurs en informatique et des apprentis business-men dans une micronation californienne n’était pas une bonne idée. Peut-être que diviniser le programmeur devenu richissime n’était pas un modèle d’avenir. Peut-être que nous n’avions pas besoin d’un presse-agrumes propriétaire financé à coup de millions de dollars. Peut-être que nous n’avions pas besoin de la 37e startup de vente en ligne de matelas. Ni même de la quatrième. Peut-être qu’un bateau électrique à grande vitesse n’était pas la solution pour décongestionner Paris. Peut-être que faire croire aux classes moyennes qu’elles vivraient dans le luxe des riches en leur proposant de les mettre en relation avec des personnes peu fortunées pour faire leurs tâches ingrates n’était pas la clef de l’économie collaborative.
Peut-être que remettre à des hommes blancs issus du même milieu l’avenir de l’innovation et grosso modo, de la planète, n’était pas la solution pour inclure le monde entier dans la grande marche du progrès.
Seul le pessimiste verrait pourtant le verre à moitié vide. En 2017, des voix ont trouvé la force d’arracher le bâillon imposé depuis trop longtemps par la société. Les Silence Breakers, Susan Fowler qui a brisé l’omerta sur la culture du harcèlement au sein de la licorne Uber, celles et ceux qui se sont battus pour que des postulats racistes ou misogynes ne soient pas un sujet de discussion comme un autre chez Google, celles et ceux qui ont eu le courage de dire la réalité de la Silicon Valley et de ses travers. Celles et ceux qui, récemment, ont osé montrer que l’utopie des gentils hackers n’était pas imperméable au harcèlement et aux violences sexuelles.
Tous ces témoignages ont été douloureux à lire, toutes ces affaires ont été difficiles à couvrir, mais rien ne nous approche de la souffrance des victimes d’une culture malade qui commence à peine à nous laisser entrevoir ses plaies béantes.
Le monde a changé
En 2017, le monde a changé. Et si nous avons postulé dès la refonte de Numerama en 2015 que nous traiterions de la technologie non comme une révolution, mais comme un élément commun de notre quotidien qui mérite réflexion, enquêtes et débats, nous prenons acte de ces changements. En 2018, Numerama sera plus dur, plus exigeant envers le monde et l’innovation, car le monde est dur avec celles et ceux que l’innovation oublie.
Si votre idée géniale est de connecter un objet qui finira non mis à jour dans un botnet quand vous aurez revendu vos actifs pour faire sortir vos investisseurs, nos colonnes ne vous feront pas de cadeau. Mettez votre énergie à imaginer les objets qui nous permettront de consommer moins et de recycler plus intelligemment. Si vous avez levé des millions pour vendre des capsules propriétaires qui changeront l’odeur de la douche des milliardaires, ne nous envoyez pas de communiqué de presse. Pensez plutôt à une manière d’accueillir celles et ceux qui fuient la guerre ou l’extrême pauvreté, SDF ou réfugiés, dans des conditions d’hygiène décentes.
Si votre vision du monde de demain, c’est de mettre des applications de mises en relation dans les mains des classes moyennes déclassées pour faire accomplir des tâches aux plus précaires qui seront effectuées par des robots dans 10 ans, ne prenez pas le temps de nos journalistes. Inventez plutôt ces robots qui nous forceront à penser un modèle de société qui ne repose pas sur le travail et permet à toutes et tous de grandir : vous aurez notre une. Si vous utilisez la blockchain pour vous enrichir en créant des chatons numériques ou en entraînant les plus fragiles dans une bulle spéculative qui enrichit des millionnaires, vous n’aurez pas un portrait dans notre podcast. Montrez-nous comment cette technologie révolutionnaire peut bouleverser le monde et l’économie au service du plus grand nombre.
On entend souvent que le politique est mort, qu’il ne peut plus servir les citoyens, n’a rien fait pour sauver la planète et n’arrive plus à anticiper l’innovation — sans parler de l’utiliser. Notre travail quotidien nous montre que ce constat est globalement vrai. Pour autant, entreprises, startups, investisseurs et monde de l’innovation en général ne nous ont pas montré qu’ils savaient penser le durable, l’inclusif, le paritaire, le tolérant. Aussi bien dans leur organisation et leur culture que dans les produits et services qu’ils proposent. Notre seul vœu pour les 12 mois à venir et les suivants, ce serait que le progrès fasse enfin corps avec la société.
Bien entendu, le divertissement, l’inutile, le gadget ou l’impossible, les rêves et les promesses ne quitteront pas notre ligne éditoriale. Dire le monde tel qu’il est, avec la technologie en arrière-plan, voilà le fond de notre travail et fort heureusement, faire société n’est pas qu’une addition de douleurs partagées et de problèmes à résoudre. La joie, l’humour, le confort, l’échange, la naïveté et la douceur parfois délicieusement absurdes de notre quotidien ne doivent pas nous échapper.
Toute la rédaction de Numerama vous souhaite une excellente année 2018.
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