YouTube constitue un outil idéal pour distraire ses enfants en leur diffusant des épisodes de leur dessin animé. Mais les détournements malsains des séries les plus populaires comme Peppa Pig et Docteur la peluche abondent sur la plateforme vidéo, dont les filtres ne suffisent pas à purger ces contenus inappropriés.

Pour de nombreux parents, YouTube représente un allié bien pratique lorsqu’ils souhaitent distraire leur enfant en bas âge pendant quelques minutes, le temps de se préparer le matin ou de faire à manger. Il leur suffit de lancer, sur tablette ou tout autre support, un épisode de leur dessin animé préféré en tapant le mot-clé adapté et de démarrer la première vidéo trouvée. La prolifération de contenus détournés sur les séries les plus populaires nécessite pourtant une vigilance à laquelle on ne pense pas forcément, surtout lorsqu’on est pressé, comme a pu le constater la journaliste britannique Laura June avec sa fille de 3 ans.

Ainsi, dans le cas de Peppa Pig, le dessin animé pour enfants à grand succès qui se penche sur le quotidien d’une famille de cochons, si la chaîne officielle de la série apparaît bien en premier dans la liste, suivie de véritables épisodes publiés par des comptes non officiels, les détournements figurent en bonne position dans le classement. Bien que leur image de couverture surprenante permette généralement de les identifier, aucun autre élément ne différencie ces vidéos YouTube des authentiques épisodes. Et encore moins pour un enfant si jeune, loin d’être en mesure de les distinguer s’il choisit lui-même les vidéos.

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Dans ces versions détournées, on retrouve en effet les mêmes personnages, les mêmes dessins mais aussi une durée équivalente à un épisode normal (près de 15 minutes). Il suffit toutefois d’en visionner une pour réaliser qu’il s’agit d’une imitation assez grossière : ici, on ne trouve pas le moindre dialogue mais seulement des bruitages de pleurs et autres cris. La qualité de l’animation y est plus que sommaire,  et chaque intrigue, qui débute sur un événement anodin — comme une balade en extérieur — est vite transformée, sous un prétexte quelconque, en séquence de combat où les personnages se transforment en super-héros populaires comme Iron-Man.

De Venom à une visite cauchemardesque chez le dentiste

Monsieur Dragon, le jouet fétiche de George, frère cadet de Peppa, se métamorphose quant à lui régulièrement en un monstre géant qui terrorise le petit cochon en menaçant de l’écraser ou en crachant des boules de feu, tandis que son père apparaît en super-héros (au costume de Superman) pour le sauver. Si certaines de ces vidéos ne sont pas à proprement parler violentes ou gores, elles mettent en scène des situations troublantes pour les jeunes enfants, voire potentiellement effrayantes, à l’instar de l’apparition du terrifiant Venom dans un épisode ou encore d’un cochon verdâtre qui mange des canards devant un George en pleurs.

L’exemple le plus emblématique, pour Laura June, reste celui d’une vidéo qui met en scène la visite de Peppa chez le dentiste — comme dans un véritable épisode de la série — mais tourne vite au cauchemar lorsque ce dernier sort une grande seringue et commence à opérer Peppa, couvrant ses pleurs et ses cris de son rire sadique. La journaliste se souvient de s’être vite alarmée face à ce qu’elle entendait : « Il y a plusieurs semaines, seulement quelques secondes après que ma fille a lancé une vidéo qui ne sonnait pas du tout comme le Peppa Pig que je connais, je lui ai ôté l’iPad. Elle s’est mise à pleurnicher : ‘C’est Peppa ! J’adore cette vidéo !’ mais il était clair qu’il ne s’agissait pas de la Peppa habituelle. »

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Si la chaîne contenant la vidéo a été supprimée depuis, des centaines de vidéos similaires existent encore sur la plateforme. Peppa Pig n’est d’ailleurs pas la seule série à être détournée : on trouve aussi des vidéos sur la Reine des neiges, les Minions ou encore le dessin animé à succès de Disney, Docteur la peluche, où une petite fille de 6 ans soigne ses peluches en prenant exemple sur sa mère médecin.

L’une des chaînes les plus populaires de YouTube, « Toys and funny kids surprise eggs », au plus de 5 milliards de vues cumulées, diffuse ainsi des vidéos à l’humour pipi caca et avec une certaine violence, aux titres évocateurs : « HULK TOUT NU PERD SON PANTALON », « ELSA SANGLANTE : Spiderman casse le bras d’Elsa de la Reine des neiges ». Ici, les créateurs ne cherchent  pas à reproduire l’aspect graphique de l’original mais mettent en scène de telles situations à l’aide de reproductions en pâte à modeler.

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Le cercle vicieux des recommandations

Algorithmes de recommandation obligent, une fois qu’on a cliqué sur la mauvaise vidéo de Peppa Pig ou de toute autre série détournée, le système de recommandations en propose logiquement plusieurs du même genre, ce qui engloutit vite les véritables contenus dans ces parodies douteuses et s’avère problématique pour les parents. D’autant que ces détournements comptent des centaines de milliers de vue, ce qui peut, pour les plus distraits ou les plus pressés, faire office de gage de qualité trompeur si l’on suppose qu’une vidéo très vue est « fiable ».

Ainsi, la chaîne « Peppa Pig cartoon series » se présente, d’après son nom, comme un compte inoffensif, qui propose des vidéos similaires aux innombrables compilations d’épisodes grâce à des titres parfaits pour le référencement : « Peppa Pig English Episodes Full Episodes | Peppa Pig Compilation ». Les images de couverture de ses vidéos montrent pourtant les parents de Peppa dans une posture sexuelle, ou encore Peppa elle-même sur le point d’être mordue par un vampire.

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Autant d’illustrations inappropriées qui, pour ne rien arranger, n’ont aucun rapport avec le contenu réel des vidéos en question, là encore tournées vers des affrontements entre ersatz de super-héros ou l’apparition d’Elsa de la Reine des neiges dans l’univers des cochons.

À titre de comparaison, voici un authentique épisode de Pegga Pig :

Et voilà un exemple de détournement (déjà perceptible à l’image de couverture) :

https://www.youtube.com/watch?v=5_4q_KLOTRY

Si certaines sont des parodies destinées à un public adulte — dans l’esprit de la célèbre série Happy Tree Friends –, la plupart sont des imitations perturbantes pour les jeunes enfants alors qu’elles les ciblent clairement comme le souligne Laura June : « Il ne s’agit pas de vidéos […] humoristiques à destination des adultes mais bien de vidéos à destination des enfants, volontairement glissées dans le flux à l’aide de tags déroutants pour qu’ils les regardent à la place de véritables épisodes de leur série préférée. »

L’intérêt des diffuseurs d’un tel contenu est évident : engranger le maximum de vues pour gagner de l’argent facilement sur des vidéos monétisées mises en avant par la popularité de la série détournée. Pour augmenter leur visibilité, ils n’hésitent pas non plus à se réapproprier des personnages de comics comme Spider-Man. Ces chaînes ont sans surprise refusé de répondre aux sollicitations de la BBC, à l’instar des producteurs des dessins animés originaux, qu’il s’agisse de Disney pour Docteur la peluche ou de EntOne pour Peppa Pig.

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CC Devon Christopher Adams

YouTube Kids, loin d’être infaillible

De son côté, YouTube — actuellement confronté à un boycott de grande ampleur contre le système publicitaire global de Google — s’est fendu d’un communiqué : « Nous remercions les personnes qui nous signalent des contenus problématiques et faisons en sorte qu’il soit facile de signaler une vidéo. Celles-ci sont revues 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 et toutes les vidéos qui n’ont pas leur place sur l’app sont supprimées en quelques heures. »

La plateforme reconnaît toutefois indirectement le problème : « Nous recommandons aux parents qui veulent une [navigation] plus restreinte de désactiver l’option de recherche dans l’appli ». Elle suggère aussi d’utiliser l’appli YouTube Kids, dotée d’un contrôle parental configurable, mais se dédouane par avance du fait qu’on y retrouve aussi les vidéos litigieuses : « Aucun filtre n’est fiable à 100 % ».

La meilleure méthode pour les parents consiste donc, sans surprise, à veiller au plus près sur les activités vidéoludiques de leurs enfants. Hasard du calendrier, en France, Laurence Rossignol entend justement lancer le débat sur le contrôle de leur accès à Internet.


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