Si vous avez déjà reposé un produit après l’avoir scanné dans les rayons avec l’application Yuka, vous n’êtes pas seuls : selon une étude d’impact publiée par l’entreprise Yuka en 2019, 92 % des 6 millions utilisateurs actifs de l’application reposent les produits lorsqu’ils sont notés en rouge. L’impact est parfois fortement critiqué par certains acteurs de l’agro-industrie.
Mais comment fonctionne le score Yuka ? Et sur quelles bases sont fondées les critiques à son encontre ?
Un score sans assise scientifique ?
Si plusieurs systèmes de notation des produits alimentaires coexistent, deux scores guident aujourd’hui principalement les consommateurs français dans les rayons du supermarché : le Nutri-Score, présents sur certains emballages et recommandé par le ministère de la Santé depuis 2017, qui s’intéresse essentiellement à la valeur nutritionnelle des aliments (sanctionnant surtout la présence de nutriments négatifs comme les acides gras saturés et le sel), et le score de l’application Yuka, une application créée en 2017, qui compte aujourd’hui quelques 6 millions d’utilisateurs actifs.
Le système de notation Yuka se base sur trois critères :
- La qualité nutritionnelle représente 60% de la note
- La présence d’additifs : 30 %
- La dimension biologique des produits : 10 %
La co-fondatrice de Yuka, Julie Chapon, avait en 2017 sondé consommateurs et nutritionnistes pour concevoir ce score : « On a fait une enquête auprès des consommateurs pour savoir quels étaient les critères importants pour eux. (…) Ensuite, on a fait appel à des nutritionnistes, et le système 60 %, 30 %, 10 % était le système qui correspondait le plus à ce qui nous était recommandé », explique-t-elle.
Pourtant, le score Yuka est régulièrement critiqué pour son manque d’assises scientifiques. Dans un rapport du Sénat publié en juin 2022 qui s’intéresse à l’impact des applications de notation alimentaire sur l’industrie, associations de professionnels du secteur et grandes marques soulignent ce qu’ils estiment être un algorithme de notation « subjectif ». Plus inattendu, le médecin nutritionniste Serge Hercberg, qui a conçu en 2014 le Nutriscore, contestait également la viabilité scientifique du score Yuka, estimant notamment qu’il était trop difficile aujourd’hui d’établir le degré réel de dangerosité des additifs, occupant pourtant 30 % de la note Yuka.
À ces attaques, la co-fondatrice de Yuka répond : « Si l’on demande à des scientifiques qui ne travaillent pas avec l’État et qui n’ont pas de conflit d’intérêt sur le sujet des additifs, je pense que c’est assez unanime le fait qu’il faut prendre en compte les additifs. (…) Il y a même des utilisateurs qui nous demandent aujourd’hui de les informer uniquement sur la partie additifs ».
La place des additifs dans le score Yuka : la bataille de la filière charcuterie
La place accordée à la dangerosité des additifs est au cœur des principales accusations formulées par les acteurs de l’agro-industrie à l’encontre du score Yuka. L’argument central de ces acteurs consiste en effet à souligner que des additifs considérés comme dangereux par l’application sont autorisés au niveau national et européen. Un argument repris par trois organisations de la filière charcuterie ayant assigné Yuka en justice en 2021, dont la FICT (principal lobby des professionnels de la charcuterie) qui accusait l’application de « pratique déloyale et trompeuse » pour les alertes énoncées par Yuka à l’encontre des additifs nitrés dans les aliments.
L’application attribue des scores très faibles aux aliments contenant des nitrites, ces additifs utilisés pour prolonger la durée de conservation des charcuteries, et renvoyait vers une pétition publiée en 2019 par l’ONG Foodwatch et la Ligue contre le cancer, demandant l’interdiction de ces substances reconnues cancérigènes par l’ANSES dans un rapport publié en juillet 2022.
Face aux tribunaux de commerce d’Aix-en-Provence, de Paris et de Brive, qui ont jugé ces affaires en première instance, Yuka a perdu ses trois procès en 2021. Une issue plus qu’attendue au vu de la constitution du tribunal de commerce en France, selon Julie Chapon : « Au tribunal de commerce, ce ne sont pas des juges et des magistrats. Au tribunal de commerce, on est jugés par des commerçants et des chefs d’entreprise », s’insurge-t-elle.
Si le tribunal de commerce s’est doté de plusieurs mécanismes pour assurer l’indépendance de ses magistrats et pour éviter tout conflit d’intérêt, une enquête de Marianne en avril dernier rappelait les liens étroits entre le secteur de l’agro-industrie et cette instance de justice, et mentionnait le profil pour le moins étonnant de deux juges dans le cadre du procès Yuka, deux anciens responsables d’entreprises du secteur agro-alimentaire. Condamné à payer 95 000 euros de dommages et intérêt aux acteurs de la charcuterie, à supprimer de l’application la pétition et à ne plus mentionner le caractère « cancérigène probable » des nitrites, Yuka a fait appel à ces décisions qu’ils n’hésitaient pas à qualifier de « procédures bâillon » dans leur communiqué de presse.
Une reconnaissance par la justice de l’utilité sociale du score Yuka ?
Mais ce mois de juin 2023 est venu conclure une série de victoires de Yuka en appel pour ces trois mêmes affaires. La cour d’appel de Limoges, d’Aix-en-Provence puis de Paris ont toutes infirmé les condamnations en première instance, clôturant deux ans de procédure de justice en faveur de Yuka contre les trois acteurs de la charcuterie.
Alors que la Fédération des industriels charcutiers (FICT) accusait notamment Yuka d’induire en erreur les consommateurs sur la base d’un système de notation « arbitraire », la cour d’appel de Paris a rappelé que l’algorithme de notation de Yuka s’appuyait sur différents critères énoncés sur leur site et reposant sur des avis scientifiques : le Nutri-Score, dont l’algorithme est disponible de manière publique, et les conclusions du rapport de l’ANSES sur le risque associés aux additifs nitrés. Pour asseoir leur décision, la Cour d’Appel de Paris a rappelé que les actions d’information de Yuka étaient protégées par la liberté d’expression : « (…) toute activité, fut-elle à but commercial, ayant pour finalité l’information de tiers et la diffusion d’opinions est protégée par la liberté d’expression », peut-on lire dans la décision de justice rendue le 7 juin dernier.
Une victoire judiciaire qui reconnaît la subjectivité, mais souligne la légitimité de ces nouveaux outils au service des consommateurs. Car si l’on peut être en désaccord avec les critères retenus par l’algorithme de notation de Yuka, l’on peut difficilement nier le rôle de l’application dans l’information des citoyens : des discussions autour des critères de son score à la médiatisation des contentieux entre l’entreprise et le lobby de la charcuterie sur les additifs, l’application aura permis de mettre en lumière des sujets jusqu’alors peu connus de la plupart des consommateurs, et d’ouvrir des débats relevant de l’intérêt public.
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