Vous lisez ici la version écrite de la chronique de nos journalistes dans l’émission Le Meilleur des Mondes de France Culture, le vendredi à 21h, dont Numerama est partenaire.
Et si l’on démystifiait la figure du lanceur d’alerte moderne ?
Je ne vous parle pas des Aaron Schwartz, Edward Snowden ou Chelsea Manning, mais des Mark, des Tristan, des Justin… Une nouvelle vague d’hommes (surtout) et de femmes (un peu) que l’on a vu sortir du bois ces dernières années. Leur créneau : dénoncer aujourd’hui avec force les outils qu’ils ont contribué à construire hier.
Tim Kendall, par exemple, a été en charge de la monétisation de Facebook et président de Pinterest. En 2020, il s’indignait dans le documentaire de Netflix, Derrière nos écrans de fumée : « Des sites comme Facebook, Snapchat, YouTube ont pour unique but de garder l’utilisateur le plus longtemps possible sur son écran. Ils veulent accaparer le maximum de temps et d’attention de chaque membre », l’entend-on asséner.
À sa sortie, ce docu-fiction a fait grand bruit. Son intention est louable : alerter le public sur les raisons de son addiction aux réseaux sociaux. Mais c’est sur le format que quelque chose cloche légèrement. Je vous plante la mise en scène : on observe une demi-douzaine d’anciens cadres de la tech, assis face caméra, les mains croisées, le regard intense porté vers l’horizon, balancer tout le mal qu’ils pensent de la Silicon Valley… Valley qui leur a permis de s’enrichir monstrueusement pendant des années, avant soudain, de se découvrir une conscience.
On pourrait se demander : n’ont-ils pas le droit de se repentir ? Bien sûr, ces paroles sont importantes, mais elles viennent surtout crédibiliser ce que dénoncent depuis très longtemps des ONG, des médias ou des politiques. Et il est difficile de ne pas voir un certain opportunisme dans la démarche de ces anciens responsables qui ont visiblement senti le vent tourner.
Ce qui m’a marqué plus largement ces dernières années, c’est que le lanceur d’alerte est devenu une esthétique à part entière.
La forme du scoop est aussi importante que le fond
Au-delà de ce docu Netflix, on a vu fleurir dans la presse des révélations bien orchestrées, quasiment « marketées » au millimètre. Des médias internationaux obtiennent des documents internes aux entreprises, les épluchent, puis, organisent un joli photoshoot avec celle que l’on pourrait appeler — avec bien sûr, un brin d’exagération — la « taupe du moment ».
On ne présente plus Frances Haugen et son partenariat avec le Wall Street Journal, qui a obtenu en exclu de nombreux documents internes de Facebook. Puis en juillet 2022, c’était Mark MacGann, qui a eu le droit à son portrait dans le Monde et le Guardian. Ce puissant lobbyiste a tout de même contribué, à forcer Uber en France quand le service était illégal. En septembre, c’est Peiter Zatko, l’ancien chef de la sécurité de Twitter qui s’est fait tirer le portrait dans Washington Post — le hacker respecté et lanceur d’alerte historique déroge toutefois un peu plus à la règle, n’ayant pas fait long feu dans l’entreprise qu’il décrie.
Bien sûr, on préfèrera toujours connaitre ces révélations que les savoir cachées. Mais il n’empêche qu’il est toujours de bon ton de questionner les raisons d’agir de certains de ces « célèbres témoins », et de réfléchir à ce que l’on met désormais derrière le statut de « lanceur d’alerte », peut-être désormais un peu galvaudé.
Écouter la chronique de Marie Turcan (à 52’51)
https://open.spotify.com/embed/episode/2HUTldthIb5u5NZ3VkrKwD?utm_source=generator&theme=0
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Le Meilleur des mondes est l’émission de François Saltiel, préparée avec Juliette Devaux. Elle est disponible en podcast, sur Apple Podcast, Spotify, Deezer et vos autres plateformes préférées.
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