Nous existons grâce à un déséquilibre originel entre la matière et l’antimatière, en faveur de la première. C’est la raison pour laquelle il y a quelque chose dans l’Univers, plutôt que rien. Matière et antimatière fonctionnent par effet miroir : pour chaque particule, on trouve une antiparticule. Ces dernières sont les jumelles opposées des particules : elles ont les mêmes caractéristiques que les particules associées, mais aussi d’autres propriétés parfaitement opposées, comme la charge électrique. Sans le déséquilibre originel, la matière et l’antimatière se seraient annihilées mutuellement.
Cette opposition rend l’antimatière très difficile à créer et à étudier, puisque les antiparticules s’annihilent en présence de matière ; il faut donc les produire ou les capturer, mais ce n’est possible qu’en d’infimes quantités sur d’infimes périodes de temps. C’est là que les travaux publiés ce 31 mars 2021 dans Nature font date : cette équipe de physiciens a pu manipuler des antiparticules à l’aide d’un laser, les refroidissant presque au zéro absolu. Le projet provient de l’expérimentation baptisée ALPHA, au CERN, dont l’objectif est d’étudier l’antihydrogène, antiparticule de l’hydrogène, dont les mesures pourraient aider à comprendre les symétries fondamentales de l’Univers entre matière et antimatière, ainsi que le déséquilibre originel entre ces jumelles opposées.
Ralentir l’antimatière pour mieux l’étudier
Un atome d’antihydrogène a été produit pour la première lors d’une expérience du CERN en 1995, puis, en 2010, des scientifiques ont pu piéger des particules d’antihydrogène dans un champ magnétique. Mais les antiparticules filent à une vitesse insaisissable. « Les atomes produits en 1995 ont eu une existence d’environ 40 milliardièmes de seconde, parcourant 10 mètres à une vitesse proche de celle de la lumière, avant de s’annihiler au contact de la matière ordinaire en produisant le signal montrant que des antiatomes avaient été formés », rappelle le CERN. Si les nouvelles techniques pour piéger les antiparticules dans un champ magnétique ont certes permis de les ralentir, cela reste insuffisant (elles bougent alors autour de 300 kilomètres/heure).
Refroidir l’antimatière trouve alors tout son intérêt, car cela revient à la ralentir. Si vous voyez une voiture passer rapidement devant vous, il vous sera difficile de l’observer, d’en saisir tous les détails ; mais si vous ralentissez l’image de cette voiture, vous aurez alors bien plus de temps pour relever toutes ses caractéristiques physiques apparentes et plus profondes. Le même principe s’applique à l’antimatière : ralentir les antiparticules permet aux physiciens d’avoir un peu plus de temps pour les mesurer.
« Grâce à cette technique, nous pouvons nous pencher sur des mystères de longue date tels que : Comment l’antimatière réagit-elle à la gravité ? L’antimatière peut-elle nous aider à comprendre les symétries en physique ? », explique Takamasa Momose, l’un des chercheurs à l’œuvre derrière cette recherche. Le coauteur de cette étude, Makoto Fujiwara, narre quant à lui combien « c’était un rêve un peu fou de manipuler de l’antimatière à l’aide d’un laser », un rêve « devenu réalité » grâce à un travail d’équipe à l’échelle internationale.
Ouvrir la voie aux fontaines antiatomiques
Pour accomplir ce projet, les physiciens ont d’abord piégé les antiparticules dans un champ magnétique puis l’ont bombardé avec un laser, c’est-à-dire avec des photons. Ces derniers n’ont pas de masse, mais ils portent une quantité d’énergie et viennent exercer une force sur le mouvement des atomes, se traduisant par le « refroidissement par laser » ou « refroidissement Doppler ». Cette technique, bien connue pour ralentir les atomes, n’avait pas encore trouvé d’application pour les antiparticules jusqu’à aujourd’hui. Une mise en pratique réussie, mais qui demande encore des améliorations : par exemple, il faudra augmenter la puissance des pulsations laser pour que le procédé soit plus rapide (il demande aujourd’hui des heures pour que les atomes refroidissent), ou bien de remplacer les pulsations avec un laser continu.
Même si la technique peut et va encore être peaufinée au fil du temps, il n’en demeure pas moins qu’elle a déjà des « implications considérables » pour soutenir les études actuelles de l’antimatière. Par exemple, en refroidissant les antiparticules dans le piège magnétique, on densifie le champ, ce qui permet potentiellement d’y intégrer davantage d’antiparticules et donc d’affiner toujours plus les mesures.
« En outre, la capacité démontrée de manipuler le mouvement des atomes d’antimatière par la lumière laser offrira potentiellement des possibilités révolutionnaires pour les expériences futures », écrivent les auteurs dans l’étude. Parmi ces expériences futures, on compte les fontaines antiatomiques, c’est-à-dire l’idée de projeter dans de l’espace vide des antiatomes et observer leur façon de tomber — ce serait une nouvelle méthode exceptionnelle pour comprendre l’antimatière (et donc, rappelons-le, une part de la structure fondamentale de l’Univers). Les deux auteurs de la présente étude travaillent déjà sur ce projet, dont la mise en place pourrait démarrer à partir de 2027.
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