Une nouvelle technologie développée par le MIT permet d’ouvrir virtuellement une lettre scellée, sans jamais y toucher physiquement autrement qu’avec un scan.

En 1926, le musée de La Haye s’est vu transmettre une bien étrange malle. Celle-ci appartenait à Simon et Marie de Brienne, maîtres de poste pour un réseau de communication qui reliait alors la France et les Pays-Bas. Dans cette malle, on trouve des milliers de lettres qui n’ont jamais été remises à leurs destinataires. Parmi elles, 500 n’ont jamais pu être ouvertes. Les lettres étaient scellées par une ancienne méthode de sécurisation consistant à plier le papier d’une certaine façon, puis à cacheter avec un sceau. Impossible d’ouvrir le courrier sans détruire le contenu.

Pourtant, dans un article scientifique publié ce 2 mars 2021 dans Nature, le MIT explique avoir réussi à lire le contenu de quatre d’entre elles. Et ce, sans jamais les ouvrir physiquement. Pour ce faire, ils ont mobilisé une technique de microtomographie aux rayons X pour scanner le courrier, puis ils ont ouvert virtuellement la lettre.

« On passe l’Histoire aux rayons X »

Le MIT a développé une technologie qui pourrait nous ouvrir les portes de bien des secrets cachés dans d’anciennes missives. Cette sorte de cryptographie a été très répandue en Europe. Le « letterlocking », consistant à verrouiller/sceller physiquement un courrier par le pliage sans utiliser d’enveloppe, est né au XIIIe siècle puis s’est développé jusqu’à la Renaissance. « Le verrouillage des lettres a été une activité quotidienne pendant des siècles, par-delà les cultures, les frontières et les classes sociales », explique sur le site du MIT Jana Dambrogio, qui a développé le champ d’analyse de cette technique.

« On passe l’Histoire aux rayons X », renchérit Graham Davis. Ce professeur en imagerie 3D a mobilisé pour cette étude des machines jusqu’ici utilisées en médecine dentaire pour scanner des dents. C’est ce qui a permis d’obtenir des numérisations en très haute définition et en volume.

Dépliage virtuel d'une lettre scellée. // Source : MIT

Dépliage virtuel d'une lettre scellée.

Source : MIT

C’est ensuite un algorithme qui a pris le relai, combinant des reconstitutions 2D et 3D du contenu de la lettre. Développé par Amanda Ghassaei et Holly Jackson, il a été diffusé depuis en accès libre sur GitHub. L’algorithme est issu d’une analyse préalable approfondie sur plus de 250 000 lettres, ce qui a permis à l’équipe de recherche de systématiser toutes techniques de « letterlocking » utilisées en Europe. « L’algorithme a fait un travail impressionnant pour séparer les couches de papier, malgré leur extrême finesse et les minuscules écarts entre elles, parfois inférieurs à la résolution du scan. Nous n’étions pas sûrs que ce soit possible », explique Erik Demaine, professeur d’informatique, sur le site du MIT.

Des capsules temporelles

Ces lettres scellées sont, pour les historiens, de véritables capsules temporelles. On y trouve des informations précieuses sur la vie quotidienne de personnes de tout rang social, de l’artiste itinérant au diplomate. En l’occurrence, le dépliage virtuel mobilisé pour la première fois dans cette étude a permis de lire — sans jamais y toucher physiquement — un courrier scellé daté du 31 juillet 1697. Dans celui-ci, un certain Jacques Sennacques prend des nouvelles de son cousin, un marchand français, et lui demande un acte de décès d’une connaissance apparemment commune.

Couverture de la lettre dépliée virtuellement, ici avant qu'elle soit dépliée. // Source : MIT

Couverture de la lettre dépliée virtuellement, ici avant qu'elle soit dépliée.

Source : MIT

« Notre nouvelle technologie permet aux conservateurs de préserver l’ingénierie interne d’une lettre, tout en donnant aux historiens un aperçu de la vie des expéditeurs et des destinataires », pointe la co-conceptrice de l’algorithme, Holly Jackson. Il est certain qu’avec la publication de cette étude, signant une nouvelle technique de pointe, nous assistons à l’enclenchement d’un nouveau champ de recherche où la technologie vient fournir des outils pour lire et comprendre le passé.

« Ce que nous avons accompli représente davantage que de simplement ouvrir ce qui ne peut être ouvert et de lire l’illisible. Nous avons montré comment un travail véritablement interdisciplinaire fait tomber les frontières pour étudier ce que ni les sciences humaines ni les sciences ne peuvent espérer comprendre seules », conclut Nadine Akkerman, spécialiste en littérature moderne ayant participé à l’étude.

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