Il est impossible de dépasser la vitesse de la lumière, nous rabâche-t-on depuis un siècle. La relativité restreinte stipule qu’il faudrait une énergie infinie à une particule massive pour atteindre cette vitesse. Oui, mais nuance : c’est la célérité de la lumière qui ne peut pas être dépassée. Vous savez, ce petit c de E=mc², la célèbre équation qui établit une relation entre masse (m) et énergie (E). Or, ce c, c’est la vitesse de la lumière dans le vide, soit 299 792 458 mètres par seconde. Rien ne nous interdit de commencer par ralentir les photons (les particules qui « transportent » la lumière) pour tenter de les dépasser…
La vitesse d’une onde lumineuse dans un milieu est définie selon un indice de réfraction n. Un paramètre simple : on divise c par n pour calculer la « nouvelle » vitesse. Dans l’acier, par exemple, l’indice de réfraction est de 2,5. Les photons sont alors ralentis à environ 120 000 km/s. Et si quelque chose d’assez rapide arrivait à dépasser la lumière en profitant du fait qu’elle est restreinte par son milieu ?
L’effet Vavilov-Tcherenkov
Il faut convenir qu’il est difficile de se déplacer dans de l’acier. Allons dans l’eau, qui a un indice de réfraction de 1,33. Pour créer une particule qui soit assez rapide (et chargée), il nous faut un phénomène puissant. Prenons donc la fission nucléaire, par exemple. Un neutron fend un noyau lourd, provoquant une émission de particules chargées. Bingo : ces particules sont tellement rapides qu’elles dépassent les photons dans l’eau. À la manière d’un avion qui rattrape les ondes sonores qu’il émet, dépassant ainsi le mur du son, ces particules franchissent le « mur de la lumière ».
« Le phénomène va créer une radiation bien particulière, détaille Jean-Philippe Lenain, astrophysicien à l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules. La particule chargée, en se déplaçant, va perturber tous les atomes qu’elle rencontre. Il va y avoir un effet de polarisation. » La particule va créer localement des champs électriques et les atomes qu’elle croise sur son chemin vont émettre des ondes électromagnétiques. Ces dernières, d’une fréquence assez haute, vont émettre dans le bleu et l’ultraviolet. C’est ce que l’on appelle la radiation Cerenkov, ou l’effet Vavilov-Tcherenkov.
Le phénomène est observé dans les chambres de refroidissement des centrales nucléaires, desquelles une lumière bleue se dégage. Tout comme avec le mur du son, ce passage du « mur de lumière » provoque l’émission d’un cône (invisible à l’œil nu). La particule chargée étant plus rapide que la lumière, elle laisse dans son sillage la propagation des ondes bleues. « La forme de ce cône peut d’ailleurs donner un indice sur la vitesse de la particule », précise le Dr. Don Lincoln, du Fermilab dans l’Illinois.
Percer l’un des plus grands mystères de l’Univers
D’accord, l’effet Cerenkov crée de la lumière bleue. Mais est-ce qu’il est vraiment utile de l’observer ? Oui, et c’est même primordial. Si beaucoup de particules sont si discrètes qu’il est quasiment impossible de les détecter, le simple fait qu’elles déclenchent une radiation Cerenkov peut nous permettre de les étudier.
On utilise notamment cet effet au Super-Kamiokande, un énorme détecteur de neutrinos au Japon. « Le neutrino est une particule fantomatique, explique Jean-Philippe Lenain. Elle est très légère et n’interagit quasiment pas avec la matière. Mais quand il le fait (s’il est assez énergétique), il déclenche une cascade de particules secondaires qui vont elles-mêmes provoquer une radiation Cerenkov. Si le Super-Kamiokande la détecte, on va pouvoir étudier ces particules secondaires, et par conséquent les neutrinos. »
On vous en parlait en avril, l’étude des neutrinos va peut-être nous permettre de répondre à une question fondamentale : pourquoi tout est fait de matière ? À sa création, l’Univers était composé de matière et d’antimatière, qui se sont annihilées entre elles. Sauf qu’il y avait une asymétrie : un peu plus de matière que d’antimatière. On ne sait pas encore pourquoi, mais les neutrinos ont un rôle à jouer. D’où l’importance de bien les étudier.
L’effet Cerenkov est aussi produit lorsque des rayons gamma (photons très énergétiques) pénètrent dans l’atmosphère. Ils viennent y déclencher leur cascade de particules chargées, qui vont elles-mêmes produire la lumière bleue en perturbant les molécules de l’air. La détection de cette radiation pour l’étude des rayons gamma est au cœur d’une expérience appelée « Cherenkov Telescope Array », dont Jean-Philippe Lenain fait partie. Il s’agit d’un projet international rassemblant 1400 chercheurs et techniciens dans le monde, qui œuvrent à préparer la prochaine génération de télescopes capables de détecter de lointains objets spatiaux. L’objectif : avoir des outils de plus en plus performants pour mieux comprendre l’Univers.
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