Pendant le confinement, Raphaël Granier de Cassagnac relayait, sur ses réseaux et sur le site ScienceXGames, une liste de jeux vidéo qui se rejoignent sur une particularité : ils permettent de passer le temps avec plaisir, mais aussi d’en ressortir avec quelques connaissances ou un intérêt décuplé pour la science. C’était bien là l’ambition de ce physicien et écrivain de science-fiction lorsqu’il a créé le Gamelab de Polytechnique en 2019. Cette chaire étudie les liens entre la science et les jeux vidéo. Et tous les liens, car cela fonctionne dans les deux sens : mettre plus de science dans les jeux vidéo, mais aussi porter des messages scientifiques via des supports ludiques. « Science for all, fun above all ! », dit le slogan de ce labo.
En plein cœur de Polytechnique, la petite équipe de six personnes nous accueille dans un studio où des post-its de toutes les couleurs sur des tableaux blancs côtoient des équipements informatiques. Sur la porte d’entrée, comme à l’intérieur, des affiches des lapins crétins contribuent à l’atmosphère vidéoludique et rappellent que le Gamelab de Polytechnique est financé par Ubisoft, sous forme de mécénat. L’idée vient quant à elle directement de Raphaël Granier de Cassagnac. Il nous confie : « J’avais un embryon d’idée pour un jeu grand public visant à vulgariser la recherche. On a trouvé un écho chez Ubisoft. » Il a alors rencontré Olivier Dauba, vice-président éditorial de l’entreprise, puis « tout est allé très vite ».
La première mission du Gamelab est d’apporter une expertise à des projets au sein de l’école. À Polytechnique, les quelques 550 étudiants doivent mener des projets scientifiques collaboratifs. Cinq groupes se concentrent sur les jeux vidéo. Les étudiants ont des connaissances scientifiques, mathématiques, chimiques, mais ne savent pas forcément comment implémenter ces notions au sein d’un jeu — et un jeu plaisant. L’équipe du Gamelab vient leur apporter un soutien aussi bien sur les graphismes que le gameplay ou encore l’interface et la programmation.
Les résultats de ces projets étudiants pourront « faire avancer l’état de l’art » en matière de recherche, nous précise Catherine Rolland, cheffe de projet du Gamelab. « La suite logique peut aussi être de fonder une startup pour vendre leur innovation. En tout cas, les résultats de leurs recherches leur appartiennent entièrement. » Créer un effet réel dans l’industrie est bel et bien l’ambition du Gamelab. Raison pour laquelle le laboratoire organise aussi des colloques durant lesquels des professionnels du jeu vidéo sont mis en relation avec des scientifiques. Le Gamelab est en fait le lieu de ce que Catherine Rolland appelle une « synergie » : les sciences et les jeux vidéo s’imbriquent, se valorisent mutuellement.
Par exemple, les sciences pourraient tout simplement permettre d’améliorer techniquement les jeux vidéo. Rapprocher l’environnement virtuel (météo, faune, flore) de la réalité. « On s’est rendu compte qu’il peut y avoir des algorithmes, des solutions scientifiques très inspirantes pour l’industrie afin régler les problématiques de réalisme, révèle Catherine Rolland. L’industrie du jeu n’est pas toujours au fait de tout ce que la science peut lui fournir. » Et, de l’autre côté, la science aurait tout à gagner en utilisant les jeux vidéo.
Une synergie entre science et jeux vidéo
Le Gamelab s’est lancé dans une mise en pratique très concrète en développant son propre jeu. La physique des particules y sera omniprésente et fera partie du gameplay. Joueurs et joueuses devraient en ressortir en ayant vécu une belle odyssée… et avec une nouvelle vision de l’infiniment petit. « Diffuser la science par les jeux vidéo, c’est l’avenir », affirment de concert Raphaël Granier de Cassagnac et Catherine Rolland à Numerama.
Diffuser des connaissances dans des jeux, cela vous rappelle peut-être les fameux serious games. Mais Raphaël Granier de Cassagnac et Catherine Rolland souhaitent s’en distancier. Si les jeux sérieux peuvent faire passer un bon moment, leur but reste avant-tout éducatif. Le Gamelab souhaite inverser la logique : créer et promouvoir des jeux faits avant-tout pour s’amuser, mais à travers lesquels des connaissances scientifiques passent tout naturellement. En somme, des jeux riches en science, sans être « sérieux », sans être vendus comme « éducatifs ».
« Des gens qui n’accrochent pas avec les cours de géo connaissent pourtant la carte de WoW sur le bout des doigts »
Pour Catherine Rolland, la démarche repose sur une réalité souvent peu comprise : un jeu vidéo est de toute façon, par essence, un vecteur d’apprentissage. « On progresse dans un jeu par essais et erreurs. Même dans un jeu classique dénué d’intention pédagogique, on apprend des règles au joueur, on lui fait découvrir un environnement… Dans tous les jeux, il y a un apprentissage. » La cheffe de projets, aussi docteure en chimie organique, évoque l’exemple d’un univers comme World of Warcraft. Dans un tel MMORPG, la carte est gigantesque, remplie de chemins, de lieux-clé. « Des gens qui n’accrochent pas avec les cours de géo connaissent pourtant la carte de WoW sur le bout des doigts. Ils maîtrisent la géographie de ce monde imaginaire car ils ont réussi à se l’approprier. » Alors, ils n’ont certes pas appris la géographie de notre monde, mais ils ont « acquis la capacité géographique ».
Les jeux vidéo ont un avantage : la représentation visuelle
Face aux autres supports de diffusion des connaissances scientifiques, Raphaël Granier de Cassagnac estime que les jeux vidéo ont un avantage clé : une représentation visuelle flexible et étendue. « Avec un jeu vidéo, le champ graphique est très large, tu peux représenter plein d’objets scientifiques, tout ce que tu veux, des molécules, des équations, des étoiles, l’infiniment petit ! ». C’est pour répondre à ce boulevard de possibilités que le graphiste Thomas Vaulbert est présent dans l’équipe du Gamelab.
« C’est le visuel qui va attirer l’œil du joueur en premier »
« C’est le visuel qui va attirer l’œil du joueur en premier », relève-t-il. Côté graphismes, tout va être une affaire de curseurs : il faut équilibrer les choix entre l’art et la science. Il faut coller à des référentiels réels, mais aussi savoir faire rêver pour que ce soit amusant. Pour le jeu sur la physique des particules développé au Gamelab, Thomas Vaulbert explore les machines actuelles utilisées par les physiciens, mais il réfléchit à un moyen de leur donner un charme supplémentaire. « On peut garder la physique de l’objet mais y poser une ‘peau’ différente. Par exemple, et si les mayas avaient inventé un accélérateur de particules, à quoi il ressemblerait ? ».
Donner du sens
Ce que rappelle le travail graphique auquel s’adonne Thomas Vaulbert, c’est qu’un jeu vidéo ne doit jamais oublier l’expérience des joueurs et des joueuses. Insérer de la science dans une expérience ludique démultiplie le défi. C’est là qu’intervient Priscillia Larcher. Elle fait partie de l’équipe du Gamelab en tant qu’alternante, dans le cadre de son diplôme supérieur d’art appliqué. Elle s’occupe du design interactif : la manière dont les utilisateurs interagissent avec le dispositif. En arrière-plan de ce travail, elle avance son mémoire, dans lequel elle essaye de répondre à une problématique reliée au Gamelab : comment établir une relation entre science et jeux vidéo ?
« Ne pas essayer de transmettre du contenu abrupt »
Sa réponse : « Le lien entre les jeux et la science consiste à ne pas essayer de transmettre du contenu abrupt, de manière descendante, mais plutôt faire en sorte que le joueur adopte une posture épistémique : qu’il se pose des questions et tente d’y répondre lui-même. » Selon elle, il est clair que le jeu vidéo sert de médiation pour diffuser la science. « La science est étonnante et si à travers les jeux vidéo on arrive à le monter, à fasciner, c’est super. Et puis… cela donne aussi du sens à ce que l’on fait quand on crée un jeu », confie Priscillia Larcher à Numerama.
Ce besoin de mettre du sens dans la création de jeux vidéo, on le retrouve aussi chez Tony Cottrel, le programmateur Unity du Gamelab. Lorsque les étudiants de Polytechnique viennent le voir avec leur projet, son rôle est de les ramener à ce qui est faisable ou non techniquement. Il trouve dans son rôle une liberté créative inégalée avec ce qu’il a vécu dans l’industrie, dont il décrit les conditions de travail comme « horribles ». Dans un grand studio, « on fixe l’objectif, il ne bougera pas, à nous de trouver le moyen de l’atteindre pendant des mois. Au final, la marge de manœuvre dans la création est très réduite ». Inversement, au Gamelab, l’idée est faire évoluer les œuvres au fil des trouvailles, des besoins, en toute fluidité, pour qu’elles prennent toujours plus de sens.
Construire le jeu autour de la science est possible
Pour qu’un jeu vidéo transmette des connaissances, encore faut-il réussir à passer d’une discipline complexe à des règles jouables — c’est le gameplay. Au Gamelab, Pierre-Alban Ferrer s’assure de cela en tant que game designer. « Dans un jeu, il y a des boucles, des choses qui se répètent, des règles fixes. En physique, il y a des exceptions, des contradictions, beaucoup de complexité. » Il faut trouver une façon innovante de jouer, prenant tout cela en compte. « L’idée est d’inventer des façons de faire interagir le joueur avec la physique des particules en ayant en tête ses spécificités ».
« On aimerait créer un déclic à travers les jeux »
Alors, jouerons-nous demain à des jumeaux de Mass Effect qui nous permettront de mieux comprendre les planètes, les galaxies, la matière noire ? Jouerons-nous à des open world comme Watch Dogs ou Horizon Zero Dawn dont on ressortira avec des connaissances en informatique, biologie, physique atmosphérique ? Et tout cela, l’air de rien, en ayant passé un excellent moment ? « On aimerait créer un déclic à travers des jeux… qui sont avant-tout des jeux. Qu’on se dise ‘finalement la science ça m’intéresse et je la comprends’. C’est comme ça qu’on aborde le jeu qu’on développe », commente la cheffe de projet Catherine Rolland. « Oui, il y a de la place pour plein de jeux de différentes ampleurs qui apprennent véritablement des choses aux gens », ajoute Raphaël Granier de Cassagnac en guise de conclusion.
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