« Les petites granules d’arnica nous accompagnent (comme beaucoup de parents) depuis presque six ans, nous avons d’ailleurs un tube dans chaque pièce de la maison ». Cette phrase provient de l’une des dernières publications Instagram d’une blogueuse, Laura. Elle s’accompagne d’une photo où son fils prend de l’homéopathie. En dessous, il y a également un lien, qui renvoie vers le site MonHoméoMonChoix.
Cette publication est un partenariat avec ce site, qui est cofinancé par des entreprises vendant de l’homéopathie. D’autres blogueuses spécialisées dans les thématiques lifestyle ou famille, qui ont jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’abonnés, ont passé un partenariat similaire.
À la une de MonHoméoMonChoix, on trouve pétition contre le déremboursement de cette médecine alternative, qui pourrait leur coûter gros. En juin prochain, la Haute autorité de santé doit rendre un avis sur le déremboursement de ces granulés. Au cœur du débat qui oppose les « pro » et les « contre », il y a l’efficacité de ces granules, qui n’a pas été prouvée par une étude scientifique suffisamment solide. Du côté des « pro », on avance des sondages, comme le fait que les Français sont nombreux à apprécier l’homéopathie.
Plusieurs internautes se sont questionnés sur les publicités sur Instagram et leur légalité. Elles sont en fait autorisées, car ces publicités ont l’habileté de porter sur « l’homéopathie » comme pratique globale, et non sur un produit nommé en particulier. Numerama a enquêté sur le sujet.
Un site cofinancé par des entreprises
Le site Mon homéo mon choix affiche une pétition 276 000 signatures à la date du 3 mai 2019.
Il a été créé par un ensemble d’organismes, dont voici la liste complète :
Il y a parmi eux des organisations professionnelles comme le Syndicat National des Médecins Homéopathes Français ou la Fédération Nationale des Sociétés Médicales Homéopathiques de France. On trouve aussi des organisations internationales pro-homéopathie (la seconde catégorie), des associations de patients et des entreprises : Boiron, Lehning et Weleda.
Au téléphone, Bénédicte Sagnimorte, directrice des relations professionnelles chez Boiron, un gros laboratoire pharmaceutique coté en bourse, nous a confirmé que ces entreprises cofinançaient le site et les campagnes d’annonces associées, comme les partenariats avec les blogueuses. C’est également ce qu’a confirmé Boiron à Libération.
Les organisateurs de la pétition militent contre le déremboursement de l’homéopathie. Les arguments principaux sont le fait que de nombreux Français en utilisent (d’après une étude Ipsos qui porte sur 2 000 personnes, et ne parle pas de l’efficacité des traitements). Un autre raisonnement voudrait que cela coûterait aussi moins cher à la Sécurité sociale de rembourser ces granules (2,70 euros en moyenne par boîte) que des médicaments classiques (environ 10 euros).
Cette affirmation se base toutefois sur un rapport gouvernemental qui, dans les faits, contient des propos bien différents. Le fameux chiffre de 10 euros mis en avant ne concerne en fait qu’un certain type de médicaments (onéreux). Si l’on prenait le prix moyen des médicaments génériques, par exemple, (qui sont exactement les mêmes molécules), il n’est que de 3,80 euros.
D’autres études ont montré, à l’inverse, que l’homéopathie était souvent prescrite en complément d’un traitement classique (une méthode que même les laboratoires admettent) et que par conséquent, les patients prenant de l’homéopathie coûteraient plus cher que les autres.
La volonté de dérembourser, soutenue par les deux académies de médecine et de pharmacie notamment, s’appuie sur l’insuffisance de preuves concernant l’efficacité de l’homéopathie.
Des éléments de langage repris sur Instagram ?
On trouve sur Instagram une centaine de publications taguées avec le mot-clé #MonHoméoMonChoix. La plupart ont été publiées directement sur le compte officiel du site. D’autres viennent de blogueuses indépendantes. Elles ont publié des photos avec un texte et le lien de la pétition (qui apparaît aussi parfois directement dans leurs biographies Instagram).
Elles tiennent des discours similaires, souvent en rapport avec leur enfance ou leurs enfants. Les chiffres mis en avant par les organisateurs de la campagne MonHoméoMonChoix apparaissent. On lit par exemple : « J’ai commencé à prendre de l’homéopathie pendant ma grossesse et j’ai continué avec [ma fille]. Aujourd’hui, je trouve ça dommage de fermer la porte à une médecine douce en la déremboursant totalement alors que paradoxalement 74% des français seraient pour le remboursement de l’homéopathie. »
Le chiffre de 74 %, qui apparaît sur la pétition et nous a été également communiqué par Boiron, repose sur une étude menée par l’institut Ipsos en novembre 2018. Elle ne porte pas sur l’efficacité des médecines alternatives, mais uniquement sur la manière dont elles sont perçues par un échantillon de 2 000 Français. L’étude est par ailleurs un peu moins affirmative qu’il n’y paraît. Elle stipule en effet que 74 % des Français sont « globalement » opposés au déremboursement mais que seuls 46 % y sont « totalement opposés ».
Une opération de communication
Une autre blogueuse écrit : « Quand j’étais petite, ma maman me dégainait souvent des petits tubes d’homéopathie (…) Depuis que je suis devenue maman, j’ai pris le même réflexe ». Julienne adopte le même discours sur son compte : « Toute mon enfance mes parents m’ont soignée à l’homéopathie. Aujourd’hui je l’utilise le plus souvent possible avec mes enfants. »
Pour les laboratoires concernés, le déremboursement de l’homéopathie est aussi une affaire de chiffres. Ils multiplient d’ailleurs ces derniers jours les opérations de communication. Fin avril, une journaliste a reçu à sa rédaction un courrier signé à priori des salariés de l’établissement Boiron de Reims. Il y est expliqué que l’avenir de 1 000 emplois serait en jeu en cas de déremboursement de ces granulés. Difficile de rester insensible à de tels arguments… ou aux publications Instagram des blogueuses à qui l’on fait confiance.
https://twitter.com/johalbrecht/status/1123129607551688704
Nous avons demandé aux laboratoires Boiron quels éléments de langage avaient été transmis aux blogueuses. Cette pratique est courante pour les partenariats avec des blogueurs et blogueuses, quel que soit le sujet. Pour un produit de beauté, on peut par exemple demander à mettre en avant certaines caractéristiques comme le prix ou la qualité par exemple. Les influenceurs choisissent d’accepter ceci ou non.
« Ma liberté de propos était totale »
Bénédicte Sagnimorte nous a indiqué qu’elle n’était pas au courant des détails des partenariats, car ils ont été signés entre les influenceuses et un intermédiaire, à savoir une agence spécialisée dans le marketing d’influence. Julienne, l’une des blogueuses, nous a elle affirmé qu’aucun texte ne lui avait été dicté. « Mon texte n’a pas été modifié d’une seule virgule, ma liberté de propos était totale », précise la « fervente consommatrice d’homéopathie ».
Des partenariats pas toujours mentionnés
Toutes les blogueuses n’ont pas spécifié qu’il s’agissait d’une publication sponsorisée et rémunérée. Certaines ont simplement ajouté un #ad (qui signifie pub en anglais) ou #sponso. Seule une a clairement indiqué dès le départ qu’il s’agissait d’une « collaboration ». D’autres l’ont ajouté par la suite, car leurs abonnés ne comprenaient pas que cela ne soit pas précisé. Milie a ainsi écrit : « POST SPONSORISE (pour ceux qui ne feraient semblant de ne pas comprendre le mot « campagne », le hashtag #ad et la mention collaboration en story…) ».
Julienne n’a pas tout de suite mentionné le fait qu’il s’agisse d’un partenariat car elle avait « peur que cela desserve une cause qui [lui] tient vraiment à cœur », nous dit-elle par mail. « Avec le recul, c’était une erreur. Je l’ai donc précisé.»
Nous avons contacté l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) au sujet de ces publicités. Elle a d’abord été surprise de nos questions, car elle-même n’avait pas remarqué qu’il s’agissait de publicités.
Des publicités autorisées
Si nous avons joint l’ANSM, c’est parce que les publicités pour les médicaments sont très encadrées en France. À ce sujet, Bénédicte Sagnimorte nous a expliqué : « Nous devons normalement demander un visa de publicité à l’ANSM mais cela n’a pas été le cas ici, car le nom des médicaments n’est pas mentionné ». « Les publications Instagram portent sur une pratique et non sur un produit en particulier », a-t-elle ajouté. Aucune publication Instagram ne contient le nom d’un produit précis, seulement la plante utilisée au départ dans l’un des traitements (l’arnica par exemple).
L’ANSM a confirmé ces éléments dans un email transmis à Numerama. « Les publications dont vous nous avez faites part porte sur une pratique (l’homéopathie) et non sur un produit », nous a-t-on dit, précisant que les règles sur la publicité sur les médicaments ne s’appliquaient donc pas directement. « L’ANSM étudie des pistes pour d’éventuelles actions vis-à-vis de ces publications sponsorisées », a-t-il été précisé.
Une médecine vérifiée ?
Sur Twitter, des internautes se sont malgré tout agacés de ces publicités qui selon eux, s’apparente à du « lobbying ».
Si les réactions sont si vives, c’est parce que l’efficacité de l’homéopathie est remise en cause par de nombreux médecins. Née à la fin du 18e siècle, cette pratique repose sur l’administration de plantes ou autres substances très diluées.
Au téléphone, Bénédicte Sagnimorte des Laboratoires Boiron nous a invité à lire plusieurs études, sur lesquelles nous nous sommes penchés. Depuis 180 ans, de nombreuses recherches ont été menées sur l’homéopathie mais on constate, à y regarder de plus près, qu’aucune n’est en fait assez poussée pour démontrer un résultat scientifiquement convaincant.
L’homéopathie serait, à en croire une évaluation scientifique rigoureuse qui a duré 3 ans et repose sur de nombreuses sources, aussi efficaces que du sucre. Les granules n’auraient pas plus d’effet qu’un placebo (lorsque notre état physique ou mental s’améliore sans prendre de substance active).
Les granules seraient aussi efficaces que le sucre
Certaines études démontrent toutefois que l’effet est supérieur à l’effet des placebo, mais il convient de noter que celles-ci portent sur de petits nombres de participants ou contiennent des erreurs méthodologies, comme l’a relevé Le Monde.
Une étude, surnommée EPI3, nous a également été citée par Boiron. Elle portrait cette fois sur plusieurs milliers de patients — et a été financée à hauteur de 6 millions d’euros par Boiron. Elle a montré que les médecins homéopathes prescrivaient moins de traitements conventionnels, mais obtenaient des résultats similaires. Ceci est largement lié à la manière dont l’homéopathie est prescrite. Contrairement aux médicaments classiques, la prescription de granules est personnalisée pour chaque patient, ce qui évite les effets secondaires. La confiance que les patients entretiennent avec le médecin homéopathique, qui symbolise une médecine plus « saine » pourrait également avoir un effet placebo, d’après les auteurs de l’étude eux-mêmes. Il ne s’agit pas d’un essai clinique, mais de l’examen d’une patientèle.
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