Le gouvernement et les compagnies aériennes jurent que le secteur aérien peut être bas-carbone. Un discours trompeur qui retarde la transition, dénoncent des associations environnementales.

Un « avion ultra-sobre » peut-il exister ? Ces mots, utilisés le 16 juin 2023 par Emmanuel Macron en amont du salon du Bourget – rendez-vous mondial de l’aéronautique – ont fait bondir plus d’un écologiste sur sa chaise. « Ça m’a bien fait rigoler ! commente Charlène Fleury, porte-parole de l’association Rester sur Terre. C’est une formule vide de sens, car, dans son essence, le mot sobriété veut dire modérer le recours à quelque chose. »

Pourtant, le gouvernement y croit et veut mettre les moyens afin de verdir cette industrie. Aussi, jusqu’en 2030, l’État français déboursera chaque année 300 millions d’euros pour développer des moteurs plus économes et des avions plus légers. De plus, 200 millions seront débloqués pour créer des biocarburants.

L’objectif ne date pas d’hier : dès 2020, le président avançait que ce mode de transport serait « bas-carbone » dans dix ans. À cet effet, près de 1,6 milliard d’euros a été accordé au Conseil pour la recherche aéronautique civile ces deux dernières années. Cet argent doit servir à tester différents projets, tels que l’avion de ligne à très faible consommation, l’avion à hydrogène ou encore les hélicoptères hybrides ou électriques.

Des initiatives dont se satisfont les grands patrons de compagnies aériennes. Le 18 juin, dans Le Parisien, Benjamin Smith, PDG d’Air France-KLM insistait ainsi sur la nécessité de miser sur le carburant « vert » (fabriqué à partir d’huiles usagées, de résidus de bois ou agricoles) dans le but de rester compétitif et de devenir des « champions de l’aviation durable ».

« Le secteur aérien doit faire sa part tout de suite »

L’enjeu est important. Entre 2000 et 2018, selon le cabinet de conseil de référence sur l’énergie et le climat Carbone 4, l’aviation commerciale était responsable de 5,1 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Si on le rapporte à l’échelle individuelle, l’impact est loin d’être négligeable : un vol aller-retour Paris-New York (qui pèse en moyenne 1,7 tonne de CO2) équivaut à 20 % des 8,9 tonnes émises annuellement par un Français moyen. D’après le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il est nécessaire d’atteindre deux tonnes par personne pour limiter le réchauffement du globe.

Aussi, pour bon nombre d’organisations environnementales, les promesses gouvernementales et industrielles relèvent de la « solution mirage ». En 2021, déjà, Greenpeace France écrivait dans un rapport que l’avion vert restait une « perspective lointaine, hypothétique et insuffisante pour permettre au transport aérien de rester sur une trajectoire compatible avec les objectifs de l’accord de Paris (qui est de maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2 degrés) ».

L’ONG concluait que la régulation et la réduction du trafic aérien étaient incontournables. Certains politiques et collectifs militent ainsi pour l’interdiction des jets privés, la suppression des vols courts ou encore – plus controversé – l’instauration d’un nombre limité de voyages en avion par citoyen. « Les émissions qui comptent, ce sont les émissions de maintenant. On n’est pas du tout dans les temps et c’est tout de suite que le secteur aérien doit faire sa part en réduisant ses émissions. Et la solution, c’est la modération », abonde Charlène Fleury.

Les promesses gouvernementales, une « solution mirage » pour beaucoup. // Source : Canva
Les promesses gouvernementales, une « solution mirage » pour beaucoup. // Source : Canva

Des accusations de greenwashing, signe que l’aviation a un problème d’image

Mais, à l’heure actuelle, poursuit-elle, ce n’est pas la piste empruntée par l’industrie aéronautique. « Ils nous font miroiter cette soi-disant neutralité carbone en 2050, exprès pour nous faire oublier qu’elle doit s’accompagner d’une baisse de 55 % des émissions en 2030. Se dissocier de cet objectif, ça veut dire faire une croix sur l’accord de Paris », résume la porte-parole. Celle-ci fait notamment référence aux opérations des compagnies aériennes pour rendre la pratique de l’avion moins culpabilisante, comme promettre de planter des arbres après l’achat d’un billet. Dix-sept sociétés, à l’instar d’Air France, ont ainsi été attaquées en justice le 22 juin par le Bureau européen des unions de consommateurs (Beuc) pour « greenwashing ». L’organisme, qui regroupe 23 associations, dénonce le recours à la compensation d’émissions CO2, encore très mal évaluée, ainsi que la promotion des carburants durables, « pas encore prêts pour le marché ».

Enfin, s’indigne le Beuc, « laisser entendre que le transport aérien peut être durable est trompeur. Aucune des stratégies déployées par le secteur aérien n’est actuellement en mesure de prévenir les émissions de CO2 ». Pour François Carlier, directeur des études et de la communication à UFC-Que-Choisir, c’est le signe que la filière ne se porte pas aussi bien que ça : « On voit poindre des réticences (de la part du consommateur) sur le secteur aérien, notamment dans les pays les plus riches. Donc ce n’est pas pour rien que les compagnies lancent ce type de démarches, ils ont un problème d’image à régler. » De fait, l’aérien fera, tôt ou tard, partie des victimes de la transition écologique, annonçait, dans une étude publiée en 2022, le Shift Project.

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