Quand l’on débat du problème du piratage des œuvres culturelles sur Internet, qu’il s’agisse de films, de séries télévisées, de musique ou de jeux vidéo, les adaptes du téléchargement illicite ne manquent pas d’argument pour justifier leurs pratiques : faiblesse de l’offre légale, inadaptation du droit d’auteur aux nouveaux usages permis par le numérique ou coût de la vie.
L’impression que le piratage n’est que la conséquence logique d’une série de facteurs, qui pourraient être traités par les titulaires de droits, ne date pas d’hier. Elle a même fait l’objet de travaux se demandant l’effet que peut avoir l’offre légale sur le degré de piratage lorsqu’elle est au niveau. Car il existe un sentiment selon lequel le piratage ne peut que chuter si l’offre légale est variée, de qualité et abordable.
Des enquêtes de ce type ont notamment eu lieu en Norvège, en Suède et Australie. Ici, c’est surtout le rôle des grandes plateformes de streaming musical — et tout particulièrement Spotify — qui a été passé au crible. Apparues dans les années 2000, elles ont pris leur envol la décennie suivante. Et aujourd’hui, rares sont celles et ceux qui n’utilisent pas du tout Spotify, Deezer ou Apple Music.
Une enquête en Nouvelle-Zélande
Les indices qui ont pu être relevés dans le domaine de la musique existent aussi du côté du septième art. C’est en tout cas ce que souligne une nouvelle observation, réalisée cette fois en Nouvelle-Zélande. Évoquée par Scoop puis reprise par Torrentfreak, l’étude a fait l’objet d’une commande de la part d’un FAI local, Vocus Group. À cette occasion, un sondage sur un millier d’habitants a été conduit en décembre dernier.
Il ressort de cette enquête qu’une majorité préfère obtenir un même contenu par des voies légales, comme les plateformes de type Netflix (c’est le cas de 55 % des sondés) ou les chaînes de télévision (75 %). La part de celles et ceux qui restent de l’autre côté de la barrière, en récupérant des contenus piratés sur des streams illicites (11 %) ou par des réseaux comme BitTorrent (10 %), est faible.
Pour Taryn Hamilton, cadre chez Vocus Group, « les gens regardent moins de contenu piraté aujourd’hui qu’avant et ils suggèrent qu’ils continueront à en regarder moins à l’avenir. C’est en grande partie grâce à l’accès facile et bon marché à du contenu gratuit et payant sur des sites comme Netflix et YouTube. Comparez cela au piratage d’une émission : le piratage exige une certaine habileté technique et c’est risqué ».
Une offre légale devenue de qualité
Outre le coût de l’accès (qui peut être parfois gratuit, mais compensé par des annonces publicitaires : c’est le cas des services musicaux), la variété et la qualité de l’offre, la simplicité d’emploi de la plateforme constitue effectivement un autre grand critère qui dissuadera ou convaincra les internautes. En la matière, l’ergonomie des sites de l’offre légale a évolué favorablement ces dernières années.
On est aujourd’hui bien loin de l’époque où certaines plateformes étaient très pénibles à utiliser, avec des problèmes techniques à foison ou un catalogue d’œuvres insuffisant. En 2013, un test mémorable réalisée par la blogueuse Klaire avait montré que sur les 20 sites testés, 16 avaient un problème. Bien sûr, tout n’est certes pas encore parfait aujourd’hui, mais des avancées notables ont été effectuées.
L’effet positif d’une plateforme comme Netflix sur le piratage avait déjà été envisagé en 2013. À l’époque, le géant américain de la vidéo à la demande par abonnement estimait que le trafic sur le réseau BitTorrent baissait dans les pays où il se lançait. Autrement dit, la société changerait les usages des internautes grâce à la qualité de son offre légale — ce que la société BitTorrent Inc a contesté, mettant en avant d’autres raisons.
Le piratage reste d’actualité
Ces enquêtes suggérant que l’offre légale, lorsqu’elle coche toutes les cases, fait reculer le piratage doivent toutefois être prises avec précaution : d’abord, parce que certains sites illicites comme YggTorrent, The Pirate Bay, Extreme-Download, Torrent9 demeurent d’importants lieux d’échange de contenus piratés et que les alternatives, les clones et les miroirs de sites défunts arrivent à reprendre le flambeau avec succès.
Les manœuvres du gouvernement sur ces questions et la remise d’un rapport dédié sur Hadopi témoignent que si recul il y a, celui n’est évidemment pas total. Le piratage reste toujours d’actualité. Il risque même de connaître une résurgence, si l’offre légale reste très fragmentée : dans le domaine de la vidéo, qui sera disposé à payer plusieurs fois 10 euros par mois pour avoir accès à quelques plateformes de SVOD ?
Le budget des ménages consacré aux divertissements n’est pas extensible à l’infini, même si plus de moyens peuvent y être consacrés. Les internautes s’abonnent généralement à une seule plateforme de streaming musical. Quant à la vidéo, peut-être acceptent-ils de payer pour un deuxième service. Mais il faut ajouter à cela les sorties au cinéma, les jeux vidéo, les livres, le théâtre, les abonnements TV, et ainsi de suite.
Mixité des usages
Par ailleurs, la frontière entre pirates et internautes accédant à l’offre légale est loin d’être imperméable. Elle est au contraire très poreuse, avec des individus pouvant passer d’un site de téléchargement illicite à un service de SVOD tout ce qu’il y a de plus respectable, puis retourner sur un flux de streaming illégal, avant d’acheter le dernier coffret collector de sa série préférée chez un e-commerçant.
Cette mixité dans l’usage a été remarquée par la Hadopi. La part des internautes déclarant avoir des pratiques mixtes, à la fois licites et illicites, est en hausse de huit points pour atteindre 23 % des internautes, les pratiques illicites mixtes et exclusives concernant au total 27 % des internautes de 15 ans et plus, selon un baromètre des usages datant de la fin 2017.
Ce comportement hybride avait été perçu de longue date dans de précédentes études, qui affirmaient par exemple en 2009 que les pirates sont aussi les plus gros consommateurs de musique. Trois ans plus tard, une autre enquête jugeait les internautes fréquentant les réseaux P2P pour télécharger illégalement ont tendance à dépenser davantage pour les œuvres proposées dans l’offre légale.
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