35 ans après la sortie de Blade Runner, alors que sa suite, Blade Runner 2049, est attendue dans les salles françaises le 4 octobre, Ridley Scott et Harrison Ford continuent de se quereller autour d’une question qui divise aussi les fans : Rick Deckard, le Blade Runner chargé d’éliminer des Réplicants en cavale, est-il lui-même un Réplicant ?
Si le réalisateur du film et la star ont su passer l’éponge sur les nombreux sujets de désaccord qui ont rythmé leur tournage de Blade Runner — le travail nocturne, la pluie et la fumée omniprésentes, leur vision divergente de la direction d’acteur… –, cet élément semble voué à les diviser à jamais.
Retour sur le sujet de discorde fétiche des deux septuagénaires, qui n’ont pas manqué de défendre leur position respective jusque sur le tournage du deuxième opus réalisé par Denis Villeneuve.
L’idée fixe de Ridley Scott
Dès son arrivée au sein de l’équipe en charge de Dangerous Days — le premier titre envisagé pour l’adaptation du roman culte de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? –, Ridley Scott fait clairement comprendre qu’il envisage ce long-métrage comme un film noir futuriste. Dans la droite lignée des classiques du genre tels que Le Faucon maltais, la référence des années 1940 où Humphrey Bogart incarne l’inoubliable détective Sam Spade.
De fait, avant même d’avoir tourné la moindre scène de Blade Runner, le réalisateur britannique campe déjà sur une idée bien précise : « À mes yeux, il est clairement logique, surtout quand vous réalisez un film noir, […] de faire en sorte que le personnage principal soit lui-même ce qu’il poursuit. » Un détail crucial qu’il se garde bien d’indiquer à Harrison Ford pendant les longues séances de discussion autour du script menées pendant plusieurs semaines chez l’acteur.
Si ces échanges permettent notamment à Harrison Ford de convaincre Ridley Scott de laisser de côté la voix off envisagée initialement dans le film — qui sera finalement intégrée dans la version de 1982 pour se conformer à la volonté des producteurs –, ils n’abordent en rien la question de la véritable nature de Deckard, futur enjeu crucial de Blade Runner, dans ses 3 versions différentes (1982, 1992 et 2007).
Ce qui n’empêche pas Ridley Scott d’intégrer, dans le montage final du film de 1982, plusieurs indices qui en disent déjà long sur l’identité de Rick Deckard. Le plus flagrant reste la couleur de ses pupilles au moment où il observe Rachæl en arrière-plan dans son appartement : elles sont rouges, comme celles de la Réplicante à certaines occasions ou encore ceux du hibou aperçu au sein de la Tyrell Corporation.
Des « indices » multiples qui laissent peu de place au doute
Mais l’élément le plus lourd de sens reste la licorne rêvée par Deckard lorsqu’il s’assoupit à son piano. Une rêverie clé, destinée à la première version du film mais que Ridley Scott aura seulement pu intégrer 10 ans plus tard, à la faveur de sa Director’s cut. Sa marge de manœuvre était en effet plus que réduite au moment de finaliser le montage de 1982, en raison d’un dépassement de budget qui offre le dernier mot aux producteurs.
Car en fait d’indice, ce rêve laisse en réalité peu de place au doute : il donne tout son sens à l’origami en forme de licorne laissé par le Blade Runner Gaff à l’entrée de l’appartement de Deckard, que celui-ci découvre à la fin du film. Ce détail montre que Gaff a pu accéder aux souvenirs et aux rêves du héros, de la même manière que Deckard se vante de l’avoir fait avec ceux de Rachæl : il est donc lui aussi un Réplicant doté de souvenirs artificiels, empruntés à d’autres humains.
Cet élément crucial est prolongé par une scène coupée — toute versions confondues — dans laquelle Deckard observe une photo de lui où il pose avec son ex-femme, devant une maison qui ressemble fortement à celle aperçue sur les photos d’enfance de Rachæl.
Il s’agit là d’un autre élément qui en dit long sur l’artificialité des souvenirs de Deckard, et sur l’importance particulière qu’il accorde aux photos — éparpillées dans son appartement –, à l’instar de la fascination du Réplicant Léon pour ses propres clichés, évoquée dès le début du film.
Enfin, quand Rachæl demande à Deckard s’il a déjà passé le test Voight-Kampff, qui permet de déterminer si son sujet est un Réplicant, la réponse du Blade Runner, en plein somme, reste inconnue. Un moyen subtil d’entretenir le doute sur cette question.
« Je me suis battu contre l’idée de Ridley Scott »
C’est bien parce que la nature réelle de Deckard est établie dans le film — il est un Réplicant, même si cela n’est jamais dit explicitement — qu’Harrison Ford se sent « trahi » par la vision du personnage imposée par Ridley Scott. Rien ne la laissait paraître sur le script, comme le confirme M. Emmet Walsh (l’interprète du capitaine Bryant) : « Les gens me demandent — beaucoup — si le capitaine Bryant savait que Deckard était censé être un Réplicant. Je leur dis ‘non non’. Rien de tout ça n’a jamais été évoqué pendant le tournage ou quand je me préparais pour le rôle. Aucun des scripts que j’ai lu n’indiquaient non plus qu’Harrison était censé être un androïde. »
Surtout, Harrison Ford, qui a fait de son mieux pour rendre le personnage de Deckard sympathique aux yeux du public — de peur que son comportement brusque ne contraste trop avec ceux de Han Solo et d’Indiana Jones –, estime que le Blade Runner se doit de partager au moins un point commun avec le spectateur. « Ridley Scott avait cette idée folle comme quoi j’étais un robot, et moi je pensais que le personnage devait être humain pour que le spectateur s’identifie à lui. » explique-t-il ainsi en 1997.
Cinq ans plus tôt, il déplorait déjà : « Mon plus gros problème [avec Blade Runner], c’est la fin. [Ridley] voulait que le public découvre que Deckard est un Réplicant. Je me suis battu contre ça pare que j’estimais que les spectateurs avaient besoin [d’un personnage] à soutenir. »
Dès 1985, soit trois ans après l’échec en salle de Blade Runner — et bien avant que le film ne devienne une référence de la science-fiction au fil du temps et de sa (re)découverte –, Harrison Ford justifie d’ailleurs partiellement la mauvaise réception du long-métrage par cette raison : « Je pense que le public n’a pas accroché [à Blade Runner] parce qu’il a été rebuté par le manque de contexte émotionnel, y compris celui de mon personnage. »
Visions opposées et répliques interposées
Malheureusement pour lui, la position de réalisateur de Ridley Scott lui offre le dernier mot dans leur débat. L’acteur, qui garde globalement un mauvais souvenir de Blade Runner — le « tournage le plus dur » de sa carrière — s’épanche ainsi en 1995 : « [Blade Runner] est vraiment la vision de Ridley Scott. C’est ce qu’il voulait faire. Mon mécontentement vient de la communication entre Ridley et moi à propos de ce qu’il voulait faire. Je me suis plus senti comme un pion que comme un partenaire. »
De son côté, Ridley Scott confirme, en 2000, dans le documentaire On the Edge of Blade Runner diffusé sur Channel 4, que Rick Deckard est un Réplicant. Après avoir expliqué la signification du rêve de la licorne, il affirme en souriant : « [Ça signifie] qu’il est un Réplicant. »
Depuis, le réalisateur britannique n’a eu de cesse, à la moindre occasion, de répéter sa vérité du personnage. Parfois avec une grande insistance, comme lors de sa dernière déclaration en date, le 8 septembre dernier, dans les colonnes du New York Times : « Deckard est un putain de Réplicant. » Il explique aussi, dans le commentaire audio du film, que le statut de Réplicant avait plus de sens si jamais une suite devait voir le jour : « À l’époque, ça allait autant s’il était un Réplicant que s’il n’en était pas un. Je me disais, au fond, que le choix naturel était d’en faire un Réplicant, surtout si on devait faire une suite. »
Il faudra en revanche attendre 2006 pour qu’Harrison Ford amorce un véritable dégel au sujet du film culte, qu’il semblait le seul, pendant des années, à ne pas apprécier à la même valeur que les autres : « Ce n’est pas que je n’aime pas le film. […] C’était une expérience géniale et j’ai depuis fait la paix avec. Comme avec Ridley. » Un an plus tard, il apparaît dans le making-of de Blade Runner qui accompagne la Final Cut du film, sortie pour son 25e anniversaire : la réconciliation est actée.
Si Ridley Scott a prétendu, __Scott:__Yeah, but that was, like, 20 years ago. He’s given up now. He said, "OK, mate. You win! Anything! Just put it to rest." » en 2007, avoir enfin convaincu Harrison Ford que son interprétation était la bonne (« Il a jeté l’éponge désormais, il m’a dit : ‘OK, mec, tu as gagné ! Tout ce que tu veux ! Finissons-en’. »), l’acteur tient pour sa part un autre discours. En 2014, lors d’une session d’échanges sur Reddit, à un internaute qui lui demande si Deckard est un Réplicant, Harrison Ford rétorque ainsi : « Je pense qu’il vaut mieux laisser cette question irrésolue parce qu’elle renforce considérablement la portée de l’intrigue. Le plus génial, selon moi, c’est qu’autant de monde se pose encore la question. »
Denis Villeneuve, témoin malgré lui
Malgré les trois décennies écoulées depuis la sortie de Blade Runner, le désaccord reste intact entre les deux hommes, comme Denis Villeneuve a pu le constater lors d’un dîner avec Harrison Ford et Ridley Scott à Budapest pendant le tournage de Blade Runner 2049 : « C’était très drôle de me retrouver littéralement entre les tirs croisés d’Harrison et de Ridley, qui expliquaient pourquoi Deckard devrait être un Réplicant et pourquoi il devrait être humain. »
Blade Runner 2049, qui se déroule 30 ans après les événements du premier film, apportera-t-il enfin une réponse claire à cette question ? Si les différentes bandes-annonces laissent supposer que Deckard est bien un Réplicant — à commencer par le fait qu’il se cache pour échapper à ceux qui le « traquent », dans un monde où les Réplicants ont à un moment donné été interdits –, on a déjà vu une communication savamment orchestrée autour de fausses pistes pour mieux induire le public en erreur.
Faut-il, de fait, prendre Ridley Scott au mot lorsqu’il affirme au New York Times : « Harrison ne peut plus nier [que Deckard est un Réplicant] puisque tout le postulat de cette nouvelle intrigue repose sur le fait que c’est un Réplicant » ? Les puristes ne manqueront pas d’expliquer que Deckard ne peut pas être un Réplicant car il aurait dû mourir au terme de ses 4 années de vie imposées, comme les autres Nexus 6.
Mais le happy end de la version de 1982 offre une réponse à cette question : Deckard y explique lui-même que Rachæl, en tant que Réplicante « spéciale », est dépourvue de date d’expiration. Une explication, si elle est reprise, qui pourrait justifier du fait que Deckard continue de vivre (et de vieillir) 30 ans après les événements du premier film.
Une question laissée sans réponse dans 2049 ?
En novembre 2016, Denis Villeneuve promettait pour sa part à Allociné d’entretenir le mystère dans Blade Runner 2049 : « Il était important, dans la genèse du projet, que les questions qui ont été posées avec le premier film n’aient pas nécessairement de réponse. La tension qui existe à la fin du premier film est assez jouissive et je n’avais pas envie de briser ce questionnement. »
Tiendra-t-il parole ? Qui dit vrai entre le réalisateur et le producteur exécutif de cette suite ? Harrison Ford, en bon professionnel, ne compte trahir aucun secret : « Je suis heureux de me censurer sur cette question. Cette question m’intéressait pendant le tournage du premier film et je ne suis pas sûr d’avoir jamais reçu une réponse honnête des personnes avec qui je travaillais. Je pense que la réponse vaut le prix du billet d’entrée. »
Ryan Gosling, vedette de cette suite, a en tout cas déjà intégré les conseils de son prédécesseur et acolyte : « Au Comic-Con, vous pouviez visiter une reproduction du monde de Blade Runner et des machines vous disaient si vous étiez ou non un Réplicant. On y est entrés, et j’ai vu les résultats d’Harrison. Je n’ai pas le droit d’en parler mais je sais ce qu’il est. » Réponse le 4 octobre ?
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