Seulement 37 % des rôles de scientifiques dans les films et les séries sont joués par des femmes. Un chiffre inférieur à la réalité des laboratoires de recherche. Et cela pourrait avoir des conséquences sur les jeunes aspirant à une carrière scientifique, d’autant que les personnages féminins sont souvent remplis de stéréotypes. 

Tony Stark dans Iron Man, Emmett Brown dans Retour vers le futur, Caleb et Nathan dans Ex Machina… Il n’est pas difficile de trouver des films où la figure du scientifique est présente, mais la tâche se complique si l’on impose que ce personnage soit une femme. 

Récemment, des chercheurs et chercheuses ont parcouru des listes de films à la recherche des protagonistes féminins et scientifiques. « Et la représentation des femmes de sciences dans le cinéma est encore pire que la réalité », prévient immédiatement Eleanor Drage, chercheuse à l’Université de Cambridge et experte des approches féministes et antiracistes de l’intelligence artificielle (IA). Avec ses collègues, ils se sont plongés dans un corpus de films populaires présentant des experts et expertes en IA. Les résultats de leur étude ont été publiés en février 2023 dans la revue Public Understanding of Science : parmi les 143 films de leur liste, seulement 8 % des scientifiques sont des femmes. « Dans la ‘vraie’ vie, les femmes ne représentent que 22 % des postes en IA. Mais dans le cinéma c’est moins de la moitié de ce nombre ! », s’étonne-t-elle.

Le film Les figures de l'ombre est l'un des rares à présenter une équipe de femmes scientifiques. // Source : Hidden Figures (2016)
Le film Les figures de l’ombre est l’un des rares à présenter une équipe de femmes scientifiques. // Source : Hidden Figures (2016)

Moins de 40 % de rôles de femmes scientifiques

Les informaticiennes sont loin d’être les seules à subir une sous-représentation dans le cinéma. La femme scientifique n’a pas de place à l’écran. Une étude américaine, menée en 2018 par l’Institut Geena Davis sur le genre dans les médias, a recensé les personnages féminins scientifiques de films et séries. Et seulement 37 % des rôles de scientifiques sont tenus par des femmes. « En mathématiques, à l’écran comme dans la réalité, les femmes restent minoritaires », remarque également Paolo Bellingeri, chercheur en mathématiques à l’Université de Caen-Normandie et spécialiste des films de mathématiques. 

De leur côté, les sciences de la vie sont les seules épargnées — en valent pour preuves les 19 saisons de Grey’s Anatomy. Ici plus de 60 % des personnages sont des femmes.

Le cinéma, un domaine qui demeure masculin

Pour le reste, « le cinéma est souvent en retard sur la réalité sociale et il est rare qu’il soit en avance », note Geneviève Sellier, professeure émérite en études cinématographiques à l’Université Bordeaux Montaigne, notamment spécialiste des approches “genrées” du cinéma. 

« Une réalisatrice nous indiquait récemment qu’il est impossible pour une femme de réaliser un film de science-fiction ou bien d’avoir un personnage féminin dans un film sur l’IA »

Eleanor Drage

D’autant que le cinéma, notamment de science-fiction, reste un domaine masculin. Dans le corpus étudié par Eleanor Drage et ses collègues, 119 films étaient réalisés par un homme seul, 17 par plusieurs hommes et seulement 2 étaient co-réalisés par une femme. Et ce milieu est apparemment maintenu comme tel. « On a échangé avec une réalisatrice récemment, elle nous indiquait qu’il est impossible pour une femme de réaliser un film de science-fiction ou bien d’avoir un personnage féminin dans un film sur l’intelligence artificielle », explique Eleanor Drage. Pour les grosses sociétés de production, il serait trop risqué de changer le modèle existant rentable. 

Des rôles souvent stéréotypés

Et le cinéma américain n’est pas le seul à sous-représenter les femmes. « Les films français, ne sont sûrement pas mieux ! Le cinéma d’auteur, par exemple, assigne souvent les femmes au rôle d’amoureuses », ajoute Geneviève Sellier. Car même quand la femme scientifique est présente, son rôle est parfois peu exploité ou complexe. Par exemple, dans Les Fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin, Sylvia est astronome, « pourtant rien n’est fait de son métier. C’est la caricature absolue de comment le cinéma d’auteur traite les femmes : leur métier ne les intéresse pas », dénonce Geneviève Sellier.

Paolo Bellingeri a un autre exemple en tête, Divine Emilie. Dans cette série télévisée, Léa Drucker interprète Émilie du Châtelet, une mathématicienne française du XVIIIᵉ siècle, connue notamment pour avoir traduit Principia Mathematica de Newton. « Ici, elle est montrée comme une femme libre qui suit son instinct et non sa rationalité. Elle est dépeinte comme une nymphomane. »

« Dans le cinéma français, on a commencé à avoir plus de films centrés sur des personnages féminins complexes dans les années 1990, quand il y a eu davantage de femmes réalisatrices et scénaristes », estime Geneviève Sellier. Pour elle, Proxima d’Alice Guinecourt est un exemple d’un tel film. Dans celui-ci, la protagoniste principale, Sarah est spationaute. « Le film prend en charge la question de la place des femmes dans les milieux scientifiques et ni le professionnel, ni le personnel ne sont sacrifiés. »

Proxima // Source : Dharamsala - Darius Films - Pathé Films - France 3 Cinéma
Proxima // Source : Dharamsala – Darius Films – Pathé Films – France 3 Cinéma

Le film américain Les Figures de l’Ombre de Theodore Melfi, est un autre exemple de non-négligence de la vie professionnelle des femmes au profit du personnel. Ces femmes afro-américaines scientifiques  à la Nasa doivent subir la domination masculine et le racisme. Certes des histoires d’amour sont aussi dépeintes, mais « celles-ci restent secondaires », assure Paolo Bellingeri, qui ajoute : « Ce qui est intéressant, à mon sens, dans la figure de la mathématicienne à l’écran, c’est ce rapport conflictuel entre l’émotivité et la rationalité, et la difficulté d’émerger dans un monde d’hommes. »

L’importance de la médiatisation des femmes de sciences

Et c’est important car de telles figures peuvent avoir un effet. « C’est difficile de donner une preuve de l’impact de la sous-représentation des femmes dans le cinéma sur les choix de carrière des femmes et les filles. Néanmoins, on sait que le cinéma joue un rôle très fort d’inspiration, notamment professionnel, pour les gens », prévient Eleanor Drage. Elle prend l’exemple de Transcendance de Wally Pfister. Dans ce film, Evelyne (incarnée par Rebecca Hall) doit assister son mari (interprété par Johnny Depp), un génie qui peine même à s’habiller par lui-même. « Le risque quand tu es une petite fille est de penser ‘quel beau couple, j’aimerais me marier avec un génie’, plutôt que de te dire ‘je veux être un génie’ ! », regrette Eleanor Drage. 

Un autre exemple se trouve peut-être dans la figure de Dana Scully, héroïne de la série The X-Files. Selon l’étude de 2018, elle a été un modèle pour 63 % des femmes américaines travaillant en sciences, ingénierie, technique ou mathématiques.

Et c’est peut-être les séries qui s’en sortent le mieux, du fait de leur longueur elles ont plus de personnages notamment féminins. « Et en plus, de manière générale, la fiction télévisée est un champ d’expérimentation des rôles sociaux, notamment parce que les diffuseurs s’intéressent à leur public », estime Geneviève Sellier. Et Eleanor Drage d’appuyer : « Hollywood doit créer d’autres films où les sciences sont faites en équipe et avec des femmes. »


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