Si les femmes autistes, longtemps oubliées à l’écran, se sont vu depuis peu consacrer des séries comme Astrid et Raphaëlle (France 2) ou Extraordinary Attorney Woo (Netflix), le cas de figure des femmes diagnostiquées adultes n’y avait, me semble-t-il, pas encore été abordé.
En raison de la méconnaissance générale autour de l’autisme, de profils souvent plus discrets et d’une tendance à recourir au « camouflage social » pour nous faire accepter des autres, nous sommes nombreuses à être passées sous le radar jusqu’à l’âge adulte, au prix d’un parcours de vie souvent chaotique et douloureux. Certaines découvrent être autistes au hasard d’un article lu sur Internet, d’autres après le diagnostic de leurs enfants, comme c’est le cas de Louison et de son fils Guilhem dans la série Aspergirl.
Diagnostiquée moi-même à 43 ans, j’attendais beaucoup de cette série, la première à représenter un parcours proche du mien. Même si, comme beaucoup, j’avais tiqué sur la maladresse du titre choisi : non seulement l’expression « syndrome d’Asperger » est obsolète, mais la communauté autiste ne souhaite plus être associée à Hans Asperger, personnage trouble connu pour ses liens avec le nazisme. Un faux pas regrettable dans le cadre d’une série dont l’équipe créative — les scénaristes Judith Godinot et Hadrien Cousin et la réalisatrice Lola Roqueplo — ont manifestement pris la peine de se renseigner, prenant notamment conseil auprès de personnes concernées. Julie Dachez, l’une des principales figures médiatiques françaises de l’autisme au féminin, a également servi de consultante sur le scénario.
Le premier épisode, malgré quelques maladresses, m’a plutôt emballée. Là où des personnages comme Astrid Nielsen ou Woo Young-Woo, diagnostiqués dans l’enfance, rencontrent des difficultés très différentes des miennes, l’expérience de Louison se rapproche beaucoup plus de ce que je connais.
J’ai été immédiatement séduite par l’interprétation de Nicole Ferroni, qui rend de manière convaincante la gestuelle de Louison, son désarroi face à un monde difficile à décrypter, l’hésitation qui la paralyse dans les situations imprévues, sa manière de digresser pour suivre le fil de ses pensées, jusqu’à sa façon de jouer nerveusement avec ses doigts qui me rappelle la mienne.
3 scènes d’Aspergirl qui ont résonné avec ma propre vie
Trois scènes ont résonné très fort avec ma propre vie dans cet épisode :
- Ce coup de fil pour lequel Louison, peu à l’aise avec l’exercice, prépare à l’avance les phrases qu’elle va prononcer ;
- la façon dont elle s’immerge dans sa bulle de musique grâce à son casque à réduction de bruit et s’abandonne tout entière à l’euphorie, comme si le regard des autres n’existait plus ;
- et surtout la scène où la psychologue lui annonce soupçonner chez elle des traits autistiques.
Une série d’expressions très justes passe sur son visage, une forme de stupéfaction mais aussi de la joie, du soulagement, une impression d’évidence alors qu’elle pense sans doute à toutes ces questions sans réponses qui viennent soudain d’en trouver une. Le choc viendra plus tard mais pour l’heure tout s’éclaire, dans sa tête comme sur son visage. Un moment d’une grande finesse qui a remué des souvenirs et m’a fait venir les larmes aux yeux.
J’ai simplement regretté que la démarche de diagnostic paraisse si facile à l’écran quand il s’agit en réalité d’un vrai parcours du combattant.
Un quotidien atypique
Le jeune Carel Brown, qui interprète Guilhem, est lui aussi très convaincant dans ce rôle de collégien solitaire et discret, passionné par les volcans et qui peine à se faire des amis. La relation entre Guilhem et Louison est un autre aspect de la série qui m’a beaucoup plu : on y sent une complicité mais aussi une forme d’aisance.
Si Reza, le père de Guilhem, est désemparé face à ce fils qu’il voudrait aider mais qu’il ne comprend pas, Louison semble être la seule à ne jamais s’interroger : d’instinct, elle sait comment s’y prendre. Si leur quotidien est atypique, il fonctionne parfaitement pour eux, et mère et fils y trouvent leur équilibre. Par moments, Louison peut paraître insensible aux yeux des autres, parce qu’elle n’éprouve pas les émotions de la même manière ou au même moment, mais son empathie pour son fils crève l’écran : elle ne supporte pas de le voir malheureux et elle est prête à tout pour l’aider.
Cette relation mère-fils est au cœur de la série et ouvre sur un fil d’intrigue nettement moins bien géré : l’enquête menée par les services sociaux qui menacent de retirer à Louison la garde de Guilhem. Une situation douloureuse qui n’est malheureusement que trop réelle, mais traitée ici de manière assez grossière. On nous laisse entendre dans un premier temps que Louison va s’efforcer, pour convaincre l’enquêteur qu’elle est une bonne mère, de paraître « normale ».
Ce qui aurait pu amener à traiter le thème du camouflage, relativement absent dans la série alors que c’est une problématique centrale pour beaucoup de femmes autistes, qui apprennent à observer et imiter les autres dans un souci d’intégration, mais au prix d’un effort mental énorme qui peut conduire au burn-out.
Or, cette idée n’est qu’effleurée dans deux ou trois scènes où l’on voit Louison copier le comportement des autres, et dans un épisode 3 assez gênant où elle s’efforce de mettre en scène un anniversaire de carte postale pour le bénéfice de l’enquêteur social, au prix d’une série de bourdes et d’approximations invraisemblables.
La journée se terminera bien en fin de compte, mais les moments où la série, censée prendre le parti de Louison et nous la faire comprendre et apprécier, illustre ses impairs sociaux sont souvent assez lourds et m’ont mise mal à l’aise. Comme si l’on retombait par réflexe dans les clichés et les ressorts comiques contre lesquels la série proposait de s’inscrire. Était-il vraiment nécessaire de montrer à plusieurs reprises des personnes qui fondent en larmes à cause des gaffes de Louison ?
C’est à mes yeux le plus gros défaut de la série, capable d’être assez subtile par moments, mais moins convaincante quand elle se fait plus démonstrative. Comme si la narration était constamment tiraillée entre deux points de vue : l’expérience de l’autisme vécue de l’intérieur, et une représentation des traits autistiques par des personnes qui les comprennent en théorie mais ne savent pas les illustrer de manière crédible. D’autant que le trait est par moments assez forcé, donnant l’impression qu’on a cherché à rassembler un maximum de caractéristiques autistiques chez un seul personnage.
Les « intérêts spécifiques », pourtant l’un des aspects a priori les plus faciles à représenter à l’écran, sont ici convaincants chez Guilhem mais anecdotiques chez Louison : on peine à cerner comment se traduit sa passion pour la météo, qui ne servira vraiment l’intrigue que lors d’une scène où elle lui permet de résoudre une situation. Et le thème des préjugés auxquels peut se heurter une mère autiste est finalement évacué très vite, les scènes avec l’enquêteur reposant essentiellement sur des quiproquos sans rapport avec le sujet.
Aspergirl met en lumière un sujet rarement illustré ainsi à l’écran
De manière générale, si la série se montre parfois très juste sur des scènes ou des détails (comme la garde-robe de Louison ou l’insistance néfaste des autres personnages à « rassurer » Guilhem en lui disant qu’il n’est pas autiste, renforçant par là même son impression d’être anormal), l’ensemble souffre parfois d’un problème d’équilibre. Ainsi, il faut attendre le sixième épisode pour que plusieurs personnages rebutés au départ par la « bizarrerie » apparente de Louison commencent à lui témoigner de l’affection ou de l’approbation (« Ça vous va bien d’être vous-même », lui dit contre toute attente la voisine qui la prenait de haut jusqu’alors).
N’ayant vu, à l’heure où j’écris ces lignes, que les six épisodes déjà diffusés, je ne peux que spéculer sur la suite : tout semble tendre vers un message d’acceptation de Louison telle qu’elle est, avec les qualités que lui confère son fonctionnement atypique. Une progression qu’on peut considérer comme réaliste, beaucoup d’autistes ayant connu ce type de rejet et peiné à se faire comprendre et accepter par les autres, mais l’insistance sur les aspects négatifs de sa personnalité est d’autant plus gênante qu’elle tranche avec les intentions affichées des scénaristes : nous faire aimer ce qu’elle est vraiment, avec sa franchise, son mépris des conventions sociales, sa manière d’être au monde.
Peut-être les quatre épisodes à venir éclaireront-ils sous un jour différent ce qui a précédé, une fois que le cheminement des personnages apparaîtra dans son intégralité. Si la série manque parfois de rigueur dans l’écriture, elle a le grand mérite de mettre en lumière un sujet rarement illustré à l’écran et, par là même, de le faire connaître un peu plus au grand public. Ce n’est pas encore la série sur l’autisme que j’espérais, mais c’est une nouvelle pierre ajoutée au chemin qui y mènera. Je retiendrai cette phrase qui dit beaucoup en peu de mots : « Normale, c’est quand personne ne te regarde. » Et pour quelques jolies scènes qui m’ont parlé si fort, je suis reconnaissante à Louison, ma cousine de fiction, d’exister à l’écran.
Aspergirl, 1 saison, 10 épisodes, sur OCS.
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