Ce 17 juin 2021 au matin, l’hémicycle de l’Assemblée nationale hébergeait un débat houleux sur l’allocation aux adultes handicapés (AAH). À la suite d’un vote du Sénat en mars dernier, l’Assemblée nationale devait se prononcer sur ce texte qui souhaite individualiser le versement de cette aide, actuellement indexé sur le revenu du conjoint ou de la conjointe d’une personne handicapée.
C’est à cause de l’informatique
La proposition de loi, qui s’est imposé dans l’agenda législatif et médiatique après une mobilisation la publication d’une pétition sur le site du Sénat, a été rejetée par le groupe LREM majoritaire à l’Assemblée nationale, qui en a bloqué le vote. Un scandale pour certains opposants, comme le député Stéphane Peu qui estime cette mesure discriminante. « Vivre en couple ou être indépendant financièrement, voilà le choix que le système actuel impose aux personnes handicapées. Ce “prix de l’amour”, comme l’appellent certains, nous parait inacceptable » explique l’élu.
Pour justifier son opposition à cette mesure, Sophie Cluzel, la Secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, explique que « cette PPL (proposition de loi NDLR.) ne pourra pas s’appliquer avant des années parce qu’aucun système informatique ne pourra la mettre en œuvre ». Une justification alambiquée et douteuse comme l’a souligné le député François Ruffin qui raille l’incapacité de la « start-up nation » à faire évoluer ses outils informatiques.
Nul doute que des changements législatifs d’ampleurs entraînent des besoins d’adaptation techniques et technologiques, mais justifier le refus du gouvernement en prenant l’excuse des limites de l’informatique est plus que délicat. Disons-le encore une fois : l’informatique est un outil. L’informatique fait ce qu’on lui demande sans poser de questions.
Une décision politique plus que technologique
Philosophiquement, la justification est aussi limitée. Le code est une matière malléable qui permet tout à fait de faire des calculs automatisés intelligents. Les IA les plus douées du monde peuvent dessiner, chanter ou même écrire des poèmes. Indexer le versement d’une aide aux revenus de la personne n’est pas hors du domaine de compétence de l’informatique.
Plus prosaïquement, ce refus de faire évoluer la loi à cause des limites de nos systèmes informatiques est assez contestable. Ce n’est pas les capacités de calculs de nos « systèmes informatiques » qui sont le goulot d’étranglement ici, ce sont les moyens humains que l’on dévoue à faire évoluer ces systèmes. Dans le projet de loi de finances rectificative pour 2021, le volet « Innovation et transformation numériques » du plan « transformation et fonction publique » ne récoltait que 15,8 millions d’euros. Certes, d’autres organismes comme la Direction interministérielle du numérique agissent aussi sur le sujet avec des enveloppes différentes, mais manifestement les moyens alloués par l’état ne suffisent pas.
La tâche est peut-être complexe, les systèmes mis en place sont peut-être anciens et difficilement modernisables, mais il n’y a rien d’impossible là-dedans. C’est une question de temps et de moyens. Les systèmes peuvent évoluer, il suffit que la loi les y autorise.
« Nous sommes le gouvernement des droits réels, pas des droits incantatoires », a scandé Sophie Cluzel pour justifier la timidité du gouvernement sur le sujet. Mais dire non à une idée à un instant T sous prétexte qu’actuellement « aucun système informatique ne pourra la mettre en œuvre », c’est prendre le problème à l’envers. C’est se réfugier derrière une fausse idée de l’informatique pour justifier une décision politique. Indexer un droit aux capacités de nos systèmes informatiques, c’est mettre le code au-dessus de la loi.
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