La liste, établie par la European Pride Organizers Association (EPOA), est vertigineuse : au moins 500 marches, parades et festivals LGBTQI+ à travers le monde ont été annulés ou reportés au cours de ces dernières semaines. C’est traditionnellement en juin que la communauté LGBTQI+ honore la mémoire des émeutes de Stonewall qui ont éclaté en 1969 aux États-Unis.
Mais en cette année 2020 marquée par la pandémie de coronavirus, impossible de maintenir ces moments de festivités et de militantisme qui dans certains coins de la planète rassemblent plusieurs centaines de milliers de personnes. Encore aujourd’hui, ces événements sont un moyen pour les personnes LGBTQI+ de se rassembler, de rompre l’isolement, d’être visibles collectivement et de porter des revendications d’égalité. Ils constituent en outre pour certaines villes un attrait touristique et présentent donc un enjeu économique.
Le défi de la Global Pride
Comment, alors, perpétuer l’esprit du Mois des Fiertés sans la possibilité de se réunir physiquement ? Une initiative pourrait combler ce vide : imaginée par deux réseaux internationaux d’organisateurs de prides, l’Interpride et l’EPOA, la Global Pride doit se tenir le 27 juin sous la forme d’un live streaming de 24 heures avec concerts, performances et discours d’activistes et d’artistes queers du monde entier. Un format ambitieux — qui n’est pas sans rappeler le Together at Home de Lady Gaga diffusé mi-avril — et qui sous le mot d’ordre « Exist Persist Resist » entend montrer la force et la vitalité de la communauté en dépit de la crise sanitaire.
À partir du moment où elles se sont appropriées le web et les réseaux sociaux, les personnes LGBTQI+ ont créé leurs propres espaces de visibilité et d’expression (forums, blogs, sites de rencontres, chaînes Youtube, comptes Instagram) pour se réunir, militer, créer, en dehors de la société cis-hétérocentrée, comme l’expliquent Christopher Pullen, conférencier en media studies, et Margaret Cooper, sociologue, dans l’ouvrage LGBT Identity and Online New Media. Face à une situation de crise sans précédent, il a donc fallu redoubler de créativité pour trouver de nouveaux moyens de communiquer et de nouveaux environnements pour se réunir. Il n’est donc pas étonnant de voir les organisateurs des marches des fiertés rebondir aussi rapidement et se tourner vers l’idée d’une pride en live streaming.
Comment sortir d’un entre-soi occidental d’un point de vue militant et culturel ?
Reste un challenge pour les organisations LGBTQI+ : comment sortir d’un entre-soi occidental d’un point de vue militant et culturel ? La liste des organisations LGBTQI+ partenaires compte majoritairement des structures européennes, nord-américaines, australienne, et une regroupant les pays d’Amérique Latine. Conscientes de cet enjeu, l’InterPride et l’EPOA assurent qu’elles accorderont une grande importance à la diversité des voix lors de l’événement : « Nous récoltons des contenus de partenaires d’Inde, d’Extrême Orient, d’Afrique, nous explique Steve Taylor, directeur de la communication de la Global Pride. Si on se connecte à la Global Pride pendant deux heures, on verra des contenus des quatre coins du monde et nous mettrons en avant spécifiquement ces régions où l’égalité pour les LGBT est quelque chose qui n’est pas encore atteint. En Europe par exemple, je parie qu’il y a beaucoup de personnes LGBT qui n’ont aucune idée de ce qui se passe en Pologne en ce moment. C’est important, pour nous, de sensibiliser et de faire savoir ce qu’il se passe. »
L’Interpride et l’EPOA misent aussi sur la présence d’activistes et d’artistes pour attirer le plus grand nombre. Ont déjà été révélé, les noms de Manvendra Singh Gohil, prince indien ouvertement gay et très engagé contre l’homophobie, de Sharice Davids, élue démocrate à la Chambre des représentants aux États-Unis, lesbienne et première amérindienne à siéger au Congrès, mais aussi ceux de stars plus grand public comme l’actrice et chanteuse britannique Olivia Newton John.
Une pride accessible, mais différemment
Évidemment cette Global Pride n’aura pas la même saveur que ces moments d’intense fierté en investissant l’espace public où des chars crachent de l’eurodance et où des ados défilent en kigurumi brandissant leurs pancartes « Free Hugs ». Elle transpose en ligne un modèle largement visibles aux États-Unis, au Royaume-Uni ou encore aux Pays-Bas : celui des « pride parades », où les associations, institutions et invités et invitées de marque marchent en saluant les spectateurs et spectatrices pressées derrière des barrières, de part et d’autre de l’avenue.
Ces prides, à nos yeux français, ressemblent davantage à un défilé du 14 juillet. Ce format particulier pourrait expliquer le manque d’implication des associations LGBTQI+ françaises dans le processus d’organisation de la Global Pride. Certaines, à Nantes ou à Montpellier, ont toutefois fait part de leur volonté de participer à l’événement en envoyant un message vidéo qui sera intégré au live streaming.
En étant en ligne, la pride devient en revanche plus accessible pour celles et ceux pour qui la foule et le bruit génèrent de l’anxiété ou de la souffrance et pour les personnes qui n’ont pas la possibilité de s’y déplacer car trop éloignées des villes où elles se déroulent, ou n’étant pas encore assez à l’aise pour rejoindre un événement communautaire. Si l’accessibilité des marches pour les personnes en fauteuil est davantage prise en considération, elle est loin d’être toujours optimale, comme le décrit un témoin sur la chaîne Youtube Ronde Queer qui raconte son expérience de participant à la Marche des fiertés de Paris 2019 en étant en fauteuil.
Quant à l’accessibilité de la Global Pride en termes de langues, les organisateurs comptent sur les sous-titres générés automatiquement pendant la diffusion par Google et YouTube.
Un moment idéal pour une convergence des luttes
La Global Pride va-t-elle aussi donner une place à ceux et celles qui portent des discours plus radicaux, engagés contre le racisme, le capitalisme, ou encore contre les violences policières ? Car c’est là un reproche régulièrement adressé aux prides ; celui de les voir progressivement vidées de leur substance militante pour devenir un moment essentiellement festif et dépolitisé, dans lesquelles les grandes entreprises conscientes qu’elles peuvent ainsi se tailler une image progressiste se font une place.
Pour l’activiste et blogueur américain Zachary Zane, le glissement de la rue à un espace en ligne peut être aujourd’hui une occasion d’à nouveau embrasser la portée militante de la pride, surtout au regard du contexte actuel. « Sans espace physique, je crois que la pride de cette année peut mettre moins l’accent sur la fête et plus sur l’activisme. Ne vous méprenez pas, j’adore que la pride soit cette bonne vieille fête. Expérimenter la joie en tant que personne marginalisée en public est nécessaire et peut être considéré comme un acte de rébellion. Mais avec ce qu’il se passe aux Etats-Unis aujourd’hui, nous devons aller au-delà de la joie et de la fête. » Il établit un parallèle entre le soulèvement contre les violences policières racistes et celui qui a débuté dans les années 60 porté par des femmes trans racisées harcelées par la police : « Les émeutes comme celles en réaction à George Floyd ont la capacité de produire un changement positif quand toutes les autres voies ont montré leur inefficacité. Voilà pourquoi les émeutes ne sont pas juste acceptables, parfois elles sont nécessaires. Elles étaient nécessaires à Stonewall, et elles sont nécessaires aujourd’hui. »
Interrogé sur la place de discours radicaux contre les violences policières racistes, Steve Taylor promet un événement ‘intersectionnel’ : « Ces discours radicaux seraient visibles dans une pride dans la vie réelle, donc ils doivent être visibles dans la Global Pride. Oui, il y aura une place pour des discours radicaux, il y a toujours une place pour les discours radicaux à la pride, car à la base, c’est un mouvement radical. » Le 13 juin, la Global Pride a fait savoir que le mouvement Black Lives Matter sera au cœur de l’événement, afin de participer à l’élan mondial contre les violences policières et le racisme systémique. « Notre communauté sait bien que nous devons affronter la haine et les préjugés de front, a annoncé la membre du comité organisateur Nathalie Thompson. Nous avons observé une épidémie de violence contre les personnes de couleur trans — particulièrement les femmes — au cours de la dernière décennie et cette discussion plus vaste doit être inclusive et tout englober. Toutes les vies noires comptent. »
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