Nordpresse a publié de nombreux faux articles concernant l’affaire Alexandre Benalla, que de nombreux internautes, voire des élus français, ont compris au premier degré. Contacté par Numerama, le jeune homme derrière le site explique publier des fausses informations pour… sensibiliser les gens aux dangers des fausses informations. Décryptage d’un curieux paradoxe.

Le site Nordpresse est en « combat contre tous les imbéciles de la Terre qui veulent [lui] coller des procès ». C’est le message épinglé sur la page Facebook, suivie par près de 60 000 personnes, qui prévient ses abonnés ; comme pour résumer toute l’ambiguïté d’un site internet que certains considèrent comme « parodique », tandis que d’autres l’accusent de propager des informations volontairement mensongères.

Mais au cours de l’affaire Alexandre Benalla qui a débuté le 18 juillet 2018, le site de fausses informations a adopté un discours différent, comme s’il avait pris conscience que le « mélange des genres » qu’il prône pouvait semer le trouble dans l’opinion publique.

À quoi sert la désinformation  ?

Nordpresse.be (un nom de domaine belge) se présente comme un faux site d’information. Mais à l’inverse du Gorafi, un célèbre compte parodique français, Nordpresse a la particularité de rédiger des titres d’articles qui peuvent être pris au premier degré. Si l’on y trouve des énormités dont la dimension humoristique fait peu de doute, le site partage aussi des fausses informations qui peuvent sembler vraies, comme par exemple « Belgique : le gouvernement va faire passer les ronds-points à double sens  » ou le récent « Benalla avait les codes nucléaires ».

Ce dernier article a été publié dimanche 22 juillet 2018 et partagé depuis 170 fois sur Facebook. Sur Twitter, un député Les Républicains (LR) a même repris ladite fausse information, pensant qu’il s’agissait d’un des nombreux « nouveaux rebondissements » dans l’affaire du conseiller d’Emmanuel Macron. Pour ce manque de vigilance, il a été vivement critiqué sur le réseau social, mais également par… le site Nordpresse lui-même. Dès le lendemain, la page Facebook assène : « On peut reprocher ce qu’on veut a Nordpresse mais en tous cas on aide à identifier les graves dysfonctionnements d’un système où un mec pareil peut être élu » (sic).

Capture d'écran de la page Facebook de NordPresse

Capture d’écran de la page Facebook de NordPresse

« C’est paradoxal, mais j’aime bien piéger les gens »

L’administrateur de la page Facebook de Nordpresse.be considère en effet que ses articles sont utiles pour repérer les élus incompétents. Pourtant une heure plus tard, le site « parodique » a publié un nouveau post Facebook différent des autres. À première vue, il renvoie comme d’habitude vers un faux texte qui mélange grossièrement deux affaires, intitulé Mamoudou Gassama parle enfin: « C’est Alex qui tenait l’enfant sur ordre d’Emmanuel Macron ».  Mais cette fois, l’article est accompagné d’un avertissement :

Capture d'écran de la page Facebook de Nordpresse

Capture d'écran de article de Nordpresse.be

Sur Facebook, Nordpresse enfonce le clou : « Cet article étant partagé et lu actuellement des milliers de fois par des lecteurs crédules, on a décidé, pour une fois, de faire un peu d’éducation à l’esprit critique. Espérons qu’on ai sauvé quelques âmes égarées » (sic). Comme si le site avait soudain pris conscience que ses articles pouvaient être compris au premier degré.

Capture d'écran de la page Facebook de Nordpresse // Source : Facebook/Nordpresse

Capture d'écran de la page Facebook de Nordpresse

Source : Facebook/Nordpresse

Mais ce n’est pas la première fois que Nordpresse se rend compte que l’un de ses faux articles peut aller « trop loin ». Son propriétaire, contacté par Numerama sur sa page Facebook, nous rappelle un article de 2015 qui mettait en doute la mort d’un petit garçon kurde retrouvé mort sur une plage turque. L’auteur avait rajouté le même avertissement à la fin de l’article, que l’on retrouve dans l’article sur Alexandre Benalla.

Celui qui répond au nom de Vincent Flibustier justifie : « C’est paradoxal, mais j’aime bien piéger les gens (…) Globalement, je pense que les gens sont cons, mais que ça serait bien qu’il y en ait un peu moins demain qu’aujourd’hui. » (sic) Il affirme ainsi que son site est censé permettre de sensibiliser les internautes à l’importance de comparer leurs sources d’information… Tout en sachant qu’ils sont nombreux à tomber dans le panneau et à partager au premier degré ces faux articles volontairement ambigus.

« Les gens ne lisent pas les trucs jusqu’au bout »

« De toute façon les gens ne lisent pas les trucs jusqu’au bout », nous précise-t-il également par écrit quelques minutes plus tard, concédant ainsi de lui-même que ses paragraphes d’avertissement, calés à la fin d’un faux article, ne risquent pas d’être beaucoup lus.

Pour expliquer sa démarche, il nous renvoie vers un reportage de mai 2018 réalisé par l’Avenir, un média belge, qui rapporte le fait que des écoles ont accepté que Vincent Flibustier — une décision controversée, comme le décrivent bien nos confrères belges — vienne animer des ateliers qui visent à apprendre à des élèves à comprendre et repérer des « fake news ». L’homme se présente d’ailleurs sur son site officiel comme proposant des « formations en éducation aux médias et Fake News ».

Présentation du site de Vincent Flibustier // Source : Google

Présentation du site de Vincent Flibustier

Source : Google

Nordpresse contre Facebook

Pourtant Nordpresse va parfois plus loin que la « simple » publication d’articles controversés. L’auteur du site — dont la page Facebook dispose du macaron vérifié —  partage régulièrement sur le réseau social des articles dont il modifie l’URL pour qu’elle ressemble à celles de sites d’information vérifiés. Il transforme ces adresses avec des outils gratuits comme Frama.link. Or certains articles dont les URL ont été modifiées semblent avoir été supprimés ou bloqués par Facebook — ce qui a poussé Vincent Flibustier à accuser Facebook de censure.

https://twitter.com/Nordpresse/status/1020952411161100289?s=20

Le réseau social affirme à contrario qu’il ne s’agissait que d’un bug technique, depuis résolu. Mais Nordpresse continue d’affirmer avoir été victime d’une censure, ce qui lui octroie le soutien de ses abonnés Facebook, qui s’indignent à leur tour et partagent ces accusations. Lorsque l’on parcourt la page Facebook du site d’informations mensongères, on peut pourtant voir de nombreux articles concernant l’affaire Benalla, mais aussi des critiques à l’encontre du réseau social lui-même, ou également contre les médias qui ont critiqué le site de désinformation.

200 000 vues pour un article volontairement mensonger

Avec un article comme celui sur Mamoudou Gassama et Alexandre Benalla, Vincent Flibustier estime qu’il peut engranger près de « 200 000 vues » sur son site. Ce sont des chiffres qui peuvent faire rêver n’importe quel site d’information traditionnel de taille moyenne — et même ceux en haut du podium de l’audience.

De telles statistiques posent forcément des questions sur la responsabilité de la personne qui les crée et les propage. Comme l’a relevé Libération en février dernier, Vincent Flibustier partage volontairement ses articles sur des pages d’extrême droite dans l’espoir de générer du clic, et donc d’obtenir du trafic et rentabiliser les encarts publicitaires qui inondent le site. L’envie de tromper est donc manifeste. Et les bons clients sont au rendez-vous (ci-dessous, 172 partages pour un article sur le « jambon interdit en France pour ne pas froisser les musulmans »).

Capture d'écran trouvée par Libération // Source : Facebook/Ami patriotes de Marine Le Pen

Capture d'écran trouvée par Libération

Source : Facebook/Ami patriotes de Marine Le Pen

Mais Vincent Flibustier ne le voit pas de la sorte. Il a résumé son opinion à l’encontre du partage de fausses informations dans un récent article, publié le 24 juillet 2018, intitulé « le fact-checking, c’est de la merde »  dans lequel il critique les initiatives des journalistes professionnels qui tentent de vérifier les fausses informations partagées par des sites comme le sien : « De notre côté on pense; et c’est corroboré par plein d’analyses (sic), que les fake news n’ont eu qu’une influence très réduite sur l’opinion américaine et que le fact-checking face à ce phénomène ne sert quasiment à rien, comme l’explique bien ce rapport de l’UE. »

Dans cet article (qu’il présente comme étant vraiment sérieux), l’auteur s’indigne du fait que Facebook propose désormais différentes sources pour la même information partagée sur sa plateforme. Par exemple, sous un article partagé par ScienceInfo, un site de désinformation connu, Facebook montre des complémentaires de médias historiques comme le Monde ou Libération, qui apportent du contexte, des faits, et des explications sur la source de cette fausse information.

 

Capture d'écran effectuée par NordPresse // Source : NordPresse

Capture d'écran effectuée par NordPresse

Source : NordPresse

L’objectif correspond donc bien, sur le papier, à encourager le lecteur à multiplier les sources d’information. Mais là encore, Nordpresse ne se dit pas satisfait  : « Alors là, certes, c’est une info satirique un peu bidon. Mais après tout, qu’est-ce que ça peut faire que les gens croient à la présence de Mars énorme dans le ciel le 27 juillet ? » Vincent Flibustier souhaite donc officiellement que les internautes multiplient les sources d’information — et propose même des cours à ce sujet… mais pas tout le temps. On en vient à se demander si cette ambivalence et inconsistance ne seraient pas la tentative de « trolling » la plus aboutie du site de fausses informations.

Une stratégie éditoriale qui n’est pas sans rappeler, in fine, la méthode appliquée aux États-Unis en 2016 et qui brouille, encore aujourd’hui, la frontière entre l’humour et la désinformation.

Mise à jour 11h30 : Cet article a été mis à jour pour clarifier le fait que les interventions de Vincent Flibustier ont eu lieu dans plusieurs écoles belges, à qui il a proposé ses services.

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