Pour renforcer la promotion de la France à l’étranger et inciter davantage de touristes à visiter le pays pour y dépenser leur argent, le gouvernement a décidé il y a une dizaine d’années de concevoir un portail web global et multilingue pour fournir des renseignements aux personnes désireuses de découvrir l’Hexagone ou bien la France d’outre-mer. C’est ainsi que le site France.fr a vu le jour.
Sa naissance, vous vous en souvenez peut-être, a été laborieuse : en effet, le site a été en panne les premiers jours de son lancement, en juillet 2010, et les sommes qui ont été engagées un an plus tard (800 000 euros) pour procéder à sa rénovation avaient suscité à l’époque bien des commentaires critiques. Mais aujourd’hui, les choses sont rentrées dans l’ordre : le site fonctionne normalement.
Cependant, le fait est qu’une adresse web utilisant l’extension géographique du pays auquel elle est liée ne jouit pas de la même visibilité, du même impact, y compris sur un plan symbolique, qu’une URL utilisant une extension plus classique, à l’image du « .com ». Certes, celui-ci est générique et d’une grande banalité, mais il représente de facto l’adresse de base dans l’imaginaire collectif.
Autrement dit, posséder France.fr, c’est bien, mais la jouissance de France.com, ce serait encore mieux. Car une adresse de ce type a beaucoup plus de sens pour des touristes dont la familiarité avec le domaine national de premier niveau destiné à la France (« .fr ») est proche du néant, de la même façon que la proximité des Français et des Françaises avec le « .br » ou le « .au » est pratiquement inexistante.
Une adresse déjà prise
Le problème, c’est que France.com n’était pas libre. Un Américain d’origine française, Jean-Noël Frydman, possédait cette adresse depuis le 10 février 1994, comme on peut le voir en vérifiant son historique. Possédait, car la propriété de l’URL a été transférée le 12 mars 2018 à Atout France, l’agence de développement touristique de la France, opérateur unique de l’État en la matière.
Selon la Direction générale des entreprises, qui dépend du ministère de l’Économie et des Finances, ce groupement d’intérêt économique a pour mission « de contribuer au renforcement de l’attractivité de la Destination France et à la compétitivité de ses entreprises et filières ». Pour cela, il est question de déployer des campagnes « en s’appuyant sur la marque France ».
Désormais en possession de France.com depuis la mi-mars, Atout France a mis en place une redirection qui oriente les visiteurs utilisant cette adresse sur France.fr.
Décisions judiciaires en France
Il convient toutefois de noter que ce transfert ne s’est pas fait hors de tout cadre juridique. Comme le rappelle Ars Technica, les autorités françaises ont lancé en 2015 une offensive judiciaire pour obtenir le contrôle de France.com, et qui s’est conclue en septembre 2017 avec un verdict en leur faveur provenant de la cour d’appel de Paris, en se fondant notamment sur le droit des marques.
« L’appellation « France » constitue pour l’État français un élément d’identité assimilable au nom patronymique d’une personne physique ; que ce terme désigne le territoire national dans son identité économique, géographique, historique, politique et culturelle, […] ; que le suffixe .com correspondant à une extension internet de nom de domaine n’est pas de nature à modifier la perception du signe », juge ainsi la cour.
« L’appellation France constitue pour l’État français un élément d’identité assimilable au nom patronymique d’une personne physique »
En France, le tribunal de grande instance de Paris tout comme la cour d’appel de Paris ont considéré, relève Légalis, « que le grand public identifierait les produits et services [vendus via France.com] comme émanant de l’État français » Il a donc été notamment « ordonné le transfert du nom de domaine, considérant qu’il porte atteinte à l’appellation France ‘qui constitue pour l’État français un élément de son identité’».
Comme le note Ars Technica, France.com Inc utilisait cette adresse comme un « kiosque numérique » pour les francophiles et les francophones des États-Unis. Il avait aussi établi des partenariats avec les autorités françaises, comme le Quai d’Orsay mais aussi le consulat général de Los Angeles. Ni Jean-Noël Frydman ni France.com n’étaient donc de parfaits inconnus pour la diplomatie française.
La cour a également souligné, concernant le fait que France.com, Inc faisait valoir que l’État français « n’avait aucun droit à faire valoir sur une appellation qui ne désigne qu’une zone géographique », que les dispositions du code de la propriété intellectuelle « ne contiennent pas de liste exhaustive des droits antérieurs », ce qui laisse donc une marge d’appréciation sur ce qui peut être utilisé ou non en matière de marque.
Contre-attaque de France.com, Inc
Mais c’était sans compter la détermination de Jean-Noël Frydman à combattre ce qu’il considère comme une spoliation. Dans une contre-attaque judiciaire, déposée devant une cour de district en Virginie, aux États-Unis, l’intéressé poursuit tout à la fois la République française, Atout France, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian et la société américaine VeriSign.
Pourquoi VeriSign ? Parce que c’est cette entreprise qui gère le registre officiel pour le domaine de premier niveau générique « .com ». En revanche, l’action judiciaire ne vise pas Web.com, qui est pourtant la société dont Jean-Noël Frydman est client et à travers laquelle a réservé ce domaine il y a 24 ans. Pourtant, c’est bien Web.com qui a verrouillé puis transféré le domaine à Atout France.
Pour France.com, Inc, c’est tout simplement du cybersquattage et du détournement de nom de domaine.
« Je suis probablement [l’un des plus vieux clients de Web.com] », estime Jean-Noël Frydman, dans des propos repris par Ars Technica. « Je suis avec eux depuis 24 ans… Il n’y a jamais eu de procès contre France.com, et ils ont fait [ce transfert] sans préavis. Je n’ai jamais été traité comme ça par aucune entreprise, où que ce soit dans le monde. Si ça m’est arrivé à moi, ça peut arriver à n’importe qui ».
Parmi les accusations qui sont formulées figure celle de cybersquattage, un terme qui désigne une pratique consistant à enregistrer un nom de domaine correspondant à une marque afin de la forcer à payer cher pour le récupérer et éviter ainsi certains usages qui ne collent pas avec sa communication. À travers son action, le plaignant fait aussi observer qu’il n’a pas eu de « compensation » pour la perte de l’URL.
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