Face à la Chine et aux USA, l’Union européenne s’efforce de parler d’une même voix et d’unir ses forces dans le domaine de l’intelligence artificielle. 25 pays viennent de signer une déclaration commune dans laquelle ils s’engagent à accentuer leur coopération. Car les enjeux sont considérables.

Pour ne pas laisser la Chine ou les États-Unis avoir une trop grande influence dans le domaine de l’intelligence artificielle, l’Union européenne doit occuper le terrain. Et pour avoir du poids, il est préférable que tous les États membres avancent ensemble plutôt que chaque pays fasse cavalier seul. Sinon, il sera difficile de faire entendre sa voix face aux deux superpuissances et leur opposer une autre vision.

C’est pour cette raison que les représentants de vingt-cinq pays européens, dont vingt-quatre sont membres de l’Union, ont signé le mardi 10 avril une déclaration dans laquelle ces nations promettent d’accentuer leur coopération. « En s’associant, les opportunités de l’IA pour l’Europe peuvent être pleinement assurées, tandis que les défis peuvent être relevés collectivement », déclare la Commission européenne.

Crédits : Commission européenne.

Crédits : Commission européenne.

Les pays signataires sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie et la Suède. La Norvège, qui n’est pas membre de l’UE, a aussi signé le document.

Quant à Chypre, la Croatie, la Grèce et la Roumanie, EurActiv a obtenu d’un membre de la Commission l’information selon laquelle ils ne sont pas hostiles à cette initiative, mais qu’ils pourraient avoir besoin d’une approbation formelle au niveau national avant de signer à leur tour le document. Du fait de la présence de la Norvège, d’autres États européens, mais hors de l’Union pourraient rejoindre l’initiative.

Union européenne

CC European Parliament

Superpuissance chinoise dans l’IA

Le regroupement des forces européennes dans le domaine de l’intelligence artificielle est capital au regard des moyens démesurés déployés aux USA et en Chine. À titre d’exemple, l’Empire du Milieu a annoncé en 2016 mobiliser plus de 13 milliards d’euros dans l’IA jusqu’en 2019. En début d’année, les investissements vers la Chine ont surclassé ceux des États-Unis dans ce secteur.

La Chine ambitionne de devenir le leader mondial de l’IA d’ici 2030, grâce à un vaste plan d’investissement dans la recherche comme dans l’industrie, dévoilé en juillet 2017. Les entreprises chinoises travaillent notamment sur des outils de reconnaissance faciale et sur la conduite autonome. Et par ailleurs, Pékin laisse les compagnies chinoises investir dans l’IA dans la Silicon Valley, ce qui inquiète Washington.

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CC Manuel Joseph

Investissements français

À titre de comparaison, si tant est qu’il soit judicieux de comparer deux pays comme la France et la Chine, Emmanuel Macron a annoncé que 1,5 milliard d’euros de crédits publics seront attribués sur le quinquennat, dont 400 millions d’euros d’appel à projets, une somme issue de redéploiements budgétaires, de fonds publics existants et du nouveau fonds pour l’innovation de dix milliards d’euros.

Il est notamment prévu une enveloppe de 100 millions d’euros, et de 70 millions d’euros les années suivantes, qui sera dédiée à l’amorçage de jeunes pousses dans l’intelligence artificielle et la « deep tech », ces technologies de rupture conçues pour changer le monde. Les niveaux d’investissement incomparables avec ce que fait la Chine, mais la France peut compter sur vingt-quatre partenaires.

À supposer que tout le monde joue dans le même sens. Le fait est que l’Union reste une coalition d’États dont les intérêts peuvent être divergents ou entrer en concurrence, là où cette situation n’existe pas en Chine et aux États-Unis — il convient de noter qu’elle se retrouve toutefois au niveau des entreprises privées. Sans parler des écarts qui pourraient se révéler en matière de réglementation.

C’est sur ce point que l’accent a été mis par Mariya Gabriel, la commissaire en charge de l’économie et de la société numériques : plus de coopération et moins de friction. « Les États membres ont un niveau d’excellence dans certains secteurs, mais seuls ils ne peuvent pas faire le poids sur la scène internationale », a-t-elle déclaré, dans des propos repris par EurActiv.

« Les États membres ont un niveau d’excellence dans certains secteurs, mais seuls ils ne peuvent pas faire le poids sur la scène internationale »

Cela peut prendre la forme de centres de recherche paneuropéens. Ainsi, le gouvernement allemand s’est engagé à créer un centre commun d’IA avec la France — ce qui n’interdit pas par ailleurs de travailler… avec les Américains ou les Chinois : lors de sa visite en Chine, Emmanuel Macron a établi  un fonds d’investissement d’un milliard d’euros et un programme d’échanges d’experts.

Mais au-delà des questions de financement et d’investissement, l’Union européenne a tout intérêt à s’unir pour faire valoir sa vision des choses en matière de protection des données personnelles et sur tous les enjeux éthiques et sociétaux relatifs à l’IA. Début 2017, le Parlement européen a justement voté une résolution qui demande à la Commission de travailler sur des règles éthiques sur la robotique et l’IA.

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CC University of Washington

L’enjeu de l’éthique

En France, la question de l’éthique appliquée à l’intelligence artificielle occupe une place notable dans le rapport piloté par le député et mathématicien Cédric Villani. Dans celui-ci, il est question de prévenir les nombreuses discriminations dont une IA peut se rendre coupable et mettre en place un comité d’éthique pour les technologies numériques et l’IA, qui organisera le débat public, et fera des propositions.

En particulier, les signataires du document ont affiché leur entente sur le fait que les humains doivent « rester au centre du développement, du déploiement et de la prise de décision en matière d’IA » et « prévenir la création et l’utilisation nuisibles d’applications d’IA ». Il reste à déterminer ce que l’on entend par une utilisation nuisible — est-ce que cela recouvre aussi les activités militaires ? Et si oui, lesquelles ?

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Cédric Villani.

Source : Bret Hartman

Vers une législation ?

Il n’est pour l’instant pas prévu de fixer une législation contraignante et commune, mais cette possibilité reste sur la table, afin de faire converger les politiques nationales, que ce soit dans la recherche ou dans l’encadrement. La Commission doit publier d’ici la fin avril un document de stratégie au sujet de l’IA qui fera le point sur les questions juridiques que cette technologie est susceptible de soulever.

« L’IA est déjà utilisée par les citoyens au quotidien et facilite leur vie personnelle et professionnelle. Elle peut également résoudre des défis sociétaux clés », relève la Commission européenne, comme dans le domaine de la santé, avec des programmes, parfois privés, qui brassent des quantités massives d’informations personnelles pour déceler des tendances ou des anomalies.

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CC NEC Corporation of America

Mais « l’émergence de l’IA pose également des défis qu’il faut relever », ajoute Bruxelles. « Une approche anticipative est nécessaire » dans le domaine de l’emploi, de la formation et de l’éducation « pour faire face à la transformation du marché du travail ». Par ailleurs, un certain nombre d’autres « questions juridiques et éthiques devraient également être prises en considération ».

Car si l’Union européenne n’apporte pas ses réponses à ces questions, d’autres le feront à sa place. C’est la mise en garde très claire faite par le ministre suédois du Développement numérique, Peter Eriksson, pour expliquer tout l’enjeu qu’il y a concevoir un socle juridique cohérent, solide et protecteur au niveau européen.

« Rien ne serait pire que de laisser ces choix à des entreprises privées ou à des systèmes autocratiques »

« Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que la Chine le fasse. Nous devons le faire. Avec une démocratie et un système juridique qui fonctionne, l’Europe doit considérer cela comme le facteur le plus important. La concurrence avec la Chine, la concurrence avec les États-Unis, est évidemment importante. Mais si nous ne créons pas le cadre juridique et éthique, nous serons de toute façon perdants ».

C’est aussi un point qu’a esquissé Emmanuel Macron lors de son discours sur l’IA, fin mars.

« Une IA n’est rien d’autre que le projet qu’elle sert, dans les conditions définies par ceux qui l’ont programmée, sur la base des données qui lui ont été fournies et ces trois conditions dessinent le modèle d’IA que nous voulons voir exister. Et en la matière, rien ne serait pire que de laisser ces choix à des entreprises privées ou à des systèmes autocratiques ».


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