Vingt-quatre langues officielles réparties dans vingt-huit pays : l’Union européenne possède une diversité linguistique indéniable. Une richesse qui se retrouve d’ailleurs à l’écrit. Si l’alphabet latin est le système d’écriture dominant sur le Vieux Continent, le fait est qu’il en existe d’autres (alphabet grec, cyrillique) et que certaines lettres sont tracées différemment d’un pays à l’autre.
Mais, quand bien même d’importantes variations dans la manière d’écrire du texte existent, n’est-il pas temps, à l’heure d’une intégration plus poussée entre les nations, de « mettre en place un système uniformisé de clavier informatique à l’échelle européenne » ? D’avancer sur « des réflexions en matière de mise en cohérence des matériels informatiques à l’échelle de l’Union » ?
C’est ce sur quoi Anne Brugnera, députée du Rhône et membre de La République en marche, interpelle Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État en charge du numérique.
« À l’heure d’une intégration européenne plus poussée avec une monnaie commune, des télécommunications facilitées, il apparaît pertinent d’offrir aux Européens un matériel identique, facilitant ainsi un peu plus une économie partagée avec un nombre important de concitoyens se rendant chez leurs voisins européens pour étudier ou travailler », note-t-elle dans une question écrite soumise le 13 mars.
La suggestion de l’élue , qui n’a pas encore obtenu de réponse du gouvernement, fait toutefois face à d’importants obstacles : comment, en effet, envisager une uniformisation des claviers informatiques entre la France (alphabet latin), la Grèce (alphabet grec) et la Bulgarie (alphabet cyrillique) ? Les lettres sont très différentes d’un alphabet à l’autre et il n’y en n’a pas le même nombre.
Variation dans l’alphabet latin
En outre, au sein même des langues basées sur l’alphabet latin, il existe des écarts assez notables. Le danois, par exemple, se sert de å, ø et æ. L’allemand peut s’écrire avec ß. On trouve des accents aigus sur á, ó et ú, en portugais et en espagnol, ainsi que des tildes (comme ñ et ã). Des lettres spéciales existent aussi en croate, en letton, en lituanien, en maltais, en polonais, en roumain, en slovaque ou encore en tchèque.
Il existe une certaine uniformisation des claviers, mais celle-ci se fait par grappe de pays, quand ils partagent une langue et une écriture communes. Par exemple, la disposition des touches entre l’Allemagne, l’Autriche et les pays des Balkans est la même (QWERTZ). La disposition QWERTY se retrouve en Espagne, en Europe du Nord, aux Pays-Bas, en Irlande et au Royaume-Uni.
Plus d’AZERTY ?
Le fait est que la France est quasiment le seul pays en Europe à utiliser la disposition AZERTY (elle est utilisée partiellement en Belgique). Si uniformisation il y a, les autres pays de l’Union européenne pourraient arguer que c’est à la France, pays isolé dans ce domaine, de s’adapter, en optant pour une disposition dominante. Même sur le plan démographique, la France est en minorité.
Si la député juge « complexe » le passage d’un équipement à l’autre à l’échelle européenne, ce qui est une réalité — on ne retrouve pas toujours les accents que l’on veut sur un clavier au Royaume-Uni, par exemple –, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour supposer que le passage à un système uniformisé de clavier informatique englobant toute les écritures de l’Union européenne sera extrêmement ardue.
Et même si une solution était trouvée sans concevoir un clavier monstrueux, et utilisable, il y aurait des résistances extraordinaires à surmonter du côté de la population. Pas sûr que cela améliore l’image de l’Union européenne auprès du grand public — et son image n’est pas forcément très éclatante — si l’on contraint les particuliers à utiliser un clavier très différent de ce qu’ils avaient l’habitude d’employer jusqu’à présent.
Améliorer AZERTY ?
En revanche, il n’est pas interdit d’envisager une optimisation de la disposition AZERTY. « La disposition azerty repose sur une disposition facilitant la frappe à la machine à écrire, problématique largement dépassée aujourd’hui », écrit la députée. Or, on se souvient qu’en 2016 le ministère de la culture s’indignait de la difficulté d’écrire dans un français correct avec un clavier AZERTY.
Dans le meilleur des cas, l’appel de certaines particularités typographiques se fait en combinant plusieurs touches ou en tapant le code ASCII associé. Aussi, en 2017, l’association française de normalisation a initié un projet normatif pour élaborer une norme de claviers capables de combler ces manques. Une enquête a été menée et une variante du clavier AZERTY a été proposée.
« Les 26 lettres de l’alphabet et les chiffres ne changent pas de place » notait l’association française de normalisation, qui entendait à l’époque « augmenter les capacités d’écriture du clavier informatique français ».
« Augmenter les capacités d’écriture du clavier informatique français ».
Par contre, « certains autres signes tels que certaines voyelles accentuées, l’arobase et les accolades » sont déplacés. « Le point devient accessible sans passer par la touche Majuscule. Les majuscules accentuées sont aussi rendues possibles. La palette des signes typographiques est élargie, pour faciliter la création sans pour autant recourir à des logiciels professionnels ».
Comme le rappelle la députée, ce travail de l’association a fait suite à un rapport, en 2015, au parlement sur l’emploi de la langue française. La création d’une norme pour les claviers était alors suggérée. Mais attention : cette norme est basée sur le volontariat : elle n’oblige en aucun cas les fabricants de claviers à la respecter, ce qui laisse aux claviers AZERTY de beaux jours devant eux.
À moins que le politique ne s’en mêle.
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