"Nous sommes sûrs que vous avez les moyens de sensibiliser l'Hadopi, mieux que nous n'avons pu le faire". C'est une lettre proprement hallucinante, publiée par Libération et éventée hier par NextInpact, que six représentants d'organisations du cinéma français ont envoyé le 22 septembre dernier à la ministre de la culture Fleur Pellerin. Elle précédait de quelques jours la charge contre Eric Walter opérée cette fois publiquement par le patron de Gaumont et de l'Association de Lutte contre la Piraterie Audiovisuelle, Nicolas Seydoux.
La lettre est signée par Marc Lacan, Malik Chibane, Gilles Sacuto, Michel Hazanavius (celui qui n'aurait pas eu d'Oscar sans Hadopi, selon Frédéric Mitterrand), Dante Desarthe et Alain Terzian, qui représentent le BLIC, le BLOC, l'ARP et le l'UPF.
En résumé, les cinéastes ont les pellicules dressées contre l'Hadopi et en particulier contre son secrétaire général Eric Walter, qui ont osé prendre au pied de la lettre l'article L331-12 du code de la propriété intellectuelle, qui dit que la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet "est une autorité publique indépendante". Usant de la caricature la plus grotesque et la plus fausse avec le plus grand sérieux, ils affirment que le haut fonctionnaire "met en avant, à toute occasion, exclusivement les idées les plus contraires à la défense de la propriété intellectuelle et artistique, et ce, dans les médias qui sont hostiles à celles-ci, en semblant donc choisir pour seuls interlocuteurs ses adversaires".
Il ose parler de "partage" !
En creux, c'est notamment l'interview fleuve accordée aux internautes sur Numerama qui est visée, et donc son goût du dialogue et de la recherche de compromis. "Je pense qu’on peut à la fois respecter le droit d’auteur et éviter de déployer des moyens de plus en plus importants pour combattre ceux qui ne le respectent pas. Ca s’appelle une inversion de paradigme, pour être plus clair une manière différente de voir les choses", concédait Eric Walter.
Mais ce qui a surtout déplu au monde du cinéma, ce sont les critiques formulées dans Libération par le secrétaire général de l'Hadopi contre l'insuffisance de l'offre légale de films sur Internet, qu'il juge première responsable du piratage. Un discours que l'on attribuait jadis à de dangereux gauchistes révolutionnaires, et qui se retrouve aujourd'hui dans la bouche d'un ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy.
Insulte suprême : "Le secrétaire général de l'Hadopi appelle désormais "partage", terme positif qui fait même penser qu'il s'agit d'une pratique à promouvoir", le piratage. Horreur ! Communisme !
Or l'indocile n'a pas été remis à sa place par la présidente de l'Hadopi Marie-Françoise Marais, qui semble même se réjouir d'une telle liberté d'expression. Elle aussi a peut-être cru que le mot "indépendante" inscrit par le législateur dans la loi avait un sens.
La mafia protège ceux qu'elle soumet
Les cinéastes demandent donc à la ministre de la Culture de bien vouloir démontrer à cette mèche rebelle de la République que l'indépendance dont elle croyait pouvoir jouir n'était qu'une formule vide de toute traduction politique. "Nous n'admettons pas de voir une autorité administrative (ils ont oublié de préciser "indépendante", ndlr) agir à l'encontre de la mission pour laquelle elle a été créée", écrivent-ils, en demandant au Gouvernement d'utiliser "les moyens" à sa disposition pour la soumettre. D'où le régime d'asphyxie financière à laquelle l'Hadopi est désormais sujette.
Mais outre l'outrance, c'est ce que révèle ce courrier qui doit frapper le plus.
Les représentants du cinéma auraient-ils demandé au Gouvernement de violer la séparation des pouvoirs et de couper les vivres à l'Hadopi si cette dernière s'était couchée après une première semonce envoyée en avril dernier, et qu'elle avait accédé à leurs demandes de ne relayer qu'un discours anti-partage basique ressassé depuis des décennies ? Certainement pas. Sans doute même auraient-ils demandé une augmentation de son budget.
C'est bien parce que l'Hadopi ne s'est pas couchée que le BLOC, le BLIC, l'ARP et l'UPF, qui ont souhaité la création de l'Hadopi après la claque de la censure constitutionnelle de la loi DADVSI, ont cessé d'accorder "leur protection" à la Haute Autorité. Par cette lettre, ils témoignent que ce sont eux, in fine, qui tiennent les cordons de la bourse.
Le chien ayant mordu le maître, ces lobbys privés adoptent en meute le comportement d'un chef de gang mafieux. Ils recrutent un tueur à gage, le Gouvernement, pour abattre l'insoumis. Et pour soumettre le Gouvernement ? L'ARP, signataire de la lettre, a déjà montré par le passé qu'elle savait user des plus vils chantages pour obtenir ce qu'elle voulait, de qui s'y soumettait.
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