Né à Woippy, en Moselle en 1979, Jean Pormanove était un streamer âgé de 46 ans. Un ancien militaire qui s’est fait connaître sur Twitch pour ses lives de jeux vidéo. Sa carrière était récemment passée à une autre dimension grâce à ses lives sur Kick avec NarutoVie et Safine, deux autres streamers. Il y a laissé sa vie, en direct.
Sa mort interroge aujourd’hui sur les conditions dans lesquelles il vivait ; sur les réseaux et par les pouvoirs publics, ses deux « acolytes » sont accusés de l’avoir maltraité, humilié et escroqué pour continuer à avoir du succès sur la plateforme. Les deux streamers ont déjà commencé à préparer leur défense, expliquant que les scènes de violences étaient « scriptées ».
Un décès en direct sur Kick : Jean Pormanove ne s’est pas réveillé
Le « Lokal », groupe de streamers, dort ensemble et se réveille doucement ce lundi 18 août, peu après 10 heures. Ils sont en direct sur Kick depuis une dizaine de jours, durant un « marathon » pour récolter le plus d’argent et d’abonnés payants. Voyant que Jean Pormanove (dit « JP ») ne se réveille pas alors qu’il l’interpelle, NarutoVie (de son vrai nom Owen Cenazandotti) lui jette une bouteille en plastique vide sur la tête pour le réveiller. Rien n’y fait, Jean Pormanove est inconscient. Une heure avant, on le voyait encore bouger dans son sommeil ; sur le serveur Discord du Lokal, un membre écrit que « JP a fait une sorte d’étouffement dans son sommeil », rapporte Mediapart. Voyant qu’il ne se réveille pas, NarutoVie se lève et coupe le live.
Dans les heures qui suivent, les rumeurs fleurissent sur les réseaux sociaux : certains disent que JP est mort, d’autres arguent qu’il est à l’hôpital à cause d’un arrêt cardiaque. Des images circulent, indiquant que la brigade criminelle de la gendarmerie est devant le local. Peu de temps après, ses « acolytes » annoncent son décès sur leurs réseaux sociaux, comme NarutoVie : « Malheureusement, cette nuit, JP (Raphaël Graven) nous a quittés. Mon frère, mon acolyte, mon partenaire. Six années côte à côte, sans jamais nous lâcher, je t’aime mon frère et tu vas terriblement nous manquer. »

Le Parisien révèle que le parquet de Nice a confirmé « le décès d’un homme dans un local loué pour des lives de jeu vidéo », sans confirmer l’identité de Jean Pormanove. Une enquête a été ouverte par le parquet et les gendarmes de la brigade de recherches de Nice en ont la charge. Il précise qu’il « n’y a rien de suspect, les auditions sont en cours et une autopsie sera pratiquée. »
Du côté des internautes, qui connaissent mieux le concept de la chaîne que les pouvoirs publics, le constat est déjà plus sévère : on penche pour une accumulation de violences physiques et verbales, cumulée à la privation de sommeil depuis plusieurs jours qui auraient entraîné le décès.
Un streamer maltraité depuis des mois par ses « amis » streamers
En décembre 2024, Mediapart pointait du doigt les comportements de Naruto et Safine (de son vrai nom Safine Hamadi) dans une enquête sur ce « business » de la maltraitance. Elle montrait que Raphaël Graven, alias JP, subissait des violences physiques et verbales à répétition, avec des défis et challenges pour prétextes. Naruto, Safine et JP étaient souvent accompagnés de Coudoux, un homme handicapé sous curatelle, lui aussi victime de ces violences. Ces violences physiques ou verbales étaient encouragées par les internautes avec leurs messages ou leurs dons.
Deux jours avant son décès et au cours du marathon, les streamers avaient fouillé dans le téléphone de JP : un défi à relever après avoir récolté une certaine somme d’argent. Les « acolytes » avaient pu lire un message envoyé par Jean Pormanove à sa mère : « Salut maman. Comment tu vas ? Coincé à la mort avec son jeu. Ça va trop loin. J’ai l’impression d’être séquestré avec leur concept de merde. J’en ai marre je veux me barrer, l’autre il veut pas, il me séquestre. »

Le 16 décembre 2024, à la suite des révélations de Mediapart, le parquet de Nice ouvrait pourtant une enquête préliminaire avec trois chefs d’accusation pour Naruto et Safine : « Provocation publique par un moyen de communication au public par voie électronique à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur handicap, violences volontaires en réunion sur personnes vulnérables […] et diffusion d’enregistrements d’images relatives à la commission d’infractions d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne. » Les deux streamers avaient été placés en garde à vue le 8 janvier 2025, avant d’être libérés. Avant le décès de Jean Pormanove, l’enquête était toujours en cours.
NarutoVie, Safine, la plateforme Kick et les viewers : la difficile recherche du coupable
Concernant les accusations de violences, NarutoVie n’a pas réagi, mais y a implicitement répondu en story Instagram : « Personne ne sait, mais tout le monde parle. On s’aimait et c’est tout ce qui compte. » Pour le moment, la plateforme Kick France n’a pas réagi au décès de Jean Pormanove. Elle a toutefois banni sa chaîne quelques dizaines de minutes après la coupure du live par Naruto. Kick, plateforme mettant en avant les paris et le casino de sa maison-mère Stake, est régulièrement pointée du doigt pour son manque de modération des lives diffusés.

Quoi qu’il en soit, en France, l’affaire attire l’œil sur la plateforme. La Ministre déléguée au numérique Clara Chappaz a réagi ce 19 août sur X en expliquant que « Jean Pormanove a été humilié et maltraité pendant des mois en direct sur la plateforme Kick. »
Elle annonce avoir saisi l’Arcom, effectué un signalement sur Pharos et avoir contacté les responsables de Kick France. Pour elle, « ce type de défaillances peut conduire au pire et n’a pas sa place en France ». Pour l’avocat spécialisé dans le numérique Alex Archambault, « en se focalisant sur Twitch, on relègue des contenus vraiment problématiques sur des plateformes en dehors des écrans radars. Avec des issues dramatiques. »

De nombreux internautes se questionnent alors : pourquoi « rien » n’a été fait depuis des mois pour sortir JP de ces lives et humiliations à répétition ? Kick ne fait pas partie des plateformes les plus populaires, ni des habitudes de beaucoup d’internautes, pourtant avides de Twitch, YouTube ou TikTok. Une « bulle de filtre » qui aurait permis à NarutoVie, Safine, Coudoux et Jean Pormanove de continuer leurs lives, sans être inquiétés.
Jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
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