Après l’Assemblée nationale, le Sénat a adopté dans sa version finale le projet de loi Création, qui crée une redevance obligatoire à payer pour toutes les photos en ligne que les moteurs de recherche indexent et reproduisent dans leurs résultats. Serez-vous payé par Google ? Sans doute pas. Explications.

Vous publiez vos photos ou illustrations gratuitement sur Instagram, Flickr, Twitter, 500px … ou tout simplement sur votre blog, dans des forums ou sur un site personnel ? Sachez que bientôt, en vertu du projet de loi Création adopté définitivement mercredi au Sénat, Google aura l’obligation de payer une redevance pour avoir le droit de les indexer et de les présenter dans les résultats de son moteur de recherche. Mais très probablement, vous ne toucherez pas un centime des revenus ainsi générés.

« Je souscris entièrement aux objectifs de cet article mais nous devons mener cette bataille aussi et surtout au niveau européen », a prévenu la ministre de la culture Audrey Azoulay. « Comptez sur la détermination du gouvernement ».

Le vote de la loi au Sénat.

Le vote de la loi Création au Sénat.

Pourquoi Google payera pour exploiter mes photos ?

À l’occasion de l’examen du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, les représentants du Sénat et de l’Assemblée nationale réunis au sein de la Commission mixte paritaire (CMP) se sont mis d’accord sur l’article 10 quater, que l’on reproduit intégralement ci-dessous. Le texte a été définitivement adopté ce mercredi 29 juin 2016 par le Sénat, l’Assemblée nationale l’ayant lui-même voté une semaine plus tôt.

Il pose tout d’abord un principe, qui veut que « la publication d’une oeuvre d’art plastique, graphique ou photographique à partir d’un service de communication au public en ligne emporte (…) le droit de reproduire et de représenter cette oeuvre dans le cadre de services automatisés de référencement d’images ». Dit autrement, le simple fait de mettre une photo ou une illustration sur le Web fait que Google a le droit de l’afficher, comme tout autre moteur de recherche alternatif (Bing, Qwant, DuckDuckGo…). Il n’y a plus aucune limite à la reproduction, ce qui implique que Google ne risquera plus d’être condamné pour violation de droits d’auteur en France lorsqu’il affichera une image qu’il a référencée, même s’il affiche directement une version HD en plein écran.

Mais il y a une contrepartie essentielle. Toutes les images publiées sur le Web — y compris sous licence libre — seront automatiquement « mises en gestion » auprès d’une société de gestion collective agréée, telle que la SAIF, l’ADADGP, ou une autre structure ad hoc. Vos photos et autres images deviendront ainsi payantes pour les moteurs de recherche, et les Google et consorts devront négocier avec ces organismes privés une « convention » qui fixe un barème global de rémunération, selon le chiffre d’affaires généré, ou selon un barème forfaitaire.

À défaut d’accord, l’État pourra intervenir pour fixer une grille de rémunération à travers une commission spécialisée, du même type que celle qui existe pour la taxe sur la copie privée.

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Avec le projet de loi création, toutes les photos qui étaient gratuites deviennent payantes pour les moteurs de recherche.

Cela veut dire que je serai payé par Google pour mes photos sur FlickR ?

Probablement pas. Sur le papier, dès lors que votre image sera indexée par Google, et dès lors qu’elle aura généré des affichages sur le moteur de recherche, vous aurez le droit de toucher des droits. Le projet de loi impose en effet aux moteurs de recherche de fournir aux sociétés de gestion agréées « le relevé des exploitations des oeuvres et toutes informations nécessaires à la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit ».

Mais en pratique, c’est une spoliation organisée de la grande majorité des œuvres photographiques publiées sur Internet. Car la société de gestion qui se fera payer ne saura pas à qui appartient une photo que Google a indexée et affichée, et ne saura donc pas à qui reverser l’argent.

Dans une énorme majorité des cas, vos photos et autres illustrations seront donc considérées par défaut comme des « œuvres orphelines », sans père ni mère, sauf à ce que vous vous fassiez connaître et fournissiez une copie de toutes les œuvres en question.

Google paiera bien des droits pour ces photos orphelines, mais les sommes reçues iront nourrir la case des « irrépartissables », qui finissent par être exploitées pour la gestion de la société, et permettent donc mécaniquement d’augmenter les sommes réparties en allégeant les « frais de gestion » traditionnels. En revanche, les sociétés de gestion collective connaîtront bien les noms et adresses des quelques milliers de photographes ou plasticiens professionnels, qui déposent systématiquement leurs œuvres auprès d’elles. Ce sont eux qui toucheront la part du lion.

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Un ayant-droits de la photographie découvrant le projet de loi Création.

Le texte de l’article 10 quater de la loi Création

Article 10 quater

I. – Le titre III du livre Ier de la première partie du code de la propriété intellectuelle est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :

« CHAPITRE VI

« Dispositions applicables à la recherche et au référencement des oeuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques

« Art. L. 136-1. – On entend par service automatisé de référencement d’images, au sens du présent chapitre, tout service de communication au public en ligne dans le cadre duquel sont reproduites et mises à la disposition du public, à des fins d’indexation et de référencement, des oeuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques collectées de manière automatisée à partir de services de communication au public en ligne.

« Art. L. 136-2. – I. – La publication d’une oeuvre d’art plastique, graphique ou photographique à partir d’un service de communication au public en ligne emporte la mise en gestion, au profit d’une ou plusieurs sociétés régies par le titre II du livre III de la présente partie et agréées à cet effet par le ministre chargé de la culture, du droit de reproduire et de représenter cette oeuvre dans le cadre de services automatisés de référencement d’images. À défaut de désignation par l’auteur ou par son ayant droit à la date de publication de l’oeuvre, une des sociétés agréées est réputée gestionnaire de ce droit.

« II. – Les sociétés agréées sont seules habilitées à conclure toute convention avec les exploitants de services automatisés de référencement d’images aux fins d’autoriser la reproduction et la représentation des oeuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques dans le cadre de ces services et de percevoir les rémunérations correspondantes fixées selon les modalités prévues à l’article L. 136-4. Les conventions conclues avec ces exploitants prévoient les modalités selon lesquelles ils s’acquittent de leurs obligations de fournir aux sociétés agréées le relevé des exploitations des oeuvres et toutes informations nécessaires à la répartition des sommes perçues aux auteurs ou à leurs ayants droit.

« Art. L. 136-3. – L’agrément prévu au I de l’article L. 136-2 est délivré en considération :

« 1° De la diversité des associés ;

« 2° De la qualification professionnelle des dirigeants ;

« 3° Des moyens humains et matériels qu’ils proposent de mettre en oeuvre pour assurer la gestion des droits de reproduction et de représentation des oeuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques par des services automatisés de référencement d’images.

« Un décret en Conseil d’État fixe les modalités de la délivrance et du retrait de cet agrément.

« Art. L. 136-4. – I. – La rémunération due au titre de la reproduction et de la représentation des oeuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques par des services automatisés de référencement d’images est assise sur les recettes de l’exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement dans les cas prévus à l’article L. 131-4.

« Le barème et les modalités de versement de cette rémunération sont fixés par voie de convention entre les sociétés agréées pour la gestion des droits des oeuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques et les organisations représentant les exploitants des services automatisés de référencement d’images.

« La durée de ces conventions est limitée à cinq ans.

« II. – À défaut d’accord conclu dans les six mois suivant la publication du décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 136-3, ou si aucun accord n’est intervenu à la date d’expiration d’un précédent accord, le barème de la rémunération et ses modalités de versement sont arrêtés par une commission présidée par un représentant de l’État et composée, en nombre égal, d’une part, de représentants des sociétés agréées conformément au même article L. 136-3 et, d’autre part, des représentants des exploitants des services automatisés de référencement d’images.

« Les organisations amenées à désigner les représentants membres de la commission, ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner, sont déterminés par arrêté du ministre chargé de la culture.

« La commission se détermine à la majorité des membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.

« Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel. »

II. – Le I s’applique à compter de la publication du décret en Conseil d’État mentionné au dernier alinéa de l’article L. 136-3 du code la propriété intellectuelle et, au plus tard, six mois après la promulgation de la présente loi.

Le texte ayant été adopté par les deux assemblées, il devrait être promulgué dans les prochains jours.

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