Un nouveau rapport de la Fondation des Femmes montre comment les contenus anti-IVG s’organisent désormais sur les réseaux sociaux en France. Cette stratégie de noyade numérique est le thème de la newsletter #Règle30 cette semaine.

Cet article est un extrait de la newsletter #Règle30. Elle est envoyée à 11h chaque mercredi. 

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Quand j’avais 20 ans, j’ai passé une année scolaire aux États-Unis. C’est là que j’ai pris conscience que des gens pouvaient être contre l’avortement. Ce n’était pas vraiment un sujet qui me préoccupait jusqu’ici, par privilège et par naïveté. Je n’étais pas inquiète, parce qu’il était évident que c’était un choix qui me serait toujours proposé.

Et puis j’ai étudié une dizaine de mois dans un pays où cette évidence n’existait pas. J’ai eu des conversations tendues avec d’autres filles de mon âge ; croisé la route de plusieurs manifestations anti-IVG ; un jour, on a même glissé dans mon sac un DVD contenant des séquences très gores, présentées comme les conséquences d’un avortement raté. Je suis rentrée en France en me disant qu’au moins, tout ça n’arriverait jamais par chez moi.

La semaine dernière, en sortant faire mes courses, je suis tombée sur une affiche contre l’avortement dans la rue. En rentrant à la maison, j’ai lu un rapport publié par la Fondation des Femmes sur la montée en puissance des contenus anti-IVG francophones sur les réseaux sociaux.

Ce militantisme en ligne ne s’exprime pas tout à fait de la même manière qu’aux États-Unis (dont j’ai déjà beaucoup parlé en 2022 et 2023, suite à l’abrogation de l’arrêt Roe vs Wade). Chez nous, l’entrave à l’avortement est un délit, y compris lorsque ces obstacles sont numériques (depuis 2017 pour ce dernier cas de figure). Malgré des débats quant à son interprétation, cette disposition a fait reculer la pratique des faux sites qui gangrénaient les moteurs de recherche. Ce travail d’influence et de désinformation s’est donc déporté sur les réseaux sociaux. Ces contenus sont partagés par une galaxie de comptes qui avancent parfois masqués. On y retrouve des militant·es de l’extrême droite, de la mouvance chrétienne, mais aussi contre les droits LGBT et les personnes trans. Le rapport souligne, par exemple, l’importance de plusieurs pages et groupes Facebook (non officiels) de soutien à Eric Zemmour dans cette propagande.

Un exemple de contenu Instagram cité par l'étude de la Fondation des Femmes. Le compte en question se présente comme un espace de discussion neutre sur l'avortement, mais qui tient en vérité des propos dissuasifs sur l'IVG.
Un exemple de contenu Instagram cité par l’étude de la Fondation des Femmes. Le compte en question se présente comme un espace de discussion neutre sur l’avortement, mais qui tient en vérité des propos dissuasifs sur l’IVG.

Surtout, l’étude insiste sur l’omniprésence des propos anti-IVG dans l’expérience des internautes cherchant simplement à se renseigner sur le sujet. Sur YouTube, un faux compte créé pour les besoins du rapport a adopté le comportement d’une adolescente de 16 ans, en s’abonnant uniquement à des chaînes de divertissement. Ensuite, elle a consommé une cinquantaine de vidéos de médias réputés sur l’avortement, notamment pour s’informer sur l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade. Une semaine plus tard, plus de la moitié des vidéos recommandées par YouTube sur sa page d’accueil étaient des contenus anti-avortement ou dissuadant d’avorter.

Dans un autre exemple, un faux compte de femme âgée entre 18 et 25 ans a suivi le Planning Familial sur Instagram et plusieurs personnes relatant leurs expériences d’avortement de manière neutre. En quelques jours, elle a été ciblée par des vidéos de la mouvance tradwife, qui milite pour la soumission des femmes aux hommes et le retour des rôles genrés traditionnels. C’est le fonds de commerce de Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole de Génération identitaire, dont la chaîne YouTube compte plus de 200 000 abonnements.

Nous empêcher d’avorter, et d’en parler

Bien sûr, la lutte pour nos droits reproductifs ne se fait pas que sur les réseaux sociaux. Elle se fait dans la rue, dans la loi, dans les moyens qu’on accorde à notre système de santé (« quand l’hôpital va mal, c’est encore pire pour l’accès à l’IVG« , expliquait la coprésidente du Planning Familial dans cet article très instructif de Mediapart).

Mais dans un pays où près de neuf personnes sur dix sont favorables à l’inscription du droit à l’IVG dans la Constitution, il n’est pas anodin que les discussions en ligne sur l’avortement soient dominées par la minorité qui veut nous empêcher d’avorter, et d’en parler. C’est la stratégie de la noyade numérique qui a déjà fait ses preuves sur d’autres sujets chers à l’extrême droite et aux masculinistes. Dans une différente étude, cette fois-ci publiée par le Haut Conseil à l’Égalité, j’ai appris que 37 % des Français estimaient que le féminisme était une menace pour les hommes, en hausse de 3 points par rapport à l’année dernière. Je suis inquiète.

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