Depuis 2015, plusieurs départements de la police nationale utiliseraient des logiciels fournis par la société israélienne BriefCam, aujourd’hui propriété du groupe japonais Canon. BriefCam peut utiliser les flux des caméras de surveillance pour analyser une scène… ou utiliser de la reconnaissance faciale pour suivre un sujet. Une pratique illégale en France.

En France, la reconnaissance faciale est strictement encadrée. Elle est autorisée dans de rares cas (pour passer les frontières et dans le traitement des antécédents judiciaires), parfois expérimentée (dans des stades notamment), mais fait l’objet d’une régulation ferme, qui oblige tout organisme à remplir de nombreux dossiers et à exiger un audit indépendant pour l’essayer. L’intérêt est de protéger les libertés individuelles, ce qui explique pourquoi l’usage d’une vidéosurveillance algorithmique, sans reconnaissance faciale, est aussi controversé aux JO de Paris.

Dans une enquête publiée le 14 novembre, le média d’investigation Disclose alerte sur une potentielle dérive de la police nationale. Selon ses informations, plusieurs départements français disposent depuis 2015 d’une licence pour des logiciels de vidéosurveillance de la société israélienne BriefCam, filiale du groupe japonais Canon. Le problème est que les logiciels de BriefCam permettent d’utiliser des fonctions de reconnaissance faciale et que le ministère de l’Intérieur n’en a pas informé les autorités compétentes, comme la CNIL.

BriefCam, un cerveau pour les caméras de surveillance

L’usage des outils de BriefCam est-il illégal ? Répondre à cette question n’est pas facile, puisque les logiciels de l’entreprise sont de véritables couteaux suisses. Sur son site, BriefCam explique « génèrer une valeur exponentielle à partir des investissements dans les systèmes de surveillance en rendant la vidéo consultable, exploitable et quantifiable. »

Un de ses logiciels, utilisé par la police nationale, permet par exemple de créer des vidéos de synthèse à partir d’un long fichier. Concrètement, il utilise une IA pour donner l’impression que toutes les personnes qui ont marché sur une route pendant 30 minutes étaient au même endroit au même moment. « Video Synopsis », comme BriefCam l’appelle, facilite ainsi la vie des enquêteurs, qui peuvent consulter toute l’activité d’une caméra sur plusieurs heures en quelques secondes.

La vidéo originale à gauche, celle générée par une IA à droite. L'heure de passage apparaît sur chaque personne filmée.
La vidéo originale à gauche, celle générée par une IA à droite. L’heure de passage apparaît sur chaque personne filmée. // Source : BriefCam

BriefCam propose d’autres technologies semblables à la police nationale, comme « Smart Synopsis ». Ici, il s’agit de permettre aux policiers de se concentrer sur un seul type d’action. Ils ne peuvent demander qu’à voir les vélos qui vont dans une même direction, puis obtenir un résumé de quelques secondes où tous les vélos se suivent. À eux d’identifier leur suspect, sans reconnaissance faciale, donc.

Ces vélos ne se sont jamais croisés, mais le logiciel permet de tous les mettre au même endroit.
Ces vélos ne se sont jamais croisés, mais le logiciel permet de tous les mettre au même endroit. // Source : BriefCam

Le problème, comme l’indique Disclose, est que BriefCam détient plusieurs technologies de reconnaissance faciale. Dans le même logiciel que celui utilisé par la police nationale, on peut rechercher une personne à partir d’une image. En quelques secondes, BriefCam est capable de rechercher le visage-cible dans toutes les heures de vidéosurveillance qu’il possède, afin de retrouver une personne. Dans les exemples précédents, BriefCam aurait ainsi pu retrouver le passage d’un cycliste avec sa photo, si elle lui avait été fournie.

La police nationale utilise-t-elle la reconnaissance faciale de BriefCam ? Légalement parlant, elle n’a pas le droit. Mais l’utilisation du logiciel en Seine-et-Marne, dans le Rhône, le Nord, les Alpes-Maritimes et en Haute-Garonne interroge, d’autant que la police nationale ne se montre pas très transparente sur son logiciel phare. D’autres services ont depuis vu BriefCam arriver sur leurs ordinateurs, dont les préfectures de Paris et Marseille.

Le ministère de l’Intérieur n’aurait pas dit à la CNIL qu’elle utilisait BriefCam

Selon les informations de Disclose, le ministère de l’Intérieur n’a jamais informé la CNIL de son utilisation des services de BriefCam, alors qu’il est obligé légalement de le faire. Il n’a aussi pas mené d’analyse d’impact relative à la protection des données, alors qu’il s’agit d’une étape obligatoire. Disclose s’interroge sur la discrétion de la police, qui demande à ses responsables de ne pas parler du logiciel, pour éviter de créer des polémiques.

BriefCam Protect permet d'extraire des visages pour effectuer des recherches, pour savoir qui a croisé qui par exemple.
BriefCam Protect permet d’extraire des visages pour effectuer des recherches, pour savoir qui a croisé qui par exemple. // Source : BriefCam

Dans un mail envoyé en 2022, le service en charge des outils technologiques de la DGPN aurait vanté les fonctionnalités de suivi des « plaques d’immatriculation et des visages » de BriefCam, mais aussi « la distinction de genre, âge, adulte ou enfant, taille ». Si le suivi d’une plaque d’immatriculation ne pose supposément pas de problème, tout ce qui est lié aux visages des personnes n’est pas légal. Pourtant, le ministère de l’Intérieur aurait renouvelé cet été les licences d’utilisation des logiciels BriefCam dans plusieurs villes.

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