Amnesty International prie les États et les entreprises de reconnaître le chiffrement comme un droit fondamental de tout citoyen, et de garantir le niveau optimum de protection des communications. Faudra-t-il un traité ?

En marge de l’affaire Apple vs FBI dans laquelle elle a décidé d’intervenir, Amnesty International a demandé cette semaine que le chiffrement soit reconnu comme un droit de l’homme à part entière, duquel dépend le bénéfice effectif d’autres droits fondamentaux. Une lecture saine pour Bernard Cazeneuve, qui s’est encore attaqué cette semaine au « Darknet » et aux « messages chiffrés » qu’utiliseraient les terroristes.

« Le chiffrement est un prérequis de base pour la vie privée et la liberté d’expression à l’ère du numérique. Bannir le chiffrement serait comme bannir les enveloppes et les rideaux. Cela retire un outil fondamental pour que votre vie privée reste privée », estime Sherif Elsayed-Ali, le directeur adjoint d’Amnesty International pour les enjeux mondiaux.

« Les gouvernements qui tentent de fragiliser le chiffrement devrait y penser à deux fois avant d’ouvrir cette Boîte de Pandore. Affaiblir la vie privée en ligne pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les sociétés libres, particulièrement pour les activistes des droits de l’homme et les journalistes qui demandent des comptes à nos dirigeants ».

Affaiblir la vie privée en ligne pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les sociétés libres

L’association demande aux États de se refuser toute exigence de backdoors qui leur permettrait d’accéder en clair aux communications ou aux archives des individus, d’assurer un cadre légal qui autorise le chiffrement fort, et demande aux entreprises elles-mêmes de prendre la mesure de leurs obligations morales et juridiques de protection des données.

Sans apporter de précisions sur ce point, pourtant essentiel, Amnesty International admet toutefois qu’il est des « circonstances limitées dans lesquelles le chiffrement peut être restreint, par exemple lorsque les restrictions sont nécessaires pour atteindre un but légitime, et sont proportionnées à l’objectif pour lequel elles sont imposées ».

Faut-il un traité international sur le chiffrement ?

Selon Amnesty, plusieurs pays au monde dont la Russie (pourtant membre du Conseil de l’Europe qui abrite la Commission européenne des droits de l’homme), le Kazakhstan, le Pakistan et la Colombie interdisent purement et simplement le chiffrement dans certaines circonstances. D’autres comme Cuba, le Pakistan ou l’Inde restreindraient son utilisation.

L’idée que le chiffrement doive être considéré comme un droit de l’homme à part entière fait progressivement son chemin. Il est désormais défendu comme tel aux Pays-Bas par le gouvernement, et régulièrement présenté comme une nécessité par les experts en droits de l’homme de l’ONU, qui multiplient les rapports ces dernières années.

Joseph Cannataci, Rapporteur spécial de l'ONU sur la vie privée.

Joseph Cannataci, Rapporteur spécial de l’ONU sur la vie privée.

Mais pour le moment, le chiffrement est vu comme un moyen de bénéficier des droits de l’homme, en particulier la vie privée et la liberté d’expression (car sans garantie d’anonymat pour ceux qui se sentent menacés, pas de liberté de parole). C’est donc par construction que sa garantie est jugée nécessaire. Mais les textes internationaux de protection des droits de l’homme étant riches en nuances, qui autorisent les états à restreindre la vie privée et la liberté d’expression lorsque c’est nécessaire, il n’existe aucune protection absolue du chiffrement.

D’où l’idée encore utopique, parfois défendue, de mettre sur pieds un traité international qui obligerait les états et les entreprises à garantir le chiffrement des communications et des données privées. Le professeur de droit Joseph Cannataci, qui est aussi le premier rapporteur spécial sur la vie privée nommé par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, a fait une proposition qui irait dans ce sens, en fixant précisément les droits et les devoirs des états en matière d’atteinte à la vie privée. « Si on focalise sur le fait que certaines pays n’accepteront pas le jeu, alors, par exemple, l’accord sur les armes chimiques n’aurait jamais vu le jour », aime-t-il rappeler.

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